Attentats de janvier 2015 : l'assurance fait face
Les attentats du mois de janvier ont marqué les esprits et laissé des traces, y compris dans l’assurance. Retour sur ces événements tragiques avec les acteurs qui ont eu à en gérer les conséquences sur le terrain.

Des dispositifs d’indemnisation issus des traumatismes passés
Les attentats de ce début d’année, au cours desquels 17 personnes ont perdu la vie, ont mobilisé différents dispositifs et acteurs de l’assurance pour en gérer les conséquences humaines et matérielles. L’indemnisation des proches des victimes décédées, des nombreux blessés ayant subi des dommages corporels ou psychologiques, y compris indirectement, est prise en charge par le Fonds de garantie des victimes des actes terroristes et d’autres infractions (FGTI), financé par la solidarité nationale (lire ci-dessus). « À ce stade, nos services suivent 200 personnes, certaines d’entre elles ayant déjà bénéficié du versement d’une provision », précise Nathalie Faussat, directrice de ce fonds de garantie. À l’issue de la procédure d’analyse de leur situation individuelle, ces personnes se verront proposer une offre d’indemnisation. En cas de refus, le montant versé par le FGTI sera déterminé par voie judiciaire.
285 000 €
L’avance versée par Allianz à l’Hypercacher de la Porte-de-Vincennes100 000 €
L’avance versée par Generali à l’imprimerie CTD.
En parallèle, des organismes publics – Assurance maladie, par exemple – ou privés, comme les assureurs auprès desquels auraient été souscrits des contrats de prévoyance, peuvent aussi être amenés à intervenir auprès des victimes. « L’offre du FGTI tient compte des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir du fait du même préjudice : les sommes dont pourraient bénéficier les victimes au titre de l’accident du travail ou d’un contrat individuel ou collectif viennent en déduction des sommes allouées », précise Nathalie Faussat.
Autres acteurs concernés, les assureurs de la société éditrice de Charlie Hebdo, de l’épicerie de la Porte-de-Vincennes et de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële. Ces sociétés ont en effet subi des dégâts matériels lors des attentats. Et dans ce cas, comme le rappelle Stéphane Pénet de la direction assurance de biens et de responsabilité de la FFSA, « ce sont les garanties dommages aux biens en cas d’incendie qui jouent, et les assureurs portant ce risque qui indemnisent leurs clients ». Sur les sites concernés, des dégâts ont été commis par les auteurs des attentats, mais aussi, dans certains cas, lors de l’assaut des forces de sécurité.
« En ce qui concerne les dégâts collatéraux liés à l’intervention des forces de l’ordre, il y a en théorie possibilité pour les assureurs d’exercer un recours contre l’État », précise Stéphane Pénet. Mais comme le souligne Éric Merville, directeur de l’indemnisation de Generali France, qui assure l’imprimerie CTD, « dans ce type de procédure, il n’est jamais évident de déterminer la part des dommages effectivement causés par les forces de l’ordre ». Chez Generali France, cette possibilité de recours n’est pas à l’ordre du jour. Pour rappel, en 2012, l’État avait accepté de prendre en charge les dégâts causés lors de l’assaut du Raid aux appartements voisins de celui où s’était retranché Mohamed Merah, après que les assureurs ont indemnisé les personnes concernées.
Ne faudrait-il pas envisager, dans le cadre de contrats dommages aux biens traditionnels, la possibilité de mobiliser des cellules d’accompagnement psychologiques comme cela peut se faire dans le cadre de grands risques ? C’est une question que nous nous posons aujourd’hui.
Éric Merville, directeur de l’indemnisation de Generali France
FGTI pour l’indemnisation des victimes d’un côté, obligation pour les assureurs de couvrir les dommages liés à des actes terroristes de l’autre : le schéma construit après la vague d’attentats des années 80 montre son utilité. En outre, en dommages aux biens, les assureurs disposent depuis 2002 d’un dispositif de réassurance spécifique aux risques terroristes, le Gareat (lire encadré p. 11), créé pour éviter les carences de couverture en cas d’actes très destructeurs. « Avec ces mécanismes, la France dispose d’un dispositif d’indemnisation qui permet aux particuliers et aux entreprises d’être couverts de manière assez complète », estime Stéphane Pénet.
Gérer des situations dramatiques dans un contexte difficile
Sur le terrain, le suivi de la situation des personnes touchées à un titre ou à un autre a nécessité d’enclencher des procédures d’urgence. Rodé aux situations de crise, le FGTI a mobilisé rapidement une équipe de juristes, désigné un interlocuteur unique et édité un livret d’information afin de simplifier les démarches des victimes. Le ministère de la Justice a en parallèle mis en place divers dispositifs : cellule d’accueil téléphonique pour orienter les victimes, comité chargé du suivi des dossiers, etc.
Du côté des assureurs et de leurs intermédiaires, dès la survenance des événements, des équipes ont été mobilisées, mais celles-ci n’ont pas toujours pu intervenir sur les lieux aussi vite que prévu. « Pour des raisons administratives et des problématiques de sécurité, des explosifs ayant été laissés dans le magasin, il a fallu attendre plusieurs jours, le temps d’avoir le feu vert de la préfecture pour accéder aux locaux », indique Philippe Guetta de Finaxy Entreprise, le courtier du groupe Hypercacher. À Dammartin-en-Goële, « une fois les scellés levés et la première réunion organisée, il a fallu s’assurer que les dégâts causés au bâtiment ne remettaient pas en cause sa solidité, et faire intervenir pour cela des spécialistes. En attendant leur rapport, ce qui a pris une dizaine de jours, pas question d’entamer des réparations », témoigne Alain Grignon, agent général Generali qui assure l’imprimerie CTD où les frères Kouachi s’étaient retranchés.
Au-delà des contraintes logistiques, ce qui fait la particularité d’un dossier tel que celui que Generali France a eu à gérer, « ce n’est pas sa complexité technique, mais l’exposition médiatique et la dimension émotionnelle attachées à ces événements », souligne Éric Merville, de Generali France.
Pour apporter tout le soutien nécessaire dans ces circonstances, assureurs et intermédiaires ont eu à travailler en mode gestion de crise. Chez Finaxy, « le dossier a été suivi en priorité, même si, en termes d’enjeux financiers, ce n’est pas le plus important auquel nous avons à faire face », indique Philippe Guetta. Équipes étoffées, implication du management, suivi quotidien : ces dossiers sensibles ont nécessité des procédures spécifiques et un travail d’accompagnement soutenu. « Nous avons proposé au dirigeant de CTD différentes solutions, qu’il n’avait plus qu’à approuver, car, à son niveau, il fallait gérer l’événement, la pression médiatique, l’élan de solidarité et les relations avec ses contacts et clients », explique Éric Merville. Quel que soit le sinistre, la priorité est de reprendre l’activité au plus vite, et sans doute encore plus dans des situations aussi dramatiques. Dans le cas de l’Hyper Cacher de la Porte-de-Vincennes, dossier géré par Allianz France avec Finaxy, l’objectif était de permettre une réouverture avant début avril, c’est-à-dire avant la Pâque juive. « Nous avons donc établi un planning de travaux, reconfiguré le magasin, préparé les autorisations administratives et approvisionné les rayons en un temps record pour permettre la réouverture le 15 mars », explique Franck Le Vallois, directeur de l’indemnisation d’Allianz France.
Après ces événements, certains acteurs ont pris un peu de recul et commencent à mener des réflexions sur leur organisation. C’est le cas de Finaxy. « Nous avons été en mesure de gérer la situation. Mais les événements auraient pu se produire en période de congés, ce qui aurait peut-être changé la donne. Cette hypothèse nous amène à formaliser davantage les procédures à mettre en œuvre dans des situations sensibles et à identifier des solutions alternatives en cas de blocage », témoigne Philippe Guetta.
Des risques standards gérés comme des dossiers critiques
Les attentats de janvier ont marqué les esprits, mais n’ont pas remis en cause le système ni modifié de manière drastique les approches des assureurs. « Ces événements sont tragiques. Cependant, ils restent rares. Les attentats ne sont pas venus modifier notre politique de souscription, indique Franck Le Vallois d’Allianz France. En indemnisation, nous disposons depuis plusieurs années d’une structure multidisciplinaire dédiée à la gestion des sinistres majeurs et chargée d’accompagner les clients dans des situations sensibles. »
Ce que révèle cependant cet épisode dramatique, c’est que l’intensité du risque n’est pas forcément liée à la taille et à l’activité de l’entreprise. Une imprimerie familiale peut se retrouver du jour au lendemain en situation de crise aigüe. Or, contrairement aux grandes entreprises exerçant une activité à risques, les TPE et PME sont peu préparées. Et quand le pire survient, elles sont désarmées. « Même si les autorités sont présentes et les manifestations de soutien nombreuses, un dirigeant de PME se retrouve très seul dans ces circonstances », constate Alain Grignon.
Quelle que soit la nature du sinistre, sur le terrain, il s’agit de faire son métier d’assureur, malgré le contexte émotionnel, les contraintes pratiques ou la pression médiatique. Ce contexte « induit de la complexité pour l’assuré », selon Éric Merville de Generali France, « et nous oblige à être encore plus irréprochables, mais ce sont des conditions dans lesquelles nous sommes prêts à intervenir, y compris pour des clients qui n’ont pas a priori une forte exposition au risque ».
Néanmoins, des améliorations restent possibles : « Ne faudrait-il pas introduire dans les contrats des PME et des ETI des services d’assistance et d’accompagnement spécifiques, comme dans les programmes d’assurance grands risques, en cas de situation de crise ? », suggère Phillipe Guetta. Aller encore plus loin en matière de services : le secteur de l’assurance, dont l’image est encore souvent écornée, n’aurait rien à y perdre.
Indemnisation des dommages matériels
L’intervention des assureurs
La garantie attentats et actes terroristes est obligatoire dans les contrats couvrant le risque incendie. Depuis la loi du 9 septembre 1986, les garanties dommages aux biens des particuliers et des entreprises (bâtiment, véhicules, etc.), ainsi que les garanties pertes d’exploitation de ces dernières, doivent couvrir les dégâts causés lors d’un attentat ou d’un acte terroriste. L’indemnisation s’effectue sur la base des conditions prévues au contrat au titre de la garantie incendie. Les franchises, montants couverts et plafonds applicables sont ceux qui sont associés à cette garantie.
Un système de réassurance spécifique
Le groupement de Gestion de l’assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme (Gareat)
En complément de l’extension des garanties incendie aux dommages liés aux actes terroristes, le marché de l’assurance s’est doté en 2002 d’un groupement de coréassurance, le Gareat. La section grands risques de ce pool, à adhésion obligatoire pour les adhérents de la FFSA et du Gema, permet de couvrir les entreprises dont les capitaux assurés sont supérieurs à 20 M€. En plus de ce dispositif spécifique aux grands risques, a été créée en 2005 au sein du Gareat, une section petits et moyens risques à adhésion facultative.
Indemnisation des dommages corporels
Le fonds de garantie des victimes des actes terroristes et d’autres infractions (FGTI)
Le FGTI indemnise, quelle que soit leur nationalité, les victimes d’attentats commis en France depuis janvier 1985, ainsi que les victimes françaises à l’étranger. Cet organisme, qui prend aussi en charge les victimes d’infractions de droit commun, est financé en grande partie par une contribution de 3,30 € prélevée sur chaque contrat d’assurance dommages aux biens souscrit en France. Le FGTI indemnise intégralement les dommages corporels des personnes blessées, ainsi que les préjudices moraux et économiques des ayants droit des personnes décédées. Depuis 1985, 4 000 personnes ont été indemnisées à la suite d’actes terroristes, et plus de106 M€ ont été versés aux victimes (dont 6,5 M€ en 2014).
Philippe Guetta, directeur général de Finaxy Entreprise : « L’essentiel, c’est de rassurer »
Courtier depuis 2011 du groupe Hypercacher, qui compte douze magasins assurés par Allianz (fonds de commerce et locaux en location).
«Dès que j’ai eu connaissance de la prise d’otage, nous avons pris conscience de la dimension émotionnelle avant de penser aux conséquences financières. Très vite, nous avons pu contacter le dirigeant du groupe et l’informer que nous allions nous occuper des questions matérielles afin qu’il puisse se concentrer sur d’autres sujets tels que la situation de ses salariés. Nous sommes ensuite entrés en relation avec l’assureur, son expert et celui mandaté par notre client afin de pouvoir intervenir dès que les locaux seraient accessibles. Sur place, les dégâts se sont révélés multiples : dommages aux aménagements et équipements, perte de marchandises, etc. Une fois les expertises réalisées, nous avons obtenu des acomptes pour démarrer les travaux et enclencher la garantie perte d’exploitation, l’objectif étant que le magasin puisse rouvrir avant la Pâque juive, le 4 avril. Dans ce type de dossier, la rapidité des décisions et la disponibilité des équipes sont importantes. Mais l’essentiel, vu les circonstances, c’est de rassurer et de faire preuve de solidarité.»
Alain Grignon, agent général Generali : «Proposer des solutions à l’assuré et les orchestrer pour lui»,
L’imprimerie CTD de Dammartin-en- Goële a souscrit un contrat multirisque professionnel incluant une garantie perte d’exploitation auprès d'Alain Grignon.
«L’imprimerie CTD était déjà assurée par l’agence quand je l’ai reprise en 2006. C’est un client que je vois régulièrement et dont j’ai suivi le développement au fil du temps. Le 9 janvier, quand j’ai eu confirmation que l’imprimerie mentionnée à la radio était bien celle de Michel Catalano, j’ai eu du mal à réaliser. Ce qui m’a frappé ensuite, c’est à quel point ce dirigeant a été sollicité et exposé, et à quel point il faut être solide pour faire face. Dans ces circonstances, l’accompagnement au quotidien est primordial. L’assuré reste celui qui décide, mais il faut être en mesure de lui proposer différentes solutions, que ce soit en termes de gardiennage, de transfert des outils de production vers des locaux temporaires, de réparation, etc., de financer celles qu’il a validées, ce qui a pu être fait grâce à l’avance de 100 000 €, et de les orchestrer pour lui. À ce stade, sa plus grande inquiétude, c’est de perdre les clients qu’il n’est pas en mesure de servir du fait des dégâts. D’où l’importance d’agir efficacement afin qu’il puisse reprendre son activité au plus vite.»
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