Complémentaire santé : ANI, la course dans la brume

La généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés suscite beaucoup d’appétits. Mais à trois mois de son échéance, pas de raz-de marée, alors que les pouvoirs publics changent à nouveau les règles.

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Complémentaire santé : ANI, la course  dans la brume

Le 29 mai 1976 : au petit matin, le voilier Pen Duick VI émergeait de la brume de Newport et, contre toutes attentes, éric Tabarly remportait sa seconde Transat. La généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés s’apparente aux transatlantiques des années 60 et 70, courues sans GPS ni relais satellites : elle n’a pas fini de réserver son lot de surprises.

Ce qui change au 1er janvier 2016

  • L’assurance complémentaire santé des salariés devient obligatoire pour tout le secteur privé.
  • L’employeur doit financer au moins à 50% une couverture minimale (panier de soins ANI).

Voilà pourtant trois ans que l’ANI, à savoir l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, est sur toutes les lèvres. La loi de sécurisation de l’emploi du 13 juin 2013, qui a transposé l’accord des partenaires sociaux, est très claire : au plus tard le 1er janvier 2016, tous les salariés du secteur privé de France et de Navarre devront bénéficier d’une assurance maladie complémentaire. Mais à trois mois de cette échéance, beaucoup doutent qu’elle soit tenue. Selon le sondage Odexa/groupe Humanis, publié fin août, un tiers des entreprises n’étaient pas prêtes et la moitié d’entre elles n’avaient jamais entendu parler de cette réforme. Début septembre, une autre enquête Ifop/Swiss Life révélait que 47% des salariés des entreprises de moins de 50 salariés – cible première de la réforme – étaient toujours dépourvus de couverture santé.

Les entrepreneurs ont d’autres échéances à tenir au 1er janvier 2016, tout particulièrement la déclaration sociale nominative (DSN) et le contexte économique, avec une croissance économique qui peine à décoller, n’est pas forcément propice à la dépense. « Les 300 000 entreprises de moins de 1 à 9 salariés, essentiellement concernées, ne se bousculent pas. Elles appliqueront la loi en catastrophe, en ayant recours à la DUE (ndlr : déclaration unilatérale de l’employeur) qui permet aux salariés alors présents à l’effectif de maintenir leur couverture individuelle », confirme le directeur général de la mutuelle Prévifrance, Henry Mathon.

En attente d’une déferlante

Tous les acteurs du marché veulent croire à un rush sur les trois derniers mois, mais l’analyse du directeur des collectives de Crédit agricole Assurances, Pierre Guillochaud, est largement partagée : il n’y aura pas de big bang au 1er janvier 2016. Bref, cette généralisation devrait déborder sur le premier semestre 2016, voire sur toute l’année. Et sans d’ailleurs arriver forcément à couvrir 100% des salariés. Si le gouvernement tente d’apporter une réponse au cas des précaires (lire encadré), le chef d’entreprise hors-la-loi n’a à redouter qu’une action de ses salariés devant les Prud’hommes, un risque faible dans les TPE.

Assez étrangement personne n’enregistre de résiliations individuelles importantes, alors qu’à quelques exceptions près, tout le monde affirme engranger de bons résultats sur le front de la collective. « C’est l’école des fans », ironise un bon connaisseur du dossier. Et en attente des chiffres 2015 et 2016, il faut s’en tenir à quelques signaux faibles. Fait notable sur ce marché encore en progression (+3,5%), deux acteurs affichent des cotisations en recul sur l’exercice 2014 dans le « Top 30 santé » de L’Argus de l’assurance publié en juin dernier, deux acteurs… majoritairement positionnés sur l’assurance santé individuelle. Si Groupama évoque « des redressements techniques », Swiss Life reconnaît la dureté de l’époque. La compagnie, malgré une croissance de 18% sur le collectif, enregistre un nouveau recul en santé sur les six premiers mois de l’année et Pierre François, directeur général de Swiss Life prévoyance et santé, invoque « un marché beaucoup plus concurrentiel qu’imaginé » avec de nouveaux arrivants qui n’hésiteraient pas à casser les prix.

« La différenciation se fait essentiellement sur les prix et pas sur l’offre. Les gammes sont très proches, et il est toujours compliqué d’innover en santé », souligne Mylène Favre-Beguet, associée du cabinet d’actuariat Galea. Il serait impossible de gagner sa vie en dessous d’une prime mensuelle à 25 € pour le panier de soins ANI. Une grande compagnie italienne le propose pourtant aux environs de 15 € et April a fixé le sien à 19 €. « C’est un prix compétitif. Nous sommes dans une toute nouvelle configuration du marché, avec de nombreuses inconnues sur le taux d’utilisation du socle et le recours aux renforts, où les marges sont proches de l’individuel », justifie Bruno Rousset, pdg d’April.

Petites primes, vaste cible, et marges bien inférieures à l’assurance santé individuelle… l’équation économique est retorse. Tout est bon pour réduire les coûts d’acquisition et de gestion. L’externalisation a le vent en poupe mais les comparateurs font l’amère expérience du peu d’appétence des TPE pour l’Internet. « Il faut un continuum entre digital et réseau physique. Ce type de couverture est bien trop complexe pour laisser l’entrepreneur naviguer tout seul », estime Henry Mathon de Previfrance. Du « phygital » pour mettre en pratique le leitmotiv du marché : le MUL-TI-éQUI-PEMENT. C’est le pari de l’ANI… profiter d’avoir mis un pied dans la porte pour vendre des tas de choses aux dirigeants ou aux salariés. La recette est connue – elle a fait les beaux jours de la bancassurance – mais tout le monde est loin d’être convaincu du succès annoncé de la surcomplémentaire.

« L’ANI est une formidable opportunité », insiste Bruno Rousset qui pointe également « l’ouverture du marché avec la fin des clauses de désignation ». Le Conseil constitutionnel a saisi l’occasion de l’examen de la loi du 14 juin pour interdire aux partenaires sociaux de désigner un ou plusieurs assureurs pour gérer un régime santé de branche. Le 16 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris a toutefois calmé les ardeurs des entreprises qui envisageaient de changer illico d’assureur. Et plus de deux ans après la censure des Sages, les clauses de désignation bougent encore. Dominique Libault vient de rendre les conclusions définitives de la mission sur la mutualisation que lui avait confiée la ministre de la Santé. L’ancien directeur de la Sécurité sociale juge nécessaire de rétablir de possible désignations dans certaines branches, et de traiter à part le cas de la prévoyance.

Ne laisser personne sur le rivage

Autre dossier sensible relancé par l’ANI : les retraités. Lors du congrès de la Mutualité de Nantes, de juin dernier, le président de la République a annoncé des mesures pour réduire leur facture santé qui s’envole. De la concertation et pas de précipitation, insiste le président de la Mutualité française, qui défend le crédit d’impôt. La ministre de la Santé ne l’a pas vraiment entendu puisqu’elle a, d’ores et déjà, annoncé une réforme de la loi évin dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016. L’encadrement de la cotisation serait ramené en dessous de 150% les trois ou cinq premières années de la retraite. « Une telle mesure poserait de sérieux problèmes financiers, dans la mesure où le plafonnement actuel à 150% ne permet pas déjà d’équilibrer les dépenses des retraités. Et je n’imagine pas ses conséquences pour les portefeuilles vendus à perte », commente Mylène Favre-Beguet. Chassez le modèle économique, il revient au galop…

Dispenses et chèque santé

La réglementation prévoit de nombreux cas de dispense d’adhésion à la couverture obligatoire d’entreprise. C’est le cas si le salarié est présent lorsque le régime est instauré par DUE de l’employeur, mais également s’il bénéficie de la CMU-C ou de l’ACS ; s’il est déjà couvert en collective par son conjoint ou un autre employeur ou s’il est titulaire d’un contrat de travail de moins d’un an. Cela « risque de maintenir un haut niveau de non couverture parmi les personnes âgées de moins de 30 ans et les salariés les plus pauvres », relève une étude de l’Irdes. C’est pourquoi le gouvernement vient d’annoncer la création d’une aide individuelle de l’employeur pour ces « précaires », égale à l’abondement patronal au contrat d’entreprise.

Une ligne d’arrivée floue

  • L’enquête PSCE de l’Irdes est la seule étude publique exhaustive sur l’équipement des entreprises en collective santé. Mais la dernière édition remonte à 2009 et son actualisation ne sera pas publiée avant 2017-2018.
  • L’étude d’impact de la loi du 14 juin 2013 chiffrait à un peu moins de 25 % des 18 millions de salariés du secteur privé, l’effectif concerné par l’ANI, soit 4,3 millions de personnes dont 414 000 ne possédant aucune couverture santé.
  • Une étude Actuaris de juin 2013 évoquait 4,7 millions de salariés concernés sur un total de 19 millions. Une actualisation fin 2014 citait 2,8 millions de salariés encore potentiellement concernés dont 141 000 pas du tout couverts.
  • La situation des ayants droits de salariés et l’incertitude sur le taux de recours aux nombreux cas de dispenses d’affiliation fragilisent les évaluations.

Des vents contraires

  • Réformes concomitantes du cahier des charges des contrats responsables et de l’aide à la complémentaire santé (ACS).
  • Retards dans la publication des textes.
  • Retour du débat sur les désignations d’organismes assureurs dans les branches à la suite de la mission Libault.
  • Nouvelles dispositions sur la couverture santé des retraités.

Une navigation complexe

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Des points d’étape divergents

  • 71% des entreprises de moins de 10 salariés proposeraient déjà une complémentaire santé.

Source : sondage Audirep pour l’AFA et la FNMF réalisé en avril 2015.

Mais seulement

  • 39% des salariés des entreprises de moins de 5 salariés et 54% de celles de moins de 10 salariés bénéficieraient d’une couverture collective.

Source : sondage IFOP pour Swiss Life réalisé en juillet 2015.

L’ANI peut constituer un véritable « tsunami » pour le marché des complémentaires.*

Gérard Bapt, député PS, mars 2013

*Dans une note adressée à Bruno Leroux, président du groupe PS, et Jean-Marc Germain, rapporteur du projet de loi de sécurisation de l’emploi

Il n’y aura pas de grand soir, pas de big bang au 1er janvier 2016. Les entreprises, qui ne sont pas encore équipées, ne se précipitent pas pour le faire.

Henry Mathon, directeur général de la mutuelle Prévifrance, mars 2015

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