Vers une révolution culturelle

Face aux « mini-cat' » de 2013, et sous l'impulsion du ministère, un contrat de base « coup dur » est en passe de voir le jour. Fini l'indemnisation du manque à gagner, place à des remboursements des coûts de production : tels sont les fondements d'une assurance plus abordable.

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La multiplication des intempéries de toute sorte en 2013 a joué comme un déclencheur. Gel, inondation, grêle, tempête : aucune région de France ni aucun type de récolte n'ont été épargnés. Interpellé par les agriculteurs, peu couverts contre ces aléas climatiques, le ministère de l'Agriculture a décidé de faire le point.

Pourquoi les exploitants appellent-ils l'État à l'aide, alors que ce risque est sorti du fonds des calamités agricoles depuis 2009 ? Pourquoi seules 35% des grandes cultures sont aujourd'hui assurées ? Quelles modifications apporter au contrat récolte existant pour permettre une plus grande adhésion et sécurisation des exploitations ? Telles sont les questions posées au groupe de travail constitué dès juillet 2013. « Le ministère de l'Agriculture a organisé des rencontres pour dresser un état des lieux de l'assurance récolte, et nous avons abouti au constat alarmant que la Ferme France était " en risque ", puisqu'insuffisamment assurée contre les aléas climatiques », explique Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l'agriculture de Pacifica (Crédit agricole Assurances). « On ne peut pas se dire acteur engagé et laisser des agriculteurs sur le bord de la route, sans aucune couverture », ajoute François Schmitt, président de Groupama Grand Est, délégué en charge des questions agricoles et agriculteur.

Le financement encore en suspens

Le ministre a sollicité les assureurs pour qu'ils fassent des propositions portant sur un contrat socle " coup dur ", dès la fin du premier semestre 2014. « La FFSA a bien avancé. Trois référentiels ont été présentés en mars pour les grandes cultures, la vigne et l'arboriculture. Nous espérons pouvoir rendre celui sur les prairies rapidement. Nous serons dans les temps pour répondre à la commande du ministère et partager le fruit de nos réflexions avec les professionnels. Des décisions sont attendues à l'automne 2014 », confie Jean-Michel Geeraert.

Fruit de ce travail, le contrat " coup dur " dessiné par toutes les parties prenantes ne pourra pas être commercialisé avant avril 2015, les renouvellements d'avril 2014 (par tacite reconduction) étant déjà passés. Si les assureurs ont réussi, fait remarquable, à se mettre d'accord sur un contrat socle unique avec des garanties identiques, de nombreuses questions restent en suspens, notamment le financement du dispositif, qui entrerait dans l'enveloppe de subventions annuelles de la PAC (de l'ordre de 77 M€ par an jusqu'en 2017).

Si le futur contrat rencontre le succès espéré auprès des agriculteurs, permettant une meilleure mutualisation et sécurisation du risque, tous s'accordent à dire que cette enveloppe ne suffira pas, parlant à mi-voix de plusieurs centaines de millions d'euros... Groupama, qui détient 80% des contrats assurance récolte (dont 1 sur 2 a donné lieu à une ouverture de dossier sinistre en 2013), a prévenu : « Nous sommes engagés pour la protection des exploitations agricoles, mais nous n'avons pas vocation à porter seul les risques de la Ferme France. La volonté des pouvoirs publics et les moyens financiers doivent suivre. » Avis partagé à L'Étoile où Arnaud de Beaucaron, son directeur général, se dit « pessimiste pour ce contrat socle » sans soutien financier supplémentaire. François Schmitt conclut : « Que ce soit en Chine, en Amérique du Nord, en Italie, en Espagne, il n'y a aucun exemple dans le monde d'une assurance récolte qui se soit développée sans subvention publique et sans un soutien fort de l'État. »

2003

Les agriculteurs reprochent au FNGRA (ex-Fonds des calamités agricoles) d'avoir des critères d'indemnisation trop stricts. Exemple, les dommages sur les cultures doivent dépasser 30%, et la perte de CA être supérieure à 13%. L'indemnisation, forfaitaire, n'est réglée qu'au bout de six mois.

2005

La plupart des assureurs du marché lancent un contrat multirisque récoltes à la demande de l'État, qui souhaite leur laisser, à terme, l'entière gestion de ce risque, considéré comme « assurable », suivant les recommandations de l'article 64 de la PAC.

2009

Après quatre ans d'expérimentation, les grandes cultures sortent du FNGRA, puis les vignobles en 2010. Les agriculteurs sont incités à s'assurer, grâce à une subvention équivalente à 65 % du montant de la prime. Ils peuvent aussi choisir d'assumer seuls le risque de perte de récoltes.

2013

Des intempéries exceptionnelles affectent l'ensemble des cultures du territoire, dont plus des deux tiers ne sont pas couvertes. La moitié des assurés de Groupama sur ce risque ouvrent un dossier sinistre. Les rapports S/P des principaux acteurs dépassent les 100 %.

Juillet 2013

Suite à la pression des agriculteurs, le ministre, Stéphane Le Foll, monte un groupe de travail sur l'assurance récolte. Il rassemble les assureurs, les réassureurs, les institutions des différentes filières agricoles et les ministères concernés (Agriculture, Écologie, Finances et Budget).

Fin juin 2014

Le groupe de travail remet sa copie et dessine les caractéristiques d'un contrat socle « coup dur » pour chaque filière. Le ministre doit rendre ses arbitrages à l'automne.

À quoi ressembera le contrat SOCLE « ASSURANCE COUP DUR » ?

Le contrat socle a été bâti dans l'idée d'offrir une garantie minimale, identique chez tous les assureurs, à un prix abordable. Pour parvenir à un niveau de prime inférieur à celui de l'assurance récolte actuelle, l'assiette de calcul a été revue. Elle ne serait plus basée sur le prix de vente, mais sur le coût de revient, comprenant notamment les charges opérationnelles et de structure. L'agriculteur ne serait donc plus indemnisé à hauteur de son manque à gagner, mais à hauteur de ce que cela lui a coûté à produire. Cette assurance n'a pas vocation à être déclenchée fréquemment, comme le contrat grêle par exemple. Mais en cas de vrai coup dur mettant à mal la santé financière, voire la survie de l'entreprise, le contrat jouera et permettra de relancer les cultures. Pour Arnaud de Beaucaron, directeur général de L'Étoile, qui affiche 10% de croissance par an pour son contrat récolte, « les agriculteurs sont habitués à compenser les pertes d'une culture par les recettes des autres, et l'inverse l'année suivante. Pour ceux-là, le contrat socle " coup dur " peut en effet suffire, avec une franchise sur l'exploitation. Mais pour ceux qui ont de gros emprunts à rembourser par exemple, le contrat récolte est plus couvrant ». À noter que la franchise devrait se situer autour de 30%, et qu'en plus de ce contrat de base, des garanties complémentaires en option seront proposées selon les filières, permettant là à chaque assureur de se démarquer.

Comment remporter l'adhésion des agriculteurs ?

Avec des garanties de base identiques et une cotisation moindre, la visibilité et l'appropriation du contrat « coup dur » devraient être meilleures que pour l'assurance récolte actuelle. Plébiscité et réclamé par les agriculteurs, soutenu par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et ses filières, ce contrat devrait être plus facile à vendre. « Les assureurs sont en partie responsables du démarrage difficile de l'assurance récolte. Beaucoup d'agriculteurs ont cru à tort qu'elle était inabordable et que le seuil de déclenchement était trop élevé pour la rendre efficace. Or, le coût ne dépasse pas celui d'un traitement phytosanitaire ! Et même si chaque année nous enregistrons 5% de surfaces supplémentaires assurées, il nous appartient de démontrer à nouveau l'utilité réelle de l'assurance récolte afin de développer le marché », reconnaît Jean-Michel Geeraert (Pacifica).

Pour François Schmitt (Groupama), « il y aussi en France un problème d'appropriation de la culture du risque, contrairement aux pays anglo-saxons, qui y sont plus habitués ». « Les exploitants connaissent l'existence de ce contrat, mais ne se sentent pas toujours concernés », confirme Arnaud de Rincquesen, directeur général de La Rurale (Allianz). Afin de se donner plus de chance de remporter l'adhésion du plus grand nombre, et donc de pérenniser ce dispositif de « sécurisation des exploitations », la FNSEA a proposé, au sein du groupe de travail, un système d'incitation « consistant à lier la souscription de ce nouveau contrat à l'obtention d'une aide ou d'un droit ». Il pourrait s'agir de l'aide directe de soutien aux prix ou de remises accordées sur le foncier... « C'est aux exploitants agricoles de décider. Ils doivent rester maîtres et responsables de la souscription », ajoute Arnaud de Rincquesen. Une chose est sûre, celle-ci ne sera certainement pas obligatoire...

Ce contrat sera-t-il aussi subventionné ?

Oui, selon les mêmes modalités que le contrat récolte actuel, à savoir une subvention annuelle d'une partie du montant de la prime, que l'agriculteur reçoit avec décalage l'année suivante. « Bien que bâti à son plus juste prix, le contrat " coup dur " est encore jugé économiquement trop coûteux pour certaines productions sensibles comme la vigne ou l'arboriculture. La subvention des pouvoirs publics pour développer la souscription et le taux de pénétration est un levier efficace. Si elle est pérenne, elle permettra une mutualisation plus importante », estime Isabelle Le Bot, directrice du marché des professionnels d'Axa France. Mais quid alors du problème de dépassement de l'enveloppe globale de subventions accordées chaque année par la PAC (et en partie par l'État), fixée à 77 M€ par an jusqu'en 2017 ? Pour la première fois en 2013, le montant des primes « subventionnables » a été dépassé, atteignant près de 105 M€. Le « stabilisateur budgétaire » a donc été déclenché et le montant des subventions revu à la baisse, afin de rester dans l'enveloppe.

Ainsi, les subventions pour l'année 2013 ne seront que de 43%, au lieu de 65% pour les grandes cultures. « C'est un très mauvais signe adressé aux agriculteurs assurés, même si on les prévient toujours à la souscription que la subvention est " ajustable " en fonction des années », affirme François Schmitt (Groupama). « C'est une situation instable qui nous oblige constamment à nous repositionner vis-à-vis de nos assurés. Et cela ne contribue pas à la visibilité et à l'expansion de cette couverture », estime pour sa part Jean-Michel Geeraert (Pacifica). Le changement de l'assiette de calcul de la « nouvelle assurance récolte » devrait faire baisser le montant des cotisations de l'ordre d'un tiers, réduisant mécaniquement le montant des subventions demandées. Mais la montée en puissance de ce contrat, souhaitée par tous, devrait rapidement compenser ce phénomène et se trouver confronter, bien avant 2017, à cette enveloppe bloquée à 77 M€.

Quelle existence dans la nouvelle PAC ?

Même si la prochaine révision de la PAC n'a lieu qu'en 2020, tous les acteurs ont les yeux rivés sur 2017, date du bilan d'étape donnant lieu à d'éventuels aménagements. « Compte tenu de l'ambition que nous avons sur la diffusion du contrat " coup dur ", inutile de dire que l'enveloppe actuelle est largement insuffisante. Le cadencement de la mise en place des contrats d'assurance de base et complémentaire doit venir se caler sur la révision de la PAC à mi-parcours en 2017 : une gestion des priorités budgétaires s'imposera », estime Joël Limouzin, rapporteur du volet gestion des risques du rapport d'orientation de la FNSEA. Il ajoute : « Avec le " Farm Bill ", les États-Unis ont fait le choix de renoncer aux aides directes au profit de dispositifs assurantiels. Nous devons réfléchir aux mécanismes similaires que nous pourrions mettre en place et qui permettraient de relégitimer les aides de la Pac. Nous nous interrogeons par exemple sur l'opportunité qu'il y aurait à proposer un fléchage d'une partie du budget de la Pac sur des dispositifs assurantiels. » Le débat promet d'être vif...

Les chiffres clés

  • 515 000 Le nombre d'exploitations agricoles en France, pour une superficie moyenne de 100 ha.
  • 1 ha sur 3 en grandes récoltes et 1 ha sur 5 en vignes assurés contre les aléas climatiques.
  • 71 Md€ Le chiffre d'affaires de l'agriculture française (au premier rang européen).
  • 1,6 Md€ Le volume de primes annuelles du marché en 2012, dont 235 M€ pour l'assurance multirisque climatique sur récoltes.
  • 35 €/ha La prime moyenne en assurance récolte en grandes cultures (avant subvention), jusqu'à 60 € par ha en viticulture.
  • 57% La part de Groupama dans l'assurance agricole (et 80% de l'assurance récolte à ce jour, avec 85 000 contrats).

LAURENT MONTADOR, directeur catastrophes naturelles, fonds publics et études techniques de CCR

« CCR se tient prête à jouer le rôle que l'État lui demandera de tenir »

« Les travaux en cours pour bâtir un contrat socle minimum, qui pourrait être réglementé, visent à améliorer le taux de pénétration de l'assurance récolte, aujourd'hui trop hétérogène pour garantir une mutualisation efficace des risques. En l'absence de souscription obligatoire, un taux proche de 50% serait déjà satisfaisant. On sent une vraie volonté pour y arriver, tant chez les agriculteurs que chez les assureurs et les réassureurs. CCR se tient prête à jouer le rôle que l'État lui demandera de tenir. Rien n'est encore décidé, mais il est possible que l'on s'oriente vers une architecture de gestion des risques mêlant le privé et le public, l'assurance et la solidarité nationale, avec un encadrement de l'État qui rassurerait les exploitants. »

 

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