Assureurs systémiques : plus vous êtes gros, plus ce sera cher !
La révision de la désignation des groupes d’assurance réputés systémiques suscite déjà des interrogations. Les assureurs redoutent l’intégration de produits traditionnels dans le compartiment des activités jugées à risque, donc coûteuses en capital.

Ce qui est rare est cher, ce qui est gros aussi ! Les grands assureurs internationaux seront bientôt fixés sur le nouveau prix à payer en capital pour continuer d’abriter des activités considérées comme systémiques, c’est-à-dire dont la faillite éventuelle pourrait avoir des répercussions sur la solidité du système financier mondial. Et pour cause : sous la houlette du Conseil de stabilité financière (FSB), l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (IAIS), qui planche actuellement sur une révision de sa méthodologie de désignation des assureurs réputés d’importance systémiques (les fameux G-SIIs), a promis de remettre sa copie définitive d’ici fin 2016. Le temps pour elle d’arrêter sa philosophie mais aussi d’éplucher les réponses des neuf assureurs concernés et celles des organisations professionnelles, recueillies durant la phase de consultation qui s’est achevée fin janvier.
Affiner les critères de désignation
Il faut dire que les doléances ne manquent pas, tant la première méthode de désignation élaborée en 2013, largement inspirée de celle retenue pour les banques, est vivement contestée. Elles portent sur la notion même de « systémicité ». Dans sa réponse à la consultation, Insurance Europe, la super fédération européenne de l’assurance met, en effet, en garde contre les « méthodologies actuelles et proposées qui ne distinguent pas suffisamment les assureurs exposés aux risques systémiques, de ceux créant un risque systémique ». Selon l’organisation, l’IAIS entretiendrait une confusion depuis l’origine dans sa définition entre les organismes « émetteurs » de systémicité (system to firm), des organismes « récepteurs », c’est-à-dire particulièrement exposés en cas de crise financière (firm to system).
Autre critique formulée : la prépondérance de la taille, qu’elle soit explicite ou implicite, dans la méthodologie, au risque de négliger le degré de diversification. « Le standard international soulève la question de l’égalité de traitement. On ne peut pas imposer des contraintes complexes à un petit nombre d’acteurs qui, tous les jours, sont en concurrence sur le marché avec d’autres acteurs à qui ces contraintes ne leur seraient pas imposées », souligne Marc-Philippe Juilliard, directeur chez Standard & Poor’s. Et d’ajouter : « D’autant qu’il n’est pas interdit de penser que les gros sont mieux équipés. Partant ainsi d’une bonne intention, le superviseur pourrait créer une situation qui ne répondra pas aux ambitions. »
Révision des NTNI
L’autre pan de la révision de l’IAIS, tout aussi sensible, porte sur les activités dites « non assurantielles, non traditionnelles » (les « NTNI »), c’est-à-dire en dehors du cœur de métier de l’assureur. À commencer par les garanties financières de type variable annuities, très répandues aux États-Unis, les activités sur les marchés de dérivés de crédit, ou celles de financement à court terme… Bref, ce que l’on qualifie de « shadow banking », c’est-à-dire le champ à risque du financement non bancaire de l’économie, responsable, entre autres, de la déroute d’AIG et la chute de Lehman Brothers en 2008. Tout l’enjeu de l’IAIS sera de répondre autant au besoin de clarification de la définition des NTNI que de leur périmètre. Car plus l’acception des NTNI sera large, plus la surcharge en capital des assureurs systémiques sera coûteuse.
À ce stade, les débats se cristallisent davantage sur les activités non traditionnelles (« NT »). « Si l’on se réfère aux seules propriétés intrinsèques et juridiques, deux caractéristiques des produits en termes contractuels sont susceptibles d’induire l’identification d’activités NT : lorsque les produits exposent à un risque majeur de marché (produits fortement optionnels comme les variable annuities, où la promesse de l’assureur est en fait lié à la performance d’un actif sous-jacent) ; quand les produits présentent un risque de liquidité lorsque l’assureur peut avoir à restituer immédiatement la totalité de ses provisions à ses assurés », explique Romain Paserot, directeur des affaires internationales de l’ACPR. Difficile de ne pas identifier entre les lignes des produits largement répandus sur le marché européen. En clair, l’assurance vie a-t-elle vocation à rejoindre le clan des très sulfureuses activités NTNI ? « En l’absence de pénalités de rachat et/ou lorsqu’il existe des décalages importants de maturité entre les passifs et les actifs disponibles, il peut exister un risque de liquidité en assurance vie », pointe Jacques Cornic, associé en charge des activités de conseil assurance de KPMG.
Reste qu’en assurance vie, les runs massifs ont été rares pendant la crise. Toutefois, dans un environnement de taux bas persistants, le risque peut être amplifié. « En Europe, dans des marchés autres que la France, l’assurance vie offre davantage de garanties de rendement ou de taux d’annuités. À ce titre, la question de les faire figurer dans les NT pourrait se poser », explique Peter Etzenbach, directeur général délégué en charge de l’unité finance d’Allianz France. Sans compter le risque de distorsion de concurrence entre plusieurs juridictions. Selon nos informations, l’objectif de l’IAIS serait de parvenir à la publication d’une liste de produits NT par juridiction. Or, l’arbitrage autour des produits NT ne repose pas seulement sur des motivations techniques, il serait tout autant politique. Le lobbying américain, qui a dû céder du terrain sur les variable annuities, se montre particulièrement actif auprès de l’IAIS pour exiger une contrepartie européenne…
Scinder ses activités pour limiter sa taille
Certains, d’ailleurs, n’ont pas attendu l’issue des discussions pour tenter de s’affranchir des contraintes en capital liées à leur désignation systémique. Mi-janvier, l’assureur vie américain MetLife faisait part de son intention de se séparer de sa division Retail aux États-Unis, laquelle loge 60 % de son activité de variable annuities. Une réorientation stratégique dictée par les obligations réglementaires qui pèsent sur l’assureur, doublement systémique ! Depuis 2014, MetLife est en effet reconnu par le Conseil américain de surveillance de la stabilité financière (Financial Stability Oversight Council) groupe financier d’importance systémique (Sifi – Systemically important financial institution), en plus de sa désignation par l’IAIS. En tant que Sifi, le groupe est soumis à des exigences de capital réglementaire, lesquelles constituent « un inconvénient de compétitivité significatif », souligne Steven A. Kandarian, son PDG. Initiative du même ordre chez AIG, qui envisage de scinder son activité d’assurance hypothécaire, sous la forme d’une scission partielle, via une distribution aux actionnaires d’une partie du capital de la filiale, dont le groupe resterait actionnaire. Un procédé, appelé de ses vœux par le milliardaire et actionnaire d’AIG Carl Icahn, qui vise à créer des entreprises plus petites de nature à faire tomber l’étiquette de systémique. « Réguler davantage celui qui est gros et donc systémique n’aboutit pas forcément à l’objectif qui est de réduire les risques dans les marchés financiers. Les marchés financiers sont-ils moins risqués une fois que les activités NTNI sont gérées séparément ? Je ne le pense pas. Pire, le risque est sans doute amplifié », rappelle Peter Etzenbach. Preuve, s’il en est, que lier taille et surcroît d’exigences de capital trouve vite sa limite.
Quatre ans pour harmoniser le cadre prudentiel international !
- Janvier 2016 Réponse des assureurs à la consultation publique de l’IAIS sur la méthodologie de désignation des assureurs systémiques.
- 2016 Élaboration d’une méthodologie définitive de désignation des G-SIIs et validation par le FSB.
- 2016 Publication d’une liste de réassureurs systémiques.
- 2016 Publication d’une liste de produits non traditionnels (NT) par juridiction.
- 2017 Projet de révision du HLA, sur la base du draft adopté au G20 de novembre 2015.
- 2017 Identification des IAIGs (groupes d’assurance actifs à l’international).
- 2018 Adoption formelle de l’ICS, volet quantitatif du ComFrame, cadre commun de supervision des IAIGs.
- 2019 Entrée en vigueur du HLA révisé.
- Fin 2019 Application de l’ICS, nouveau standard de capital international à l’ensemble des IAIGs.
Manuela Zweimueller, directrice des régulations de l’Eiopa (1) : «Le risque systémique ne repose pas sur la taille des assureurs en tant que telle»
- La norme internationale applicable aux assureurs systémiques devrait-elle prendre en compte les spécifications de Solvabilité 2 ?
En théorie, les deux cadres ne se contredisent pas, mais l’Eiopa estime que les deux doivent respecter une cohérence. Cela deviendra encore plus pertinent à l’avenir. Nous pensons que les principes risk based du cadre européen devraient être appliqués à l’échelle internationale. Solvabilité 2 devrait servir de mise en œuvre pratique de l’ICS, la future norme de capital destinée à tous les groupes d’assurance actifs à l’international. Il ne serait pas approprié d’avoir deux normes appliquées en parallèle. Ce serait un fardeau pour l’industrie. Les groupes d’assurance devraient être soumis à une seule exigence de capital.- Est-ce que le caractère systémique de l’assurance repose uniquement sur le principe de la taille ?
Les assureurs avec un volume d’affaires élevé sont susceptibles d’avoir une plus grande exposition aux activités risquées. Cependant, le risque systémique ne repose pas sur la taille des assureurs en tant que telle, mais sur les différents types d’activités qu’ils exercent. La future révision de Solvabilité 2 devrait prendre en compte les progrès réalisés au niveau international. Toutefois, il appartiendra à la Commission européenne de proposer la manière d’intégrer ces normes internationales dans la législation de l’UE.- À terme, les assureurs systémiques devront-ils se séparer de leurs activités non traditionnelles, non assurantielles ?
L’approche de l’Eiopa repose sur les principes de Solvabilité 2, selon lesquels les entreprises commercialisant des produits qui intègrent des risques complexes devraient détenir un capital adéquat et effectuer une gestion appropriée des risques en fonction de leur appétit. Les assureurs systémiques ne seront donc pas contraints à réduire leurs activités NTNI. Cependant, ils doivent bien mesurer les risques inhérents à ces activités et se tenir prêts à les atténuer le cas échéant. L’Eiopa suit de près les discussions concernant la révision de la méthode de désignation G-SIIs. Nous n’anticipons pas de modifications majeures par rapport à la méthodologie existante.(1) Autorité de contrôle européenne des assurances et des pensions professionnelles.
GLOSSAIRE
- FSB (Financial stability board). Le Conseil de stabilité financière a été créé lors de la réunion du G20 à Londres en avril 2009, au lendemain de la crise, succédant au Forum de stabilité financière institué en 1999 à l’initiative du G7. Il a pour mission d’identifier les vulnérabilités du système financier mondial et de développer des principes en matière de régulation et de supervision dans le domaine de la stabilité financière.
- IAIS (International association of insurance supervisors). L’Association internationale des contrôleurs d’assurance est une association dont le but est de promouvoir la coopération entre ses membres, principalement des autorités de contrôle et de régulation de l’assurance, mais aussi de développer la collaboration avec les autorités de contrôle des autres secteurs financiers (banques, bourses, etc.). Cette coopération est nécessaire compte tenu de l’internationalisation des groupes d’assurance et de leur diversification dans les métiers de la banque ou la gestion d’actifs.
- G-SIIs (Global systemically important insurers). Les G-SIIs désignent les groupes d’assurance d’importance systémique, c’est-à-dire dont la faillite serait à même d’entraîner un effet domino sur le système financier international. L’IAIS en a, à ce jour, recensé 9 : Aegon, AIG, Allianz, Aviva, Axa, MetLife, Ping An, Prudential Financial, et Prudential PLC. La méthodologie de désignation des G-SIIs sera revue en 2016 en précisant notamment les caractéristiques des « activités non traditionnelles, non assurantielles » NTNI (non-traditional insurance and non-insurance).
- NTNI. Les NTNI désignent les « activités non traditionnelles, non assurantielles » des assureurs et qui font peser un risque systémique. Actuellement, ce critère pèse pour 45 % dans la méthodologie de désignation des G-SIIs (40 % pour les interconnexions, 5 % la taille, 5 % le caractère global de l’activité et 5 % la capacité de substitution). On y retrouve notamment les garanties financières de type variable annuities, les activités sur les marchés de dérivés de crédits ou encore les produits d’investissement présentant un risque de liquidité élevé.
- IAIGs (Internationaly active insurance group). Ce sont les groupes d’assurance internationalement actifs, qui seront à terme soumis à l’ICS. Une étude d’impact montre qu’une cinquantaine d’acteurs sont, a priori, concernés. Une première identification officielle devrait intervenir d’ici fin 2016.
- BCR (Basic capital requirement). Norme de capital simplifiée dont les principes ont été adoptés en 2014 par le FSB et le G20. Il correspond à l’exigence minimale en fonds propres applicable aux groupes systémiques, dont les modalités de calcul ont été réévaluées fin 2015 en vue d’une convergence progressive avec l’ICS.
- HLA (Higher loss absorbency). Il s’agit d’un coussin de sécurité en capital qui vise à accroître la capacité de résistance aux chocs des G-SIIs. Cette surcharge en capital, qui s’ajoutera à l’exigence socle de base (BCR), correspond en moyenne à 10 % de fonds propres supplémentaires. Une première version du HLA (draft) a été successivement adoptée par le FSB en octobre puis par le G20 d’Antalya en Turquie le 16 novembre 2015. Il sera révisé dans la perspective de l’ICS à horizon 2019.
- ICS (Insurance capital standard). Il s’agit du standard de capital international en cours d’élaboration, volet quantitatif du ComFrame, applicable à l’ensemble des groupes actifs à l’international (G-SIIs et IAIGs) pour une application fin 2019. À cette échéance, l’ICS remplacera le BCR comme socle de base au calcul du HLA pour les G-SIIs.
En l’absence de pénalités de rachat et/ou lorsqu’il existe des décalages importants de maturité entre les passifs et les actifs disponibles, il peut exister un risque de liquidité en assurance vie.
Jacques Cornic, associé en charge des activités de conseil assurance de KPMG
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