Crepa : les avocats s’étripent sur la prévoyance de leurs salariés
Un des syndicats employeurs de la branche des avocats critique violemment la gestion de la Crepa, institution de prévoyance des professions du droit. L’Avenir des barreaux de France dénonce des pratiques opaques et des pertes importantes dans le courtage. La Caisse l’attaque en diffamation.

«Que se passe-t-il à la Crepa ?» C’est sous ce titre que l’Avenir des barreaux de France a publié, voilà quelques semaines, sur son site, dans l’espace réservé aux adhérents, un très sévère réquisitoire envers l’institution de prévoyance de la branche des avocats, qui couvre quelque 40 000 salariés (lire encadré). L'ABF, un des sept syndicats d'employeurs représentatifs, qui met en cause «une gouvernance plus que particulière» et «des pratiques soigneusement cachées aux adhérents», explique avoir «entrepris de faire la lumière sur la gestion» de la Crepa.
Association employeurs fantôme
Concrètement, lors d’une assemblée générale tenue en février dernier, le syndicat Avenir des barreaux de France a décidé de débarquer le président de son instance employeur (ABF – section patronale), François Toucas, avocat au barreau de Toulon… et vice-président de la Crepa. Une décision confortée, en référé, par le TGI de Marseille. «[…] Il n’est pas sérieusement contestable que l’association Avenir des barreaux de France – section patronale ne disposait plus d’un fonctionnement institutionnel valable et régulier (absences d’assemblées générales depuis plusieurs années […]», peut-on lire dans les attendus du jugement que l’Argus de l’assurance s’est procurés.
Une rémunération des administrateurs
Et le nouveau président de l’ABF – section patronale, le bâtonnier Michel Gonelle, ne mâche pas ses mots. Il dénonce ainsi «la rémunération des administrateurs de la Crepa», alors même que «selon le code de la Sécurité sociale, cette fonction est bénévole». Ce versement d’indemnités indues se ferait via l’utilisation du fonds de financement du paritarisme institué par la convention collective. Le président du syndicat met également en cause «la signature de conventions particulières au bénéfice du fils de l’actuelle présidente de la Crepa», Gisèle Lapouméroulie, représentante CFE-CGC.
Un intermédiaire singulier
Dans son édition du 14 mai, le Canard Enchainé affirme que l’agence immobilière créée en 2009 par Jean-Christophe Lapouméroulie, Abbatial Immobilier, a encaissé des commissions lors de l’acquisition de plusieurs immeubles par le groupe Crepa. Et que cette même agence aurait été retenue pour superviser les travaux engagés dans un bâtiment rue du Docteur Blanche, dans le XVIe arrondissement de Paris, ancienne clinique transformée en logements d’habitation. «[…] Son agence est installée à Limoges, ce qui en fait un parfait expert de l’immobilier parisien…», ironise le journal satirique.
Lourdes pertes financières
La création d’une société de courtage en 2010, Crepa conseil, fait également l’objet de très vives critiques de la part d’ABF. «On n’en perçoit pas très bien l’utilité, avec beaucoup de frais de fonctionnement et peu de résultats. On nous promet toujours une amélioration, mais les exercices déficitaires se succèdent», poursuit Michel Gonelle. Les comptes 2012, déposés au greffe du tribunal de commerce, le 28 avril dernier, révèlent un déficit d’exploitation de près de 189 000 €. Et ce alors que l’année 2011 s’était déjà terminée sur un déficit de 236 000 €.
La Crepa éponge les dettes
La société de courtage a toutefois fini l’exercice 2012 avec un résultat positif de 167 013 €. La Crepa a épongé les pertes. Le procès-verbal du conseil d’administration du 26 avril 2013, annexé aux comptes 2012, évoque ainsi une convention réglementée conclue entre Crepa Conseil et Crepa «relative à un abandon de créance de 358 000 € avec clause pour meilleure fortune dans un délai de 5 ans ainsi qu’une avance en compte courant de 300 000 €».
Un régime de retraite fragile
Des pertes qui scandalisent d’autant plus l’ABF que, dans le même temps, salariés et employeurs seraient fortement sollicités dans le cadre du plan de redressement du régime de retraite supplémentaire obligatoire, géré par la Crepa. «[…] Le taux d’appel des cotisations est de 200%, c’est-à-dire que pour 200 € de cotisations, 100 € seulement serviront à constituer des droits pour les cotisants. […]», écrit l’ABF avant d’ajouter : «[…] Malgré un effort contributif considérable, la pérennité du régime est loin d’être une certitude.» Un bon connaisseur du dossier se montre beaucoup plus inquiet et évoque «un petit Cref en préparation», en référence à la faillite de ce complément retraite de la fonction publique aux débuts des années 2000, faute d’un provisionnement suffisant.
Assignation en diffamation
Sollicitée par l’Argus de l’assurance pour répondre à ces mises en cause, le groupe Crepa fait valoir, par l’intermédiaire de son service de communication, qu’il a assigné en diffamation le syndicat Avenir des barreaux de France – Section patronale, au regard des accusations portées par son président. Et que dans le cadre de cette procédure, il lui est difficile de s’exprimer. La Confédération nationale des avocats (CNA), autre syndicat représentatif, a toutefois pris sa défense, en réagissant vivement aux propos de l’ABF. «Ces critiques qui n’ont pour but que d’inquiéter sans raison les adhérents et cotisants participent du processus de destruction de l’institution menée par certains grands cabinets d’affaire sous couvert de leur syndicat catégoriels», écrit Jean de Cesseau, président de l’instance employeurs de la CNA et à ce titre administrateur de la Crepa. Et de pointer une dette de 4 M€ qu’auraient contractée ces «grands cabinets d’affaire» auprès de l’institution de prévoyance. Selon nos informations, il s’agirait d’un contentieux lié à une procédure de désignation en prévoyance.
Présidence employeur en 2015
Michel Gonelle, qui balaie d’un revers de main l’action de la Crepa à son encontre – «la plainte en diffamation me laisse indifférent» –, se défend d’être isolé dans son action : «Nous comptons fédérer d’autres syndicats employeurs. Nous sommes en très bons termes avec le SAFE [Syndicat des avocats de France, NDLR] et le SEACE [Syndicat des employeurs des avocats conseils d'entreprise].» Selon le principe de l’alternance paritaire, la présidence de la Crepa doit revenir au collège des adhérents (employeurs) en juin 2015.
Conflit au sein de la CFE-CGC
Du côté du collège des salariés, les administrateurs paraissent pour le moins soudés derrière la présidente de la Crepa. Les actions en justice et les articles de presse pourraient toutefois attirer l’attention des confédérations syndicales. Déjà, la présidente de la CFE-CGC, Carole Couvert, a décidé, en juin 2013, de retirer leurs mandats à quatre administrateurs de la confédération, dont la présidente, considérant que leur syndicat, le Spaac (1), n’était plus affilié à la Confédération des cadres. Mais ces derniers ont saisi le TGI de Paris et obtenu l’annulation de la décision, le 8 avril dernier.
(1) Syndicat national du personnel d'encadrement et assimilés, des avocats salariés, des cabinets d'avocats, autres professions du droit et activités connexes
Le groupe de protection sociale Crepa est constitué de trois identités :
- Crepa rep = caisse de retraite complémentaire Arrco
- Crepa = institution de prévoyance
- Crepa conseil = société de courtage en assurance filiale à 100% de Crepa
Crepa réalisait un encaissement de 98 M€ en 2011 (source : TOP 20 des IP 2012 de l'Argus de l'assurance), l’institution de prévoyance n’ayant pas répondu à notre questionnaire pour l’exercice 2012. Au-delà de la prévoyance lourde (incapacité, invalidité, décès) et les indemnités de fin de carrière (IFC), la Crepa gère le régime dépendance obligatoire des cabinets d’avocats ainsi que le régime de retraite supplémentaire.
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