Indépendants : un marché en mouvement
Nouvelles formes de travail, nouveaux besoins, nouveaux contextes... Le marché des travailleurs indépendants connaît une certaine vigueur ces dernières années, aiguisant de nouveaux appétits.

Le monde des travailleurs indépendants a connu un tournant en France lors du changement de siècle. Après des décennies de déclin de la part de l’emploi non salarié dans l’économie, la tendance s’est en effet inversée à partir de 2002 – avec, depuis 2012, un taux à nouveau supérieure à 10 %. « Le dynamisme du marché des indépendants est réel : le nombre de créations d’entreprises est important avec, notamment, de plus en plus de jeunes actifs », complète Fanny Gilbert, directrice marketing et communication du courtier grossiste Ciprés Assurances, qui en a fait sa spécialité.
Cet essor n’est pas sans conséquence sur le secteur de l’assurance, surtout ces dernières années. Le monde du travail évolue, ses formes aussi, entre la création du statut d’autoentrepreneur, la suppression en cours du régime social des indépendants (RSI, lire encadré, p. 42), le lancement de plateformes comme Uber ou encore l’articulation croissante entre salariat et entrepreneuriat : « Axa France est entré dans le monde de la nouvelle économie, dans un premier temps, par le prisme des nouvelles mobilités. Nous avons conclu une centaine de partenariats avec des plateformes de mise en relation, Deliveroo, Uber, BlaBlaCar, mais aussi des start-up moins connues », souligne la directrice des partenariats d’Axa France, Élise Bert.
Qui dit nouveau marché dit, forcément, nouveaux entrants. Si des acteurs de taille importante s’y sont de nouveau intéressés une fois la généralisation de la santé collective passée, de nouveaux venus, à l’instar d’Alan ou d’Otherwise, respectivement soutenus par CNP Assurances et Thélem Assurances, veulent s’y faire une place en jouant la carte de la spécificité…
« De par leur nature et leur activité, les indépendants ont tendance à avoir des dépenses de santé différentes des salariés », rappelle le cofondateur et président d’Otherwise, Raphaël Berger. « Se lancer sur le marché des indépendants ne s’improvise pas : il suppose, pour nos courtiers, technicité, devoir de conseil et responsabilité », souligne de son côté Fanny Gilbert. « Notre force commerciale historique est de proposer des contrats individuels incontestables et irrévocables, même en cas d’évolution de la situation du souscripteur : nous sommes copiés sur ce créneau depuis des années », ajoute Rénald Lair, directeur commercial exécutif de MetLife France, spécialisé notamment dans l’assurance emprunteur individuelle.
Les mutuelles face à la fin du RSI
Le marché des indépendants fait aussi face à une secousse d’un autre genre, puisque le régime social des indépendants est en phase de disparition progressive, supplanté petit à petit par la Sécurité sociale pour les travailleurs indépendants. Dans ce schéma, plus de place d’ici fin 2019 pour les organismes conventionnés (OC), qui assuraient la gestion du régime par délégation : Apria RSA côté assureurs, ainsi qu’une petite vingtaine de mutuelles. « Nous avions déjà des produits spécifiques pour les indépendants, nous continuerons avec », prévient le président d’Eovi MCD (groupe Aesio), Maurice Ronat. L’essentiel sera désormais de toucher cette population au turn-over important et aux revenus parfois très faibles. « Nous travaillerons à la fois avec les experts-comptables et les chambres de commerce », poursuit M. Ronat. Le rapprochement en cours d’Aesio avec Macif permettra également aux deux acteurs de créer un réseau de 900 agences, sans omettre les liens d’Apivia (groupe Macif) avec le courtage.
La prévoyance à la traîne
La très grande majorité des indépendants est déjà couverte en santé, mais des marges de manœuvre existent encore sur la prévoyance (autour de 75 % de couverture, selon les données de la FFA) et la retraite Madelin (un peu plus de 60 % de couverture). Si la santé peut parfois paraître complexe, la prévoyance l’est encore davantage. « La prévoyance n’est pas un sujet sur lequel les indépendants savent toujours identifier ou formuler précisément ce dont ils ont besoin : il y a un important travail de pédagogie à réaliser sur ce produit, qui peut aussi être mené avec nos plateformes partenaires », note ainsi Raphaël Berger. « La prévoyance reste un terme d’assureur : pour les indépendants, c’est assimilé à de la santé ; ce besoin est donc naturellement compris par eux », estime toutefois Élise Bert.
Accompagnement, conseil, pédagogie… Des termes qui, s’ils reviennent régulièrement, se heurtent parfois à la réalité. « Les dirigeants demandent d’abord de la santé, puis de l’incapacité et éventuellement du décès… alors que, dans leur intérêt, c’est pourtant l’invalidité qui est la plus importante : ils ne réalisent pas la pression qu’ils mettent sur leur entourage ! », regrette Rénald Lair. Fanny Gilbert se veut plus positive : « Le renforcement de la concurrence sur le segment des indépendants est pour nous une bonne chose : cela permet de sensibiliser encore davantage les TNS sur la prévoyance, car ils sont loin d’être tous correctement couverts. »
Les lancements d’offres à destination des indépendants se sont ainsi multipliés ces dernières années – et ce n’est pas fini : « Nous sommes dans une logique de gamme sur la protection sociale complémentaire des TNS : en plus de la santé et de la prévoyance, nous allons proposer, à la rentrée 2018, de la retraite Madelin. Nous voulons nous positionner en tant que référent assurance pour l’entrepreneur et les entreprises », ajoute Fanny Gilbert. Otherwise, qui s’est d’abord centré sur la santé, réfléchit à se positionner sur la prévoyance et la RC Pro tandis qu’Alan, dans un premier temps spécialisé sur la complémentaire maladie des TNS, s’est ouvert à la prévoyance des TPE.
Axa France, dans le cadre de son partenariat avec Deliveroo et Uber, ainsi que dans celui en cours de lancement avec la fédération Syntec, met en avant d’autres prestations : « Les offres de protection juridique ou de responsabilité civile paraissent un peu plus pointues pour les indépendants mais lorsqu’elles sont usitées, l’utilité perçue par les indépendants est forte », souligne Élise Bert. Après un premier semestre de démarrage, le contenu des offres dans le cadre de ce partenariat s’apprête, d’ailleurs, à évoluer en fonction des premiers retours du terrain.
Raphaël Berger, fondateur et président d’Otherwise
« Les indépendants ont surtout besoin de RC Pro »« Cette première année d’activité pour Otherwise aura permis de démontrer l’utilité du modèle collaboratif en santé pour les travailleurs indépendants. C’est pourquoi nous travaillons avec des plateformes professionnelles, soit spécialisées (effiCity, Urban Massage) soit généralistes (Fédération des autoentrepreneurs), mais notre gamme de produits nous permet en tout cas de servir les besoins de l’ensemble des travailleurs indépendants. Ceux qui ont fait le choix d’Otherwise ont depuis soulevé d’autres besoins que la santé, en prévoyance bien sûr, mais surtout en RC Pro : notre rôle est de réussir à proposer des produits pour répondre à ces deux besoins, même là où le remboursement des trop-perçus de cotisations est moins évident à mettre en œuvre qu’en santé. »
Proposer du clés en main
Un travailleur indépendant reste toutefois un travailleur qui a généralement peu de temps à consacrer à sa protection sociale, se focalisant avant toute chose sur le développement de son activité. « Cela renforce le besoin de simplifier au maximum la souscription et d’avoir l’accompagnement d’un expert », note Fanny Gilbert de Ciprés Assurances, ajoutant : « Avec notre offre, quand un courtier parle à un TNS de sa prévoyance, il a besoin de quatre éléments que l’indépendant a forcément en tête – âge, statut, métier, revenus – pour pouvoir tarifer ». Ciprés a fait le choix, dès mars 2017, de supprimer la sélection médicale avec sa nouvelle offre Gamme Pro Évolutive.
La distribution constitue donc l’une des armes de cette guerre concurrentielle, si ce n’est la principale. « Nous nous adressons à des publics qui n’ont aucune difficulté à souscrire à une complémentaire santé en ligne… et, par conséquent, à comparer les offres pour connaître la plus avantageuse ! Nous avons un devoir de compétitivité », souligne le président d’Otherwise, Raphaël Berger. « Inscription en cinq minutes, service client ultra réactif et internalisé par messagerie, expérience en ligne et mobile incomparable sont nos principaux atouts », rappelle-t-on du côté d’Alan.
Mais tous les acteurs du marché n’abordent pas ce sujet de la même manière : « La digitalisation ne se fait pas forcément au bénéfice de l’assuré : le sujet de la prévoyance pour un TNS n’est pas facile à comprendre, elle nécessite du temps et de la compréhension », souligne Rénald Lair. Résultat, MetLife France suit sa propre stratégie : « Plutôt que de faire de la masse sur ce marché en ébullition, nous avons tout intérêt à nous concentrer sur nos clientèles socles, les CSP+ / ++ et les risques aggravés. »
Si les acteurs installés de longue date sur ce marché dégagent globalement une bonne rentabilité, les appétits des nouveaux entrants sont toutefois calculés. La compagnie d’assurance Alan est ainsi parvenue à réaliser la plus importante levée de fonds pour une assurtech le 10 avril 2018, ayant désormais levé au total 37 M€. Otherwise va également accélérer son développement dans les mois à venir, en concrétisant notamment son partenariat en dommages avec la Maif. Et Axa ne s’est pas positionné en one shot dans son partenariat avec les plateformes Deliveroo et Uber. « Notre rôle d’assureur est aussi d’accompagner les évolutions de la société. Celles du monde des travailleurs indépendants sont indéniables : nous visons la rentabilité dans le temps avec ces programmes », conclut Élise Bert.
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