L'assurance cherche son esperanto prudentiel

Sous la houlette du Conseil de stabilité financière, émanation du G20, l'Association internationale des contrôleurs d'assurance (IAIS) veut renforcer la réglementation des groupes d'assurances réputés systémiques et doter le secteur d'un standard de capital commun.

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Hasard du calendrier : il y a un an, au moment même où la Commission européenne officialisait la date d’entrée en vigueur de Solvabilité 2 au 1er janvier 2016, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (IAIS) prenait tout le monde de court en annonçant la création d’un nouveau standard de capital international, l’ICS. Son objectif ? Développer cet ICS pour fin 2016, de façon à ce que l’ensemble des groupes « actifs à l’international », les IAIGs, puissent l’appliquer dès 2019.

Un héritage de la crise de 2008

  • 2009 : Le G20 crée le FSB (Conseil de stabilité financière) dont l’ambition est de trouver des remèdes au risque systémique et à l’aléa moral engendré par des institutions financières de nature systémique (SIFIs), car jugées « too big too fail ».
  • 2010 : l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (IAIS) décide de développer un cadre commun de normes qualitatives et quantitatives de supervision des groupes internationalement actifs (IAIGs), le ComFrame.
  • 2011 : Le FSB publie un ensemble de mesures destinées à contrer le risque systémique et publie une première liste de banques d’importance systémiques au niveau mondial (G-SIBs).
  • 2012 : le FSB mandate l’IAIS pour développer une méthodologie d’évaluation du risque systémique destinée au secteur de l’assurance, accompagnée des mesures qui seront appliquées aux assureurs d’importance systémique au niveau mondial (G-SIIs).
  • 2013 : l’IAIS identifie une première liste de 9 G-SIIs et publie les mesures qui leur seront appliquées. Parallèlement, elle annonce le développement de l’ICS (Insurance Capital Standard), une norme en capital harmonisée pour les IAIGs, à l’échéance de 2016.
  • 2014 : Mise à jour de la liste des G-SIIs en novembre, avec inclusion possible de réassureurs. Adoption en décembre du BCR (Basic Capital Requirement), pour application en 2015 par les G-SIIs.

Un chantier démesuré ?

Inutile de dire que l’ambition, aussi louable soit-elle, semble quelque peu démesurée, quand on sait qu’il a fallu pas moins de 15 ans à l’Europe pour accoucher de son nouveau régime prudentiel. Que le calendrier soit serré, personne ne le conteste. Il n’empêche, le train semble bel et bien en marche. Pour preuve, l’IAIS s’est formellement engagée auprès du G20, au nom d’un contrôle plus efficace du secteur de l’assurance, à promouvoir un « langage mondial clair, cohérent, comparable et mesurable », dont l’ICS sera la pièce maîtresse. En réalité, le sujet n’est pas totalement nouveau. L’IAIS travaille en effet depuis 2010 à l’élaboration d’un cadre de supervision harmonisé à l’échelon international, ComFrame, lequel comprend des aspects qualitatifs familiers aux organismes soumis à Solvabilité 2 (il est en effet question de gouvernance, de gestion des risques, et d’ORSA), mais aussi un volet quantitatif, l’ICS. Un vaste chantier, tant les régimes de supervision sont à des niveaux d’avancement différents de par le monde. Aux états-Unis par exemple, la Réserve fédérale (FED) tente d’imposer la notion de supervision groupe, inexistante aujourd’hui ! Bref, personne ne conteste que l’assurance ait bien besoin d’améliorer sa « comparabilité », au-delà du seul échelon européen.

En outre, depuis la crise financière de 2008, marquée par la chute de Lehman Brothers et le couteux sauvetage d’AIG, l’heure est au renforcement de la réglementation prudentielle internationale, et tout d’abord à des fins de stabilité financière. L’enjeu ? Faire la chasse aux institutions systémiques, capables d’entraîner tout ou partie du système financier avec elles en cas de défaillance. Si les banquiers ont été les premiers concernés (Bâle 3), les assureurs n’y échappent désormais plus (lire page 48). « C’est dans ce contexte que le Conseil de stabilité financière (FSB) a demandé à l’IAIS d’identifier les groupes d’assurance d’importance systémique au niveau mondial (G-SIIs), ainsi qu’un ensemble de mesures à leur appliquer, le tout dans un calendrier particulièrement ambitieux. Le constat d’une grande hétérogénéité dans les standards prudentiels s’est vite imposé, d’où l’idée de développer un référentiel commun, le BCR, à partir duquel serait appliqué à ces groupes une surcharge en capital, le HLA », explique Nathalie Quintart, chef du service des affaires internationales assurance à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Même s’il faut bien distinguer les travaux, urgents, sur le BCR et le HLA, de ceux sur l’ICS, prévus sur le long terme, il est en pratique difficile de déconnecter les deux sujets. Officiellement, la cible n’est pas la même. Le BCR et le HLA concernent les G-SIIs, tandis que l’ICS vise les IAIGs. Mais, par construction, un G-SII a une probabilité élevée d’être aussi un IAIG... L’IAIS elle-même plaide pour que les deux chantiers se rejoignent. « L’ICS sert de base au calcul du HLA pour les G-SIIs », écrit l’IAIS dans un document daté du 22 septembre sur les principes de l’ICS, non sans rappeler qu’« initialement, le BCR joue ce rôle » (sans préciser quand la bascule interviendra).

Les coulisses d’une harmonisation attendue

  • FSB : Créé en avril 2009, le Conseil de stabilité financière est une émanation du G20. Composé principalement de banquiers centraux, il oeuvre à la stabilité financière, notamment en cherchant à endiguer le risque systémique dont peuvent être vecteurs les institutions financières.
  • IAIS : Créée en 1994, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance regroupe les contrôleurs et régulateurs d’assurance de plus de 200 juridictions, dans 140 pays. Son rôle est d’édicter des standards de contrôle de l’assurance et de promouvoir une réglementation efficace et cohérente à l’échelle mondiale. Depuis 2010, l’IAIS est engagée dans le développement de ComFrame, cadre commun de supervision pour les groupes d’assurance actifs à l’international.
  • G-SII : Les groupes d’assurance d’importance systémiques au niveau mondial sont actuellement 9 : AIG, Allianz, Aviva, AXA, Generali, Metlife, Ping An, Prudential Financial, et Prudential plc. Ils ont été désignés en juillet 2013 sur la base d’une méthodologie établie par l’IAIS, qui pointe le poids, chez les acteurs concernés, des activités « non traditionnelles, non assurantielles », et l’interconnexion avec le reste du système financier. Deux ou trois réassureurs pourraient rejoindre la liste en novembre 2014.
  • IAIG : Pour l’IAIS, un IAIG doit être présent dans au moins trois juridictions, et la proportion de ses primes émises non domestiques doit être supérieure à 10 %. Il doit en outre, en moyenne sur trois ans, disposer d’actifs supérieurs à 50 Md$, ou de primes émises supérieures à 10 Md$, ces critères étant complétés par le jugement des contrôleurs. À l’heure actuelle, l’étude d’impact montre qu’une cinquantaine d’acteurs devraient être concernés, mais il n’existe pas de liste officielle.

Le BCR face à Solva 2…

Le problème, que ne manquent d’ailleurs pas de soulever les groupes concernés, est que les deux mesures ne sont, a priori, pas du tout conçues de la même façon. Présenté comme « un premier niveau de comparabilité, et non comme une exigence de capital en tant que telle » par Gabriel Bernardino, le président de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (Eiopa), le BCR est un outil « simple », qui, s’il part a priori du bilan économique (comme Solvabilité 2) est basé sur une approche factorielle au lieu d’être risk based. Et il fait l’impasse sur ce que les groupes considèrent comme deux avancées majeures de Solvabilité 2 : la diversification, et la gestion actifpassif. « Le BCR est, par construction, un outil simplifié qui ne reflètera qu’imparfaitement l’activité d’assurance », dénoncent l’Association de Genève et l’Institute of International Finance, dans une réponse commune à la consultation sur le sujet. « Nous avons travaillé dans des délais très contraints, certains sujets techniques comme la valorisation des bilans, les problématiques d’actualisation ou la reconnaissance des primes futures devront être affinés, mais nous disposons d’un outil susceptible de servir de référentiel commun », répond Nathalie Quintart, de l’ACPR.

L’ICS, a contrario, a vocation à être beaucoup plus sophistiqué, car basé sur les risques. « Cela risque de poser un véritable problème d’échelle : ce n’est pas du tout la même chose d’appliquer le HLA au BCR, destiné aux seuls assureurs systémiques, ou à l’ICS, destiné à tous les assureurs d’une certaine importance », pointe Jean-Damien Létoquart, chargé de la gestion du risque systémique chez Axa. Au jeu des simulations, les assureurs européens ont un peu peur de ressortir perdants. Il se chuchote en effet que le BCR correspondrait à environ 70 % du capital de solvabilité requis (SCR) de Solvabilité 2. Ce qui semble acceptable en l’état. Toutefois, « il n’est pas impossible que le FSB souhaite, pour des raisons d’ordre politique, que le cumul du BCR et du HLA soit supérieur au SCR sans qu’on comprenne la finalité de cette surcharge en capital et ce qu’elle devrait couvrir qui ne soit pas déjà pris en charge au titre de Solvabilité 2 », prévient Jean- Damien Létoquart, d’Axa. Qu’anticiper, alors, si l’ICS – dont on ne sait pas, à ce stade, s’il s’agira d’une exigence minimale ou d’une exigence cible – sert de référence ? Même si ces pronostics sont aujourd’hui un peu prématurés, les assureurs européens soulèvent une vraie problématique, celle de l’articulation avec Solvabilité 2. « Il est impossible de gérer deux systèmes contradictoires en parallèle, et il est impératif d’éviter toute incompatibilité entre le régime international et le régime européen », estime Jean-Damien Létoquart. Plus optimiste, Gabriel Bernardino espère qu’à terme, « Solvabilité 2 soit l’une des déclinaisons du régime international ». Et ce alors même que l’IAIS prévient que son travail « n’a pas vocation à être le reflet d’une norme existante » (lire l’inter view de Catherine Lezon,).

Un processus d’harmonisation prudentielle en trois étapes

  • BCR : le Basic Capital Requirement est une mesure de capital devant faire office de référentiel pour l’exigence supplémentaire (HLA) qui s’appliquera aux G-SIIs. La structure et le calibrage du BCR doivent être approuvés lors du G20 de novembre 2014, pour application par les G-SIIs dès 2015, d’abord sur une base confidentielle. Cette mesure, « simple et comparable », reflète, de manière factorielle, les principaux risques auxquels est confronté un assureur (actifs, vie, non vie, et activités « non traditionnelles, non assurantielles »). La diversification et la gestion actif-passif ne sont pas prises en compte de manière explicite. 50 % du BCR devra être couvert par des fonds propres de qualité maximale.
  • HLA : le Higher Loss Absorbency est l’exigence de capital supplémentaire requise, à compter de 2019, pour les G-SIIs. Ces derniers devront donc détenir un capital excédant la somme du BCR et du HLA, de façon à accroître leur capacité de résistance aux chocs, mais aussi à être incités à réduire leurs activités jugées systémiques. Le HLA devra être intégralement couvert par des fonds propres de qualité maximale.
  • ICS : volet quantitatif du ComFrame, le cadre commun de supervision des groupes d’assurance actifs à l’international (IAIGs), l’Insurance Capital Standard a vocation à devenir une mesure de l’adéquation du capital mondialement comparable et basée sur les risques. Destiné aux IAIGs et aux G-SIIs, il doit être défini d’ici à la fin 2016 pour une adoption formelle en 2018 et une application à partir de 2019. À terme, l’ICS replacera le BCR comme socle de base au calcul du HLA pour les G-SIIs.

Volonté politique unanime

Autre défi, celui de la mise en musique de ces futures exigences. Pas plus le FSB que l’IAIS ne sont, en effet, force de droit sur les acteurs américains, asiatiques ou européens. D’où une nécessaire transposition, le moment venu, dans le droit local, ou régional dans le cas de l’Europe. « Cela supposera nécessairement des ajustements par rapport aux systèmes en vigueur, car nos normes ne seront pas d’application directe », reconnaît ainsi Catherine Lezon, secrétaire générale adjointe de l’IAIS. D’où la crainte, sans nul doute fondée, que certains ne jouent pas le jeu, le précédent des normes IFRS (finalement abandonnées par les états-Unis après des années d’atermoiement) ayant laissé des traces. « Nous suggérons que l’objectif crucial de comparabilité soit mentionné de façon explicite dans la version finale du standard établi par l’IAIS, avec la reconnaissance d’une volonté politique unanime pour en assurer pleinement la mise en oeuvre », réclament l’Association de Genève et l’IFF.

Certains redoutent même que le FSB, composé de banquiers centraux peu au fait des spécificités assurantielles, ne se désintéresse totalement du sujet de l’ICS, une fois réglée la question des assureurs systémiques. L’esperanto prudentiel de l’assurance ne serait alors qu’un fantasme ? « Non, si nos ambitions restent proportionnées », répond Gabriel Bernardino. Au final, « tout dépendra de la négociation entre l’Europe, les états-Unis et le reste du monde, qui elle-même découlera de la façon dont les états- Unis parviendront à faire évoluer leur propre supervision de l’assurance », pronostique Nathalie Quintart. Réponse en 2018 ?

Géraldine Vial

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