L'assurance des drones décolle

L’industrie du drone civil particulièrement dynamique en France commence à attirer les assureurs et pas uniquement des spécialistes de l’aviation. Leur approche de ce marché émergent reste toutefois prudente. Les évolutions de la sinistralité ainsi que d’autres facteurs pourraient modifier leurs plans de vol.

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L'assurance des drones décolle

L’évolution des technologies a fait passer les drones, d’abord réser­vés à des usages militaires, dans la sphère professionnelle et dans le monde des loisirs. En France, pays en pointe en aéronautique, l’industrie des drones civils est particulièrement dynamique. Selon le cabinet Oliver Wyman, le marché estimé à 155 M€ en 2015 pourrait atteindre les 652 M€ en 2025.

Mais avec l’essor des drones, émergent aussi de nouveaux risques pouvant être la conséquence de dysfonctionnements de l’appareil, d’erreur de pilotage voire d’actes de malveillance. Les médias, d’ici ou d’ailleurs, relatent fréquemment des incidents dont certains laissent craindre le pire : drones ayant frôlé ou heurté des personnes lors de concerts ou d’événements sportifs, collisions évitées avec des avions de ligne en phase d’atterrissage ou de décollage… sans parler des éventuelles utilisations ou détournements d’aéronefs à des fins terroristes.

Les scénarios les plus effrayants tels qu’une collision avec un avion ne devraient pas se produi­re, en théorie, « Les drones ne sont pas censés évoluer dans les mêmes zones que les avions », indi­que Xavier Decottignies, qui dirige un cabinet de courtage ayant développé une branche aviation. Et de préciser : « C’est à nous en tant qu’intermédiaire d’informer les exploitants de drones que nous assurons » et notamment les télé-pilotes amateurs qui ne sont pas toujours au fait de la réglementation. D’où le projet de renforcer l’information des utilisateurs de drones de loisirs (voir page 37, la réglementation)…

Dans les faits, des collisions se sont déjà produites en France. Expert spécialisé en aviation et en aéronautique dont les bureaux sont situés sur un aérodrome au nord de Lyon, Michel Jacinto a été témoin de deux accidents : « Dans les deux cas, il s’agissait d’avions de tourisme percutés par des drones légers en phase d’atterrissage, des collisions qui n’ont eu que des conséquences matérielles légères ».

Des objets volants sans pilote à bord

Aéronefs qui circulent sans personne à bord, les drones aériens sont guidés à distance par un télé-pilote. Leur maniement s’effectue à vue, hors vue (à l’aide de caméras embarquées) ou de façon automatique après programmation. Selon l’usage qui en sera fait, différents types de charges sont embarqués sur ces engins. On distingue deux catégories principales de drones : ceux équipés d’une voilure simple et ceux à voilure tournante généralement pourvus de plusieurs rotors, ce qui leur permet de voler à faible vitesse, voire de rester immobiles.

Un danger en l’air

Mais des scénarios plus graves ne sont pas à exclure avec des conséquences dont l’ampleur dépendra des types d’avion et de drones impliqués, selon cet expert. « Pour un avion de ligne équipé de parebrise multipli compor­tant des intercalaires entre les couches de verres l’impact d’un drone léger serait sans conséquence. Le risque, c’est d’avoir à atterrir en urgence parce qu’un réacteur ou le bord d’attaque de l’aile aura été touché. » En cas de choc avec un avion d’affaires ou de tourisme, selon lui, un drone pourrait « endommager sérieusement un réacteur ou traverser le pare-brise et blesser grièvement le pilote ».

  • 1 million de drones civils dans le monde dont 300 000 vendus en 2015.
  • 91 Md$ les dépenses d’acquisition de drones en 2024, dans le monde.
  • 2 400 opérateurs de drones civils en France. 30 fabricants de drones dans l’Hexagone. 3 087 drones utilisés à titre professionnel.
  • 150 000 à 200 000 drones de loisirs en France.
  • 652 M€ Le chiffre d’affaires en 2025 du marché français des drones civils (contre 155 M€ en 2015).

Du point de vue assurantiel, ces cas de figure représenteraient des dossiers complexes. Dans des accidents tels que ceux survenus à Lyon, « l’assurance corps de l’avion prend en charge ce type de dommages mais toute la difficulté, c’est de retrouver les pilotes de drones surtout lorsqu’il s’agit de particuliers, les drones légers n’étant pas détectables par les radars », explique Michel Jacinto. Et l’assurance du télé-pilote, si tant est qu’il en possède une, – puisque la souscription d’une garantie responsabilité civile n’est obligatoire que pour les usages professionnels –, ne jouera pas forcément, le non-respect de la réglementation relevant de l’exclusion de garantie. « Si, suite à une perte de contrôle dans le cadre d’un usage autorisé le drone est aspiré par un courant ascendant et percute un avion, le contrat s’appliquera à hauteur du montant garanti avec le risque que cela soit insuffisant. Si, en revanche, l’accident intervient alors que le drone n’est pas en règle en termes d’autorisation, le contrat ne pourra pas jouer », illus­tre Grégory Kron, directeur technique actuariat et filiales de SMABTP qui assure depuis un an, sous la marque Assurdrones, une centaine d’exploitants.

Il y a quelques années, lorsque la filière des drones civils a émergé, les opérateurs professionnels, – TPE ou auto-entrepreneurs pour la plupart – ont été confrontés au manque d’offres sur le marché (lire ci-contre). « Ces petites entreprises disposant d’un ou deux appareils devaient se tourner vers des spécialistes de l’aviation ou vers les filiales grands risques des assureurs inter­nationaux », explique Xavier Decottignies.

Face à ce risque émergent, les acteurs généralistes se sont dans un premier temps montrés ­frileux.

« Se différencier en assurant des drones »

« C’est par le biais du réseau des anciens de mon école de commerce (Skema BS) qu’en 2009, je suis entré en contact avec Flying Eye, un fabricant et opérateur de drones civils en pleine expansion. Nous ne faisions pas d’assurance aérienne jusque-là, mais nous avons pu accéder à l’offre de MMA pour répondre à leurs besoins. Depuis, nous avons investi dans la connaissance de ce marché, qui n’est pas complexe en soi : il nécessite surtout de bien comprendre dans quel cadre sont utilisés les drones car c’est un des éléments-clé à la souscription. Avec le temps, nous avons acquis une certaine notoriété : sur les trois à quatre demandes de devis que nous recevons par mois, nous en concrétisons en moyenne la moitié. Avec des primes annuelles aux alentours de 300 €, cette activité pèse peu en termes de chiffres d’affaires. Mais le secteur s’avère dynamique. Être présent sur ce marché permet de compenser la baisse des marges en assurance automobile et en habitation, mais surtout de se différencier. »

Le marché se professionnalise

Mais avec l’essor du marché et la mise en place en 2012 d’un cadre juridique, la donne a changé. « À partir de 2012, la demande s’est accrue et le marché s’est professionnalisé », observe Jean-Claude Geze, directeur souscription aviation et spatial à la Réunion aérienne. Depuis, des acteurs généralistes attirés par le potentiel du marché et son caractère innovant se sont lancés, MMA et plus récemment Axa France. La compagnie vient de lancer « une offre de dommages avec une extension RC nettement plus complè­te que les RC aviation », explique Philippe Gaillard, directeur risques techniques d’Axa Entreprises. Groupama et SMABTP, des assureurs positionnés sur des secteurs où l’usage de drones se développe fortement – l’agriculture pour le premier et la construction pour le second – sont également présents.

Les offres proposées par ces nouveaux entrants concernent la responsabilité civile des sociétés qui opèrent des drones, les dommages causés aux drones et aux appareils embarqués, contrats assortis parfois de garanties optionnelles ou d’extensions (RCMS, risques cyber ou plus rarement risques de guerre et assimilés). Pour le volet RC, les montants garantis varient en standard entre 1 M€ et 3 M€ (pour des primes annuelles de 300 à 350 €), un plafond qui fait débat. « Certaines activités telles que la prise de vue au-dessus de zones urbaines, la surveillance de lignes ferroviaires ou de sites classés Sevoso nécessitent des capi­taux assurés importants parce qu’elles peuvent générer des sinistres graves », confirme Guy-Antoine de La Rochefoucault, directeur général France du Lloyd’s.

Mais pour Jean Fournier, directeur général France de Global Aerospace, un assureur spécialisé dans l’aviation « dans la mesure où pour un avion léger de masse maximale au décollage inférieure à 500 kg, l’assurance requise par le règlement européen CE 785/2004 pour les dommages au tiers au sol est de 750 000 DTS (droits de tirage spéciaux, soit près de 1 M€). Une limite de 1 M€ pour le même type de garantie appliquée à des drones de masse allant jusqu’à 25 kg paraît donc raisonnable… ou alors il faut réviser le minimum pour les aéronefs de masse bien supérieure. »

En pratique, chez certains assureurs, il est possible de couvrir les domma­ges causés aux tiers jusqu’à 4 M€ voire 5 M€. Ce qui répond, en partie, aux attentes du marché. « Certains donneurs d’ordre pour lesquels nous interve­nons sur des sites sensibles nous demandent d’être couverts à hauteur de 4,5 M€ en responsabilité civile, ce qui n’est pas simple à trouver. Des solutions nous permet­tant d’augmenter la couver­ture le temps d’une mission seraient intéressantes », estime Grégoi­re Thomas président de Flying Eye, un des fabricants et opérateurs français en plein essor.

Réglementation : un cadre qui évolue

La France a été l’un des premiers pays à réglementer l’utilisation des drones civils utilisés à des fins commerciales.

Le cadre réglementaire, qui date de 2012 et a fait l’objet de modifications fin 2015, soumet les concepteurs de drones, les opérateurs et les télé-pilotes à de nombreuses obligations. Les vols eux-mêmes sont encadrés par des règles strictes qui varient en fonction des caractéristiques des engins et de leur utilisation.

Sept catégories de drones et quatre scénarios d’activités ont ainsi été définis. « Le cadre réglementaire a tendance à s’assouplir en ce qui concerne les usages professionnels. On nous ouvre un peu plus l’espace aérien en contrepartie d’exigences techniques renforcées en matière de sécurité, ce qui arrange tout le monde, le marché comme les assureurs », observe Grégoire Thomas de Flying Eye.

L’obligation d’assurance, inscrite dans la loi française, est issue du règlement européen CE 785/2004. Sans faire référence explicitement aux drones, ce texte prévoit pour les exploitants d’aéronefs une garantie minimale de 750 000 DTS (droits de tirages spéciaux, soit près d’1 M€).

« La DGAC (1) a confirmé que cette obligation s’appli­quait à tous les drones à usage professionnel », précise Jean Fournier de Global Aérospace. Pour les drones de loisirs, en revanche, en dehors d’une fédération sportive, il n’existe aucune obligation d’assurance. En cas de dommages causés à un tiers, une garantie RC telle que celle logée dans un contrat MRH peut jouer, à condition que l’aéromodélisme, pratique à laquelle les drones de loisirs sont assimilés, ne fasse pas partie des exclusions. Ce flou ne devrait pas perdurer.

« Un rapport du SGDSN (2) datant de 2015 préconise de légiférer si jamais les assureurs refusent d’intégrer en standard les drones de loisirs dans la MRH », explique Jean-Fournier. Le message semble passer. « Certains assureurs ont fait le nécessaire, leurs traités de réassurance ont été adaptés pour prendre en compte cette extension de garantie », observe Frédéric Beaumont, chargé de clientèle chez Aon Benfield.

La sécurisation des pratiques amateurs devrait en parallèle être renforcée : une proposition de loi en ce sens est en cours d’examen.

Vers une harmonisation européenne ? Actuellement, deux niveaux de réglementation coexistent en Europe. « Les aéronefs de plus de 150 kg dépendent de l’AESA (3), en dessous de ce seuil, ce sont les États membres qui fixent le cadre réglementaire d’où des situations très différentes d’un pays à l’autre », explique Jean Fournier. Dans un rapport publié en 2015, l’AESA préconise une segmentation qui ne repose plus sur la typologie des aéronefs mais tient compte du risque inhérent à l’activité.

« D’où le projet de créer trois catégories : Open pour les pratiques à faibles risques (vol à vue sur zones non peuplées, etc.), Specific correspondant à un usage professionnel (drone léger en ville, par exemple), et Certified, pour les appareils relevant de l’aéronautique », précise-t-il. Les pays les plus en avance comme la France disposent de réglementations qui devraient être compatibles avec ce futur cadre, selon lui.

Pas de sinistres graves en France

Sur ce nouveau marché, les assureurs avancent avec prudence. « Comme pour tous les risques émergents, l’appréciation du risque nécessite d’avoir un peu de recul et des données statistiques, en particulier, sur la sinistralité » observe Guy-Antoine de La Rochefoucault.

Sur ce plan, les assureurs ont surtout à faire à des déclarations relevant du bris de machine. « Bien souvent, nous avons à faire à des pertes totales, les drones qui ont chuté étant souvent difficilement réparables », témoigne Nico­las Bohème, agent général MMA qui assure des drones depuis 2009. Cette garantie bris de machine constitue un point de vigilance : « il est difficile de vérifier à quel moment le drone est tombé, or il faut encaisser dix primes pour payer un nouveau drone », précise-t-il.

En responsabilité civile, la situation est pour l’instant rassurante. Pas de sinistres graves à signaler en France à ce stade et aucun dossier concernant des domma­ges corporels, selon Flying Eye. La Réunion aérienne, un des acteurs historiques du marché, recen­se au sein de son portefeuille, « deux réclamations en cinq ans pour des dommages matériels d’un montant faible ».

À l’étranger, en revanche, « des sinistres sérieux, il y en a eu » recon­naît Jean Fournier : « un enfant a perdu un œil, frappé par l’hélice d’un drone par exemple ». Mais dans l’ensemble, « rien de comparable, selon lui, avec les victimes d’accidents domestiques ou de la route (accidents de vélo, par exemple) ». Pour autant, la sinistralité en RC est suivie de près.

Isabelle Vanneste Hello, secrétaire générale de la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC)
« Les assureurs ont perçu l’attractivité du marché »

  • L’offre d’assurance est-elle adaptée aux besoins des professionnels du drone civil ?
    Les premiers acteurs de l’industrie du drone se sont tournés vers des assureurs spécialisés dans l’aviation qui leur proposaient des offres conçues pour des aéronefs « habités », qu’ils avaient l’habitude de couvrir. Elles étaient peu adaptées à des drones qui pèsent moins de 25 kg et difficilement accessibles à des petites entreprises ou à des auto-entrepreneurs. Le manque de données en matière de sinistralité était un frein, mais si on regarde en arrière, depuis 2012, il n’y a pas eu d’incident majeur.
  • Qu’en est-il aujourd’hui ?
    Il nous a fallu expliquer aux assureurs que dans la sphère professionnelle, les risques étaient réduits étant donné le cadre réglementaire en vigueur en France depuis 2012. Certains assureurs spécialisés ont fait évoluer leurs référentiels et d’autres, ayant perçu l’attractivité du marché, se sont lancés. Dans le cadre du processus de sélection d’un contrat que nous proposerons prochainement à nos adhérents, nous avons eu à faire à des interlocuteurs au fait du sujet.

Sécurité améliorée

Autre point de vigilance selon Jean-Claude Geze : la responsabilité civile des constructeurs, contrat que la Réunion aérienne ne propose pas, « parce que nous ne sommes pas dans un environnement sécurisant en termes de certification, mais c’est un sujet d’attention dans la mesure où il peut y avoir des responsabilités imputables au constructeur ».

À ce stade, sur le front de l’assurance des drones, les indicateurs sont au vert, y compris pour les assurés, les tarifs ayant baissé par rapport à 2012. Autre point positif : en matière de sécurité des aéronefs et des systèmes de détection, les technologies se perfectionnent. Reste à espérer que des changements réglementaires, et notamment le projet d’harmonisation au niveau européen, ne viennent pas perturber l’essor d’une industrie prometteuse ou chambouler un cadre juridique qui s’avère plutôt sécurisant pour les assureurs comparé à la situation d’autres pays.

Des usages professionnels multiples

Prise de vues, inspection d’infrastructures en vue de leur maintenance, observation des sols et des cultures ou encore épandage en agriculture, surveillance de sites et de zones à risques, livraison de colis... Parce qu’ils peuvent être équipés de différents appareils et capteurs – caméra thermique pour effectuer un bilan énergétique de bâtiments, par exemple – et donc être source d’une multitude de données, les drones sont au cœur de nombreuses applications. Le cabinet de conseil PwC évalue le potentiel de valeur générée par les drones à 127 Md$ à l’horizon 2020. Les secteurs les plus concernés sont l’industrie (45,2 Md$) devant l’agriculture (32,4 Md$), le transport (13 Md$), la sécurité (10,5 Md$), les médias (8,8 Md$) et l’assurance (6,8 Md$). En France, à ce stade, les médias et l’audiovisuel concentrent l’essentiel du marché des applications professionnelles. Viennent ensuite l’industrie et l’agriculture.

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