L’exécution du marché public d’assurance

Le principe de continuité du service publique, exorbitant du droit commun, contraint l’exécution « normale » du contrat d’assurance, de la phase précontractuelle à la fin de vie du contrat.

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C’est surtout en matière d’exécution du contrat issu d’un marché public que se pose la difficulté de cohabitation entre le droit des assuran­ces, des marchés publics et des contrats administratifs.

Jusqu’alors, on pouvait penser que le droit des assurances, ayant valeur législative, devait primer sur le droit des contrats administratifs, à moins de considérer qu’il s’agissait de deux droits spéciaux à valeur équivalente. L’intervention de l’ordonnance du 23 juillet 2015, et de son décret d’application pour règlementer la comman­de publique met fin à ces interrogations.

L’approche comptable du marché public d’assurance

Paiement de la prime. Le contrat d’assurance est un contrat synallagmatique, donc il crée des obligations à la charge des deux parties. Le pouvoir adjudicateur, en tant qu’assuré, aura pour obligation principale le paiement de la prime, aux échéances convenues dans le contrat. Le délai de paiement prescrit par le code des assurances est de dix jours. À compter de ce délai, l’assuré est mis en demeure de payer et la garantie peut être suspendue trente jours plus tard. Mais la comptabilité publique est soumise au principe de la séparation entre l’ordonnateur et le compta­ble selon lequel les ordonnateurs prescrivent l’exécution des dépen­ses, alors que le comptable public est seul chargé de leur paiement, au vu notamment des titres présentés par les créanciers : les avis d’échéance. Cette démarche rend le délai de dix jours difficile à tenir. C’est pourquoi un décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique (n° 2013-269) est venu préciser le délai maximal de paiement applicable à l’État, aux collectivités et aux établissements publics étatiques et locaux. Il a indiqué que le délai est de trente jours, et qu’il court à compter de la date de réception de la demande de paiement par l’acheteur public.

Dans l’hypothèse d’un retard ou défaut de paiement, les sanctions prévues par le droit des assurances (suspension de garantie et faculté de résiliation par l’assureur) et celles du droit des marchés publics (intérêts moratoires et indemnité forfaitaire de recouvrement fixée à 40 €), diffèrent. La conciliation de ces deux corps de règles est délicate, et la question se pose de savoir si un acheteur public d’assurances ne pourrait pas se voir appliquer un cumul de sanctions

La dématérialisation des factures, la généralisation en 2018

  • Depuis 2005, les étapes de passation et d’exécution des marchés publics ont progressivement évolué vers des modes dématérialisés (publication en ligne des avis de marchés, transmission électronique des offres, etc.). Plus récemment, la nouvelle directive sur la passation des marchés publics (dir. n° 2014/24/UE), en date du 26 février 2014, rend obligatoire en 2018 la dématérialisation de l’ensemble de la procédure de passation des marchés supérieurs aux seuils européens. Un premier mouvement de dématérialisation des factures a été initié en France par le décret du 22 décembre 2011 relatif aux conditions d’acceptation par l’État des factures émises par ses fournisseurs sous forme dématérialisée (décr. n° 2011-1937). Depuis le 1er janvier 2012, tous les fournisseurs de l’État ont la possibilité de transmettre leurs factures de façon totalement dématérialisée.
  • La directive du 16 avril 2014 relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics (2014/55/UE), a pour objectif de généraliser ce dispositif, de l’élargir aux établissements publics et aux collectivités territoriales et de l’étendre progressivement à l’ensemble des sociétés. À cet effet, elle prévoit l’élaboration d’une norme européenne de facturation électronique, destinée à uniformiser et sécuriser les différents systèmes de facturation électronique nationaux. Les États membres de l’union ont jusqu’au 27 novembre 2018 pour transposer ces dispositions dans leurs droits nationaux. Dans cette perspective, la France a pris une ordonnance en date du 26 juin 2014 ayant vocation à rendre obligatoire l’envoi et la réception de factures sous forme dématérialisée pour l’ensemble de la sphère publique et de ses fournisseurs.

L’évolution du risque et les modifications contractuelles

En cours de contrat, l’acheteur public a pour obligation d’informer l’assureur de la survenance d’un sinistre susceptible de mettre en jeu une garantie. Le délai de déclaration est prévu au contrat, et ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés. En cas de déclaration hors délai, l’assuré encourt la déchéance de la garan­tie pour le sinistre en question, si elle est prévue au contrat et que l’assureur démontre que cette défaillance de l’assuré lui a causé un préjudice.

En contrepartie, l’obligation principale de l’assureur est de régler une indemnité d’assurance lors de la survenance d’un sinistre, dans le délai prévu au contrat, sous peine de se voir sanctionner par des intérêts moratoires, voire des dommages-intérêts.

Un service extranet de gestion des sinistres peut être mis à dispo­sition des acheteurs publics par l’assureur pour leur simplifier les actes de gestion au cours de l’exécution du contrat.

Modification du risque. Par ailleurs, l’assuré doit déclarer les circonstances nouvelles pouvant affecter les risques garantis, en l’aggravant, ou si un nouveau risque est apparu. Cette information doit être délivrée à l’assureur par lettre recommandée avec avis de réception, et dans un délai de quinze jours suivants la prise de connaissance de ces nouvelles circonstances, sauf à ce qu’un délai plus long ait été prévu au contrat.

En conséquence, la faculté est laissée à l’assureur de dénoncer le contrat ou d’augmenter le montant de la prime, ce qui s’accor­de assez mal avec les princi­pes du droit des marchés publics. Même si cette situation apparaît comme un bon exemple d’incompatibilité entre le droit des assurances et les marchés publics, c’est le code des assurances qui s’applique et il y a peu de contentieux sur ce point.

Pratiquement toutes les assureurs disposent de services spécia­lisés dont l’objet est le suivi des résultats techniques observés sur les différentes branches d’assu­rance. Cela peut se traduire en cas de dégradation du rapport sinistres/cotisations, par une modification en cours d’exécution du contrat d’assurance par l’établissement d’un avenant (voir « Des modifications contractuelles strictement encadrées »). Cette démarche est possible dans la mesure où ni l’économie initiale du contrat ni son objet ne sont bouleversés. Dans le cas contraire, la modification serait telle qu’elle nécessiterait la passa­tion d’un nouveau contrat en bonne et due forme. Le Guide de bonnes pratiques pour la passation des marchés publics d’assu­rances des collectivités locales définit l’avenant comme « L’acte par lequel les parties à un marché conviennent d’adapter ou de compléter une ou plusieurs de ses clauses ».

Conformément au dispositif de la directive européenne du 26 février 2014, les marchés publics d’assurance peuvent être modifiés par avenant dès lors que le montant de la modification est inférieur à 10 % du montant initial du marché.

Des modifications contractuell es strictement encadrées

Le code des marchés publics impose des limites dans le recours aux avenants. En effet, l’article 20 pose le principe de l’interdiction des avenants qui bouleversent l’économie du marché ou en changent l’objet hormis le cas des sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties. Une nouvelle consultation est alors exigée dans le respect des règles de la commande publique. Dès lors, lorsqu’une modification du contrat d’assurance est envisagée par avenant, il faut préalablement se demander s’il y a bouleversement de l’économie du contrat ou changement de son objet. En ce qui concerne les marchés publics d’assurance, l’application de ce principe conduit à exclure tout avenant ayant un impact financier correspondant à un montant de plus 10 % du montant initial du marché et/ou portant sur des modifications contractuelles substantielles (installation de franchises, nouvelles garanties, etc.).

La fin anticipée du marché et les capacités de résiliation

Des contrats d’assurance à durée ferme et connue. En ce qui concerne la durée du contrat d’assurance, il est utile de rappeler qu’eu égard aux principes fonda­mentaux de la commande publique, prévoir un marché à durée illimitée est interdit.

On se trouve ici en présence de solutions différentes entre le code des assurances et celui des marchés publics. En effet, alors que le code des assurances repo­se sur un principe d’annualité assorti d’une clause de tacite reconduction, le droit de la commande publique, dans le cadre d’une nécessaire remise en concurrence périodi­que, impose une durée ferme et connue lors de la passation, et prohibe en principe la tacite recon­duction. Néanmoins, les reconductions sont possibles, même si cela est à nuancer dans la mesure où un marché trop long peut constituer un abus de position dominante, un juste équilibre est donc à trouver pour ne pas entraver la concurrence. La réponse à cette question, appor­tée par le Guide de bonnes pratiques, est que la durée initiale et le nombre de reconductions possibles doivent être déterminés dès la passation du marché. En pratique, les statistiques de sinistralité étant exploitables au bout de trois ou quatre années, les marchés sont souvent limités à cinq ans.

La résiliation des marchés publics d’assurance et continuité du service public. Concernant la capacité de désengagement des parties, le code des assurances offre la possibilité aux assureurs de résilier unilatéralement le contrat, pour non-paiement de la prime (C. assur., art. L. 113-3), pour aggravation de risque en cours de contrat (C. assur., art. L. 113-4) et pour aggravation de risque non déclarée. Ces résiliations sont d’ordre public et peuvent donc être soulevées sans être prévues au contrat (C. assur., art. L. 113-9). Cette faculté peut permettre une négociation avec l’assuré, avec pour conséquence éventuelle une augmentation des tarifs.

S’agissant de la faculté de résiliation annuelle (C. assur., art. L. 113-12), l’assuré ou l’assureur disposent de 10 mois pour résilier le contrat (du début de la période annuelle de garantie jusqu’à la date butoir fixée à deux mois avant la date de l’échéance suivante). Mais concernant « La couverture des risques autres que ceux des particuliers », les parties sont libres d’aménager conventionnellement tant la périodicité de la résiliation que le délai de préavis.

La question se pose de la compatibilité avec les dispositions des marchés publics et la continuité du service public, principe général du droit à valeur constitutionnelle. En effet, la puissance publique, en vertu d’un principe général du droit administratif, dispose d’un pourvoir absolu et discrétionnaire en vertu duquel elle peut modifier unilatéralement ses contrats, dans l’intérêt public, ou résilier ses contrat, même en l’absence de faute du titulaire du marché. En dehors de toutes dispositions contractuelles expresses, l’acheteur public peut donc provoquer une fin anticipée du marché motivée par la préservation de l’intérêt général. L’application de ce droit exorbitant, directement transposable dans les marchés publics d’assurance, est assortie d’une contrepartie financière puisque la résiliation unilatéralement dans l’intérêt général ouvre droit au versement d’une indemnité intégrale au profit du titulaire lésé.

Ainsi, dans la conception classi­que du droit administratif, seule la puissance publique a capacité à mettre un terme au contrat de façon unilatérale (CE, 15 janv. 1986, Sté l’Habitat moderne). Le cocontractant de l’administration doit poursuivre l’exécution du contrat même en cas de fautes de cette dernière. S’il souhaite résilier le contrat, il doit en faire la demande préalable à l’administration et déposer un recours devant le juge du contrat en cas de refus.

Dans ce contexte, le pouvoir de résiliation de l’assureur semble particulièrement limité. Or, comme évoqué précédemment, le code des assurances prévoit différentes modalités de résiliation à l’initiative de l’assureur.

les Obligations d’information et de conseil de l’assureur contraintes par la commande publique

L’articulation de l’obligation d’information et du devoir de conseil de l’assureur s’articule de façon restrictive avec le formalisme de la commande publique :
  • Une rédaction unilatérale du contrat par l’assuré. Dans un marché public d’assurance, l’acheteur public définit ses besoins en garantie, les matérialise dans différents documents et les impose aux assureurs candidats. Cette logique de « souscription inversée » fait disparaître la notion de contrat d’adhésion sur laquelle repose la formation classique du contrat d’assurance. Depuis 1998 et la soumission de l’assurance aux règles de la commande publique, la liberté contractuelle des assureurs est enfermée dans la définition préalable des besoins par l’acheteur public. Dans le cadre de procédures de passation encadrées et formalistes, l’assureur ne peut plus proposer un contrat type à la collectivité mais doit adhérer aux exigences de celle-ci formulées dans un cahier des charges. Au titre de l’article L. 112-2 du code des assurances : « L’assureur doit obligatoirement fournir une fiche d’information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat. Avant la conclusion du contrat, l’assureur remet à l’assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l’assuré ». Cette obligation matérielle semble disparaître dans un marché public d’assurance puisque la détermination des garanties et de leur champ d’application appartient à l’acheteur public.
  • Un échange d’information limité. Selon les dispositions des articles L. 112-3 et L. 113-2 du code des assurances, l’assuré est tenu de déclarer à l’assureur, lors de la conclusion du contrat, les circonstances de nature à lui faire apprécier les risques qu’il prend en charge. Cette disposition se traduit par un formulaire de déclaration des risques que l’assureur adresse à l’assuré. Comme évoqué précédemment, le recensement des risques dans un marché public d’assurance appartient exclusivement à l’acheteur public. En application du principe d’égalité de traitement des candidats, l’assureur n’a qu’une capacité d’initiative limitée dans la collecte de l’information car tout échange direct avec l’acheteur est interdit. Certes, au cours d’une procédure de passation, l’assureur candidat peut demander des renseignements supplémentaires à la personne publique sur tous les documents mis à la disposition des candidats. Cette faculté souffre d’une double limite : d’une part, en appel d’offress ouvert, le dernier délai pour fournir ces renseignements est de 6 jours avant la date limite de remise des offres, d’autre part, le périmètre des questions posées doit être limité aux dispositions du cahiers des charges.
  • Une faible capacité de proposition de l’assureur. Pour compenser la définition et la rédaction unilatérale des besoins d’assurance, l’acheteur public peut autoriser le recours aux variantes. C’est l’assureur qui devient l’auteur d’une proposition alternative à l’offre de base définie au cahier des charges. Les conditions de recevabilité des variantes proposées par les candidats à un marché public changent selon le type de procédure de passation utilisées. Retenons que pour les procédures les plus importantes (procédures d’appel d’offres), le code des marchés publics pose le principe d’une autorisation préalable expresse de l’acheteur public pour la présentation de variantes par les candidats. De plus, le périmètre couvert par la variante peut être totalement libre ou délimité par l’acheteur public. Dans les procédures d’appel d’offres, les variantes doivent respecter les « exigences minimales » définies dans le cahier des charges. Ce sont des éléments techniques sur lesquels la variante ne peut porter. Autre élément sur l’adaptabilité des offres aux besoins d’assurance, le code des marchés publics interdit toute forme de négociation avec les assureurs candidats dans le cadre des procédures d’appel d’offres...

Un marché d’exception

La primauté du droit des assurances dans l’exécution des marchés publics d’assurance semble être la solution adoptée par la doctrine et le juge administratif (application de la résiliation en cas d’aggravation du risque en cours de contrat : Rép. min. n° 05925, JO Sénat du 27 juin 2013 ; mise en œuvre de la résiliation pour non-paiement de prime : CAA Marseille, 14 mai 2012, n° 08MA04112 ; recours à la résiliation pour absence de déclaration de risque, Guide de bonnes pratiques, question 31 ; résiliation annuelle d’ordre public, E. Pourcel, « De la résiliation appliquée aux marchés publics d’assurance, contrats et marchés publics » n° 2, févr. 2008, étude 2).

Les marchés publics d’assurance apparaissent donc comme une exception dans le champ de la commande publique.

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