La mutualité sens dessus dessous (Dossier Mutuelles)

Le mouvement mutualiste en général et la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) en particulier sont chahutés par l’accélération et le changement d’échelle des rapprochements. Au-delà des questions de personnes qui reviennent avec insistance pour la présidence, les débats internes sur le rôle et le périmètre de la fédération ont déjà commencé.

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La mutualité sens dessus dessous (Dossier Mutuelles)

C’est un drôle de congrès qui se dessine pour la Mutualité française, du 11 au 13 juin à Nantes. En façade, l’unité sera sauve. Une résolution consensuelle autour du thème du congrès, « L’utilité sociale, la justice et l’efficacité en tant qu’ambi­tion des entreprises mutua­listes », sera votée. Le prési­dent Étienne Caniard, un homme respecté et apprécié, sera applaudi. En coulisses, c’est une autre affaire, car le mouvement mutualiste est fortement bousculé. La succession de M. Caniard, élu en 2010 pour un mandat de six ans, est déjà dans tous les esprits. Certains spéculent même sur son départ anticipé, comme moyen d’échapper à un bilan controversé.

« Les années qu’Étienne Caniard a passées au collège de la Haute autorité de santé (HAS) avant son élection l’ont éloigné du mouvement mutualiste », estime un prési­dent de mutuelle. Quant au nouveau directeur général venu de la Cour des comptes, Emmanuel Roux, il était étranger au mouvement mutualiste et l’est, de l’avis quasi-général, resté. L’équipe dirigeante n’a « pas bien mené le choc de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés avec l’ANI du 11 janvier 2013 », estime encore cet élu, qui rappelle que les dernières réformes (contrats responsables, généralisation du tiers payant dans la loi santé) ont encore fragilisé les mutuelles.

« Nous payons au prix fort la trop grande proximité entre la mutualité et le parti socialiste », constate un autre dirigeant. Une proximité « totalement contre-productive » car « le gouvernement s’est fichu de nous », tempête-t-il, en allusion à la généralisation du tiers payant. « La Mutualité a soutenu le gouvernement en espérant des contreparties. Et le gouvernement a finalement choisi une solution technique qui fait de nous des payeurs non seulement aveugles, mais aussi invisibles, à la remor­que de l’assurance maladie. Jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, la mutualité faisait partie du paysage républicain. Cela a changé, et la FNMF doit retrouver un peu d’indépendance et de sens du rapport de force. Mais avant, nous devons régler nos questions de gouvernance », poursuit un autre président.

Comment sortir de l’ornière ? Plusieurs sources mutualistes nous ont affirmé qu’une proposition de modification des statuts de la FNMF serait soumise à l’assemblée générale à l’occasion du congrès de Nantes. Son objectif viserait à autoriser le président d’un groupement à être aussi président de la FNMF. Car il y a un dauphin et son nom est aujourd’hui un secret de Polichinelle : il s’agit de Thierry Beaudet, président du groupe Mutuel­le générale de l’éducation nationale (MGEN), qui négocie actuellement un rapprochement avec Harmonie Mutuelle, la première mutuelle santé française. M. Beaudet n’a jamais exprimé publiquement son intérêt pour la présidence de la FNMF. « Mais il est aujourd’hui le seul à avoir le profil pour le poste. On évoque parfois une candidature de Daniel Havis (Ndlr, président du groupe Matmut) mais ce n’est pas une hypothèse sérieuse », décrypte un responsable mutualiste. M. Havis ne loupe d’ailleurs pas une occasion de répéter que M. Beaudet est le « meilleur prétendant à la présidence ».

Une guerre d’influence

Les sociétés de personnes que sont les mutuelles adorent les histoires de people, pour autant les membres de la FNMF n’attendent pas un sauveur mais une réforme. Quelles que soient les qualités de M. Beaudet, ceux qui font de lui un homme providentiel lui savonnent aussi la planche. Car l’idée que le président d’une grande mutuelle puisse aussi être celui de la fédération en fait bondir plus d’un. « C’est comme si Henri de Castries devenait président de la FFSA, c’est invraisemblable. Si cela arri­ve, je quitterai la FNMF », s’exclame un président de mutuelle. Faut-il craindre un départ de mutuelles ? En l’état actuel, cela semble peu probable.

En revanche, de plus en plus de dirigeants se demandent pourquoi ils paient une cotisation d’environ 6 € par adhérent. Alors que le mouvement de concentration s’accélère (lire p. 44), les petites mutuelles ont l’impression de ne plus être à leur place à côté des grandes qui prennent le pouvoir. Et ces dernières n’ont plus besoin de la plupart des services de la fédération. Elles se contenteraient parfaitement d’un syndicat professionnel. Idem pour les organismes, de plus en plus nom­breux, adossés à des mutuelles d’assurance ou à des groupes de protection sociale.

Les rapprochements bousculent aussi les unions régionales, qui représentent la FNMF dans les régions, et les unions territoriales, gestionnaires des services de soins et d’accompagnement mutualistes (SSAM). « Si Harmonie Mutuelle et la MGEN vont au bout de leur projet, une partie d’entre elles vont se retrouver sous la domination d’un groupe », craint un président de mutuelle.

Certains préconisent une révision radicale du mode de calcul de la cotisation fédérale. Concernant les mutuelles santé, elle est de 3,04 € au titre de la cotisation nationale et 3,13 € au titre de la part régionale et du fonds de développement des SSAM en 2013. D’autres souhaiteraient une cotisation à deux vitesses, avec ou sans certains services.

Est-ce la panacée ? Des réflexions sont déjà engagées sur l’évolution de l’assiette de la cotisation, qui s’ajouterait à la baisse de 1,5 % par an décidée en 2013. Un rapport du cabinet d’expertise comptable Ethix, remis en janvier 2015 dans le cadre d’un droit d’alerte lancé par le comité d’entreprise de l’UES Mutualité française, analyse l’impact conjugué d’une telle baisse et du choc de l’ANI. Selon les scénarios, les effec­tifs d’adhérents déclarés par les mutuelles pourraient baisser de 5 % à 15 % en 2016 par rapport à 2013, fragilisant la FNMF. Avec des capitaux propres de 104,4 M€ en 2013 (1,7 fois les charges d’exploi­tation), la FNMF a les moyens d’absorber le choc, mais serait contrainte de réduire la voilure. Les syndicats sont inquiets pour l’évolution de l’emploi. Et ce rapport soulignait que la question des missions et du périmètre de la fédération reste ouverte. Mi-mars, un tract de la CFDT reposait la question du devenir de la FNMF : « le contexte économique devenant de plus en plus difficile, les mutuelles s’interrogent si les sommes investies dans la cotisation fédérale sont bien utiles, voire rentables ». Le directeur général Emmanuel Roux a déjà confirmé au comité d’entreprise que la remise en question de certaines activités est réelle. Ce pourrait être notamment le cas de la prévention santé.

Vers une réforme ?

Pour l’heure, seuls des transferts internes ont eu lieu. Ainsi, le service chargé du programme Priorité santé mutualiste (PSM), qui n’a pas produit les effets attendus lors de sa mise en route en 2006, a été démantelé et ses salariés ont intégré d’autres services. « Mais si la fédération abandonne ou réduit vraiment certaines missions comme le conventionnement avec les professionnels, la promotion et la prévention de la santé, au moins une centaine d’emplois pourrait être menacée (ndlr, sur 300 CDI au siège parisien) », calcule un responsable syndical. Convaincu que la cure d’amaigrissement est « inéluctable », il ajoute que tout « dépend du rythme » : « Vu la pyramide des âges, il n’y aura pas de casse si cela est fait sur 5 ou 6 ans ».

Étienne Caniard avancera-t-il dans la réorganisation avant la fin de son mandat, et sur quel tempo, ou laissera-t-il ce chantier à son successeur ? Des élus mutualistes le pressent, d’autres le soupçonnent d’immobilisme. Rappelons tout de même qu’à fin janvier, M. Caniard avait évoqué une possible entrée de la FNMF dans l’Association française de l’assurance (AFA). Un signe que le président n’exclut pas des tournants radicaux.

Un partenariat qui fait des vagues

Le partenariat entre l’UNMI, union adhérente à la FNMF, et la Fédération nationale indépendante des mutuelles (FNIM), pour créer une offre éligible à l’aide à la complémentaire santé (ACS) – qui a d’ailleurs été retenue – a provoqué des vagues jusqu’au siège de la FNMF. Rue de Vaugirard, on a soupçonné l’UNMI d’être le « cheval de Troie » de la Fnim. La FNMF n’avait rien prévu pour répondre à l’appel d’offres pour l’ACS, et certains de ses adhérents de taille significative, comme CCMO ou Prévifrance, ont adhéré à l’UGM-ACS présidée par Philippe Mixe, président de la FNIM. Michel Liautard, président de l’UNMI, défend « une démarche partenariale élargie ». Mais cela signifie-t-il qu’il pourrait rejoindre la FNIM ? « Je suis un peu étonné que notre partenariat technique suscite une telle question. Si le choix d’adhérer, ou pas, à une structure représentative ne se calculait qu’en fonction de l’actualité de ses activités, cela serait extrêmement fragilisant et serait preuve de peu de constance. Que je sache, la FNMF est une structure qui a su s’adapter, et ce depuis sa création » répond-il.

Des remises en question pour les fédérations intermédiaires

Le rôle des fédérations qui occupaient une place intermédiaire entre la FNMF et les mutuelles est remis en question, jusqu’à entraîner leur disparition. La Fédération nationale de la mutualité interprofessionnelle (Fnmi), qui comptait dans ses rangs Harmonie, Adrea ou Eovi, s’est auto-dissoute en juin 2014. Au même moment, la Fédération des mutuelles de France (FMF) a perdu un de ses piliers, la Mutuelle familiale qui a considéré que la FMF déviait de son rôle en participant économiquement et politiquement à la société anonyme créée par Solimut, union dont les mutuelles sont membres de la FMF. Seule la mutualité fonction publique (MFP) conserve un rôle politique clair, en défendant les spécificités de la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Une mission délicate alors que la révision du référencement – le dispositif de participation de l’employeur public à la complémentaire santé et à la prévoyance de ses agents – se profile. « Nous travaillons main dans la main avec les organisations syndicales. C’est suffisamment rare pour être souligné », déclare Serge Brichet, président de la MFP.

L’aiguillon de la Mutualité française

L’affaire du partenariat avec l’Unmi (voir encadré, page précédente) montre à quel point la Fédération nationale indépendante des mutuelles est devenue sous la présidence de Philippe Mixe une voix qui compte et un aiguillon de la FNMF. « Pendant longtemps, je pense que la Fnim a été traitée avec condescendance, dédain ou mépris. Aujourd’hui, on nous traite avec une certaine agressivité. Je préfère. », déclare M. Mixe en allusion à cet épisode. « Nous avons élargi notre offre ACS à toutes les mutuelles qui le souhaitaient, qu’elles soient fédérées ou non chez nous, auxquelles on ne proposait pas d’autre solution que d’intégrer un grand groupe mutualiste. » Philippe Mixe est d’ailleurs devenu administrateur de l’Unmi, au grand dam de la rue de Vaugirard. Avocat de formation, il s’est positionné comme le défenseur des mutuelles de proximité. Il multiplie sans désarmer les procédures pour les exempter du champ d’application de Solvabilité 2. Et il est à l’initiative d’une autre union, l’UGM Opéra, qui a vocation à donner aux mutuelles de la Fnim et « à celles qui voudraient les rejoindre » les moyens de répondre aux exigences réglementaires croissantes, en matière de gouvernance, d’informations destinées au public et au superviseur.

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