La protection juridique plaide sa cause

Sortie de l’ombre, l’assurance de protection juridique a gagné en notoriété, auprès des particuliers comme des entreprises. Rançon de cette nouvelle aura, cette branche de l’assurance dommages travaille désormais à la préservation de ses équilibres techniques dans un environnement réglementaire et judiciaire hostile.

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40%

Le taux d’équipement des ménages français en PJ (monocontrats ou garantie en inclusion).

70%

La part des Français qui connaissent la possibilité de souscrire des garanties offrant un service dans l’accompagnement et le traitement amiable ou judiciaire des conflits de la vie courante.
Source : Marché
Ce sont désormais des produits qui s’achètent et non plus seulem e nt q u i s e vendent », affirme Claire Riollier, directrice générale d’Allianz Protection juridique (PJ), à propos de cette branche jeune de l’assurance dommages – son cadre juridique ne date que de 1990 – qui conquiert année après année de nouvelles parcelles de visibilité dans le paysage du droit. La raison en est l’autonomisation à l’oeuvre dans la commercialisation de ces produits. Ce phénomène n’est certes pas nouveau, à l’image d’Axa Protection juridique, qui a entrepris cette démarche au tournant des années 2000, mais il a connu une accélération au cours des cinq dernières années. Fin 2009, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) évaluait à 26% les contrats autonomes dans le portefeuille d’assurances de PJ en France (entre 22 et 25 millions de contrats). Depuis, le rythme de progression s’est accéléré de 8% en moyenne par an. En 2014, cette part représenterait près de la moitié, au détriment de garanties de PJ en inclusion dans des contrats habitation ou auto. « L’augmentation du nombre de monocontrats caractérise l’évolution structurelle du marché. Ainsi, pratiquement toute la croissance de 2013 s’est faite sur les contrats vendus seuls », explique Rose-Marie Pardo, directrice générale de Groupama PJ, dont le million de monocontrats représente 40 M€ en 2013, sur un chiffre d’affaires total de 64 M€.

500 000

Le nombre de litiges pris en charge chaque année par l’assurance PJ.
Source : Marché

70%

La part des litiges de particuliers dans le marché de l’assurance protection juridique.
Source : Groupement des sociétés de protection juridique

75%

La part des litiges résolus à l’amiable.
Source : Marché
Plusieurs raisons expliquent cette sortie de l’ornière. Au premier rang figure la judiciarisation croissante de la société française et le nombre de petits litiges associés. En témoigne le nombre d’affaires nouvelles portées au civil devant les juridictions de première instance, qui a bondi de 31,2% entre 2000 et 2010, pour atteindre 1 670 760 dossiers. « La PJ est un outil de fidélisation, d’autant plus dans une période d’augmentation de l’activité des tribunaux, des infractions de tous ordres et des litiges (voisins, employeurs, impôts…) », commente Corine Monteil, directrice générale de nousassurons.com. La loi du 19 février 2007 instaurant le principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle est un autre motif de ce gain de notoriété de la PJ (lire encadré). En précisant que « l’aide juridictionnelle n’est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un autre système de protection », la loi a concouru à faire de l’assurance de PJ un véritable service d’intérêt général dans l’accès à la justice.

La rançon du succès

800 €

Le coût moyen d’un litige en phase amiable
Source : Marché

1 200 €

Le coût moyen d’un litige en phase judiciaire
Source : Marché
Revers de la médaille, ce gain de notoriété s’est accompagné d’une hausse de la fréquence des sinistres et des coûts moyens. «À partir de 2008, nous avons observé une accélération des cadences de déclaration, corrélée à une augmentation assez sensible des fréquences de sinistres, de l’ordre de 37%, soit près de 7% par an », souligne Hubert Allemand, directeur de Civis, groupement d’intérêt économique (GIE) qui réunit 28 sociétés d’assurances. Et d’ajouter : « Cette hausse de fréquences ne s’accompagne pas d’une augmentation du nombre de dossiers connaissant une issue judiciaire, mais beaucoup plus d’une croissance du nombre de litiges du quotidien. » En conséquence de quoi l’aggravation de la sinistralité et des coûts externes (frais d’avocats et judiciaires) contribuent à fragiliser les équilibres techniques de la branche. Et ce alors que le montant moyen d’une prime pour un particulier (70% des contrats) atteint 60 €. Chez Groupama PJ, Rose-Marie Pardo estime que «les frais d’avocats, qui représentent près de 80% des coûts externes, ont augmenté d’environ 10% entre 2007 et 2009 du fait de la loi de 2007 ». Pourtant, à peine 25% des 30 000 sinistres enregistrés en 2013 chez Groupama PJ ont été résolus en phase judiciaire.

Le salut hors la justice

Les compagnies ont identifié trois axes pour mieux maîtriser le ratio sinistres sur primes : la prévention, l’information juridique et la résolution amiable des litiges. Axa PJ a parié sur la première approche pour augmenter son taux d’équipement des professionnels, en les sensibilisant aux nouveaux risques liés à la cyberconsommation (injure, dénigrement sur les réseaux sociaux, atteinte à l’e-réputation). « Le professionnel est invité à évaluer son niveau d’exposition au risque numérique, à se comparer à ses pairs. Il aura la capacité de surveiller ce qu’on dit de lui sur le Net en créant son propre outil de veille, avec un système d’alertes», détaille Jean-Matthieu Lambert, directeur général d’Axa PJ.

Quant à l’information juridique, les assureurs préfèrent s’appuyer sur leurs propres ressources pour optimiser les coûts et désamorcer toute dérive vers le litige. Civis, qui dispose d’une équipe d’une quinzaine de juristes intervenant en amont, compte développer un site dédié, tandis que Groupama PJ admet que « l’information juridique par téléphone (130 000 délivrées chaque année) nous permet de maîtriser la sinistralité ». Reste que le véritable axe stratégique est la résolution à l’amiable. Ses avantages ne manquent pas : limitation des frais externes, simplification des démarches et, accessoirement, réduction des délais. D’autant « que si la durée moyenne de traitement en justice d’un litige est de deux ans, on la réduit à six mois à l’amiable », indique Marie-Hélène Reynal, chef de produit MRH à la Maif. Au-delà de la maîtrise de la charge de sinistres, les assureurs de PJ se préparent également à être la cible prochaine de la Chancellerie dans l’épineux dossier du financement de l’aide juridictionnelle. L’enjeu est de trouver d’autres solutions depuis la suppression, sous la présidence Sarkozy, du droit de 35 € sur les actes judiciaires, qui avait permis de récolter près de 60 M€. Problème : les besoins en financement de l’aide juridictionnelle sont évalués aujourd’hui à 300 M€. Le cabinet de Christiane Taubira, qui pourrait remettre à plat le dispositif d’ici à 2015, plancherait sur une contribution appliquée sur les contrats d’assurance de PJ. Cela n’est pas sans susciter l’ire des acteurs du marché. «L’aide juridique relève de la solidarité nationale, alors que l’assurance de PJ est un mécanisme assurantiel classique, qui relève de la mutualisation. Ce serait inéquitable d’envisager de faire contribuer, par le biais des assureurs, les seuls assurés PJ », relève Hubert Allemand. D’autant que, et c’est là le paradoxe, deux affaires sur trois relevant de l’aide juridictionnelle concernent le contentieux pénal et les procédures portées devant le juge aux affaires familiales (divorce), c’est-à-dire hors du champ de la protection juridique.

Un chiffre d’affaires en croisaacee de prés de 90% en neuf ans

Le marché de l’assurance de protection juridique en France progresse en moyenne de 5% par an depuis dix ans. Une accélération est perceptible depuis l’entrée en vigueur de la loi du 19 février 2007 qui a réformé cette branche.

La PJ est un outil de fidélisation, d’autant plus avec l’augmentation des infractions de tous ordres et des litiges.

Corine Monteil, directrice générale de nousassurons.com

Les effets de la loi du 19 février 2007

Le libre choix de l’avocat : cette disposition a contribué à mettre un terme aux accords de rémunération passés entre les assureurs et les cabinets d’avocats. Désormais, c’est l’assuré qui contacte son défenseur, y compris en phase amiable.

La libre détermination des honoraires d’avocat entre ce dernier et son client : en l’absence de barèmes de rémunération, le montant des honoraires s’est envolé. L’assuré doit alors supporter un reste à charge. Pour limiter cet effet, la plupart des compagnies ont procédé à des augmentations tarifaires entre 2007 et 2010, en moyenne entre 2 et 3% par an.

La possibilité, pour un assureur, de proposer un avocat, mais « l’assureur ne peut proposer le nom d’un avocat à l’assuré sans demande écrite de sa part. » Les compagnies ont donc conservé des fichiers d’avocats auprès desquels ils orientent les assurés. Si le libre choix de l’avocat par l’assuré est le principe, sa désignation par l’assureur devrait donc être l’exception. Or, dans les faits, c’est l’inverse qui se produit. Les particuliers s’en remettent le plus souvent à leur assureur de protection juridique pour la désignation de l’avocat.

BERNARD CERVEAU, DOCTEUR EN DROIT ET AVOCAT À LA COUR

« La PJ contribue au mouvement de déjudiciarisation de la société »

Que peut-on dire de l’engorgement des juridictions françaises ?
Malgré des discours officiels apaisants, l’activité des juridictions est toujours en forte croissance. Au civil, les affaires portées devant les juridictions de première instance ont progressé de 31,2% entre 2000 et 2010. La faiblesse de l’accroissement du nombre des magistrats (de 8 008 en 2001 à 8 785 en 2010) est révélatrice des difficultés que rencontrent les Français à faire valoir leur droit devant les tribunaux, d’où l’intérêt du recours aux avocats et, bien sûr, à l’assurance de protection juridique qui lui permettront d’aboutir à des accords à l’amiable.

Face à cette augmentation chronique des affaires portées devant les juridictions, quels rôles jouent les assureurs de PJ ?
En réglant à l’amiable plus de 75% des quelque 500 000 litiges qui leur sont déclarés annuellement, les assureurs de protection juridique procurent une solution qui permet d’aider le consommateur assuré à accéder au droit et à la justice sans nécessairement passer par le procès. La protection juridique contribue ainsi au mouvement de déjudiciarisation prôné dans le rapport sur le juge du XXIe siècle (1).

La loi du 19 février 2007 a-t-elle permis de décharger le budget de l’aide juridictionnelle ?
Cette loi a institué la subsidiarité de la protection juridique par rapport à l’aide juridictionnelle. Or, il apparaît que les justiciables pouvant prétendre au bénéfice de cette aide sont peu nombreux à effectuer préalablement une déclaration de sinistre à leur assureur pour obtenir une prise en charge du coût du procès. Par ailleurs, les bureaux d’aide juridictionnelle ne possèdent généralement pas les éléments d’information qui leur permettraient d’agir efficacement. Une telle situation s’explique pour partie par une inadéquation entre les litiges pris en charge par l’assurance de protection juridique et ceux traités dans le cadre de l’aide juridictionnelle, dont le plus grand nombre relatif au droit pénal et au droit des personnes, qui ne sont pas toujours garantis par les contrats. 1. Rapport remis au ministre de la Justice en décembre 2013.

PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN ACEDO

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