Le secteur de l'assurance face à l'industrialisation de la médiation (Dossier)

L’Europe l’a voulu, tous les consommateurs en conflit avec un professionnel ont droit à un médiateur. En France, les assureurs offrent depuis longtemps cette possibilité à leurs assurés, mais la réforme change le dimensionnement de ce service. Dangers et vertus de l’industrialisation de la médiation pour le secteur de l’assurance.

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Le secteur de l'assurance face à l'industrialisation de la médiation (Dossier)

À peu près 66 millions de Français : autant de consommateurs d’assurances potentiels auxquels il faut donner accès à un service de médiation, en cas de différend avec un assureur. Et surtout, faire savoir aux assurés qu’ils y ont droit, depuis le 1er janvier 2016. Sans vouloir jouer à se faire peur, la grande inconnue issue de la médiation des litiges de consommation, nouvellement créée, est aujourd’hui le volume de demandes que les médiateurs de l’assurance vont devoir traiter (voir graphique p. 34). Ce nouveau droit du consommateur à la médiation, transsectoriel, est le fruit de plusieurs années de promotion par la Commission européenne. À commencer par la publication d’un Livre vert, paru en 2002 sur le sujet. Les objectifs poursuivis au niveau européen ? Accroître la protection du consommateur et parfaire le marché unique. Le législateur européen a donc produit deux directives et un règlement d’application directe, pour enjoindre les États membres à développer le règlement extrajudiciaire des litiges (voir ci-dessus). En conséquence, la médiation des litiges de consommation « s’applique à un litige national ou transfrontalier entre un consommateur et un professionnel ». Une plateforme européenne sur Internet, qui doit encore voir le jour, servira de plaque tournante pour orienter les consommateurs européens vers le bon médiateur. Pour ce faire, ces derniers seront inscrits sur une liste, notifiée à la Commission européenne.

Droit des consommateurs à la médiation

La France a emboîté le pas à l’Europe, dans l’espoir aussi de désengorger les tribunaux et, se faisant, de faire des économies sur le budget de la Justice. Depuis une ordonnance d’août et un décret d’octobre 2015 (1), le code de la consommation contient désormais les dispositions sur la médiation des litiges de consommation. Celle-ci se met en place progressivement, avec un peu de retard à l’allumage. Et pour cause, les professionnels doivent se plier à un cadre juridique plus contraignant et anticiper l’explosion potentielle des demandes de médiation. En effet, sa gratuité pour le consommateur et la publicité dont elle fait l’objet sont autant de facteurs qui laissent entrevoir un phénomène de masse. Un traitement sectoriel industrialisé apparaît alors inévitable. La clé de voûte de cet édifice est l’indépendance du médiateur vis-à-vis des professionnels. La loi exige de lui des aptitudes dans le domaine de l’arbitrage et la connaissance du droit de la consommation. La pratique y ajoute la maîtrise du secteur d’activité dans lequel il va évoluer… Le médiateur est nommé pour trois ans. Sa rémunération est « sans considération du résultat de la médiation ». En situation de conflit d’intérêts, il doit le signaler au consommateur en litige. Le médiateur doit aussi disposer d’un budget propre et suffisant pour mener à bien sa mission.

Une organisation contrôlée

En termes d’approche, la médiation de consommation tend donc à privilégier une logique sectorielle. Cependant, les textes juridiques laissent la possibilité aux acteurs économiques d’organiser, de façon finalement très libre, la médiation. Première chose, la médiation sectorielle n’est pas synonyme de médiateur unique, comme le secteur de l’assurance le démontre parfaitement (voir « Plusieurs chaînes de distribution », p. 39). Les organisations professionnelles représentatives peuvent également élaborer des dispositifs de médiation réservés à leurs membres adhérents en litiges avec leurs clients. Beaucoup plus surprenant, un médiateur peut officier pour une seule entreprise : c’est la « médiation d’entreprise ». Ce modèle est celui des établissements bancaires, par exemple. Mais tout en autorisant la médiation d’entreprise, la loi est méfiante à son égard. Dans son rapport, qui a présidé à la transposition de la directive du 21 mai 2013, Emmanuel Constant, médiateur des ministères de l’Économie et des Finances, souligne que c’est un « enjeu primordial » de garantir l’indépendance du médiateur d’entreprise. Ce dernier doit donc être désigné par un organe collégial comprenant au moins deux représentants d’associations de consommateurs agréées. Par ailleurs, ces professionnels sont désormais contrôlés par une Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation professionnelle (CECMP) (2), cet organisme est rattaché au ministre de l’Économie et composé de hauts magistrats, de professionnels, de représentants d’associations de consommateurs, ainsi que de personnes qualifiées. Cet organe a le pouvoir de lui retirer son « habilitation » si le médiateur ne satisfait pas aux conditions fixées par le code de la consommation. Les mécanismes juridiques de la médiation, huilés par le droit de la consommation, sont ainsi renforcés. À la condition que les moyens financiers de celui-ci soient à la hauteur, son enveloppe budgétaire doit lui permettre de faire face à des consommateurs enclins à se regrouper, car de mieux en mieux informés et plutôt belliqueux.

L’assurance, des fondations saines

Dans l’assurance, la médiation « institutionnelle » à destination des assurés, mise en place par les organisations représentatives de la profession, existe depuis le début des années 1990. Les fondations sont donc là. Il reste à faire évoluer les structures existantes pour les faire coïncider avec les nouvelles exigences qu’implique la médiation des litiges de consommation.

Se rapprochant au plus près de la médiation sectorielle, l’association Médiation de l’assurance est née de la volonté de la FFSA et du Gema. Son médiateur est désigné collégialement, Philippe Baillot, professeur de droit, ancien banquier et assureur. Ouverte aux intermédiaires, la CSCA a rejoint la Médiation de l’assurance en décembre 2015. Avantage, la charte de l’association permet aussi d’accueillir les assureurs étrangers, opérant en libre prestation de services (LPS) et en libre établissement (LE). D’autres syndicats ont fait le choix de l’indépendance (« Plusieurs chaînes de distribution »).

Bénéfique pour les assureurs, la médiation ?

Un petit chantier de mise en conformité de plus pour les assureurs. En effet, sur un plan opérationnel, ils doivent largement communiquer les coordonnées du médiateur auquel ils font appel. Pour l’heure, le spectre exact des supports de communication de cette information reste encore à définir précisément.

Mais surtout, on peut aussi légitiment s’attendre à ce que les médiateurs, davantage mis en lumière au profit des consommateurs, aient plus de poids sur les mauvaises pratiques professionnelles… À la suite d’une procédure confidentielle, ce médiateur rend, en principe, un avis dans les 90 jours que les parties au litige sont libres de suivre ou de ne pas adopter. En cas d’échec, la voie judiciaire reste ouverte. Cependant, en amont du rendu de cet avis, l’enjeu est d’obtenir un consentement des parties pour résoudre le différend. Sauf que dans la pratique, le principe devient exception. Les chiffres sont édifiants : dans son dernier rapport 2014-2015, Francis Frizon ancien médiateur de la FFSA, relève que sur les 6 695 préconisations qu’il a adressées aux entreprises, seules 985 ont donné lieu à un avis formalisé pour l’année 2014. C’est dans cet entredeux que l’influence du médiateur se fait sentir sur les pratiques professionnelles à corriger, même si formellement, les principales recommandations au marché se font au travers de son rapport annuel.

Rapport désormais obligatoire et détaillé, conformément aux dispositions de l’article R. 154-2 du code de la consommation. En cas de dysfonctionnements répétés, le médiateur doit encore se faire lanceur d’alertes, et cela à tout moment. Dès lors, cette influence flirte avec les compétences de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en matière de gouvernance produit et de protection des consommateurs. La profession, dans sa diversité, a parfaitement compris les enjeux d’image et de réputation qui s’attachent au déploiement du droit à la médiation pour l’assuré. Laurent Ouazana, président de Planète courtier en a une vision clairvoyante : « l’assurance n’a pas la cote auprès des assurés et des pouvoirs publics, le courtage encore moins. Nous devons nous saisir de tous les textes de lois qui protègent le consommateur et qui tendent à démontrer notre sérieux de manière visible ».

Risque de burn-out ?

En coulisses, une crainte se murmure dans l’hypothèse où les demandes de médiation exploseraient : les avis des médiateurs ne risquent-ils pas de se réduire à une peau de chagrin, et donc de perdre en substance s’ils se multiplient ? À l’heure de l’industrialisation de la médiation en faveur des consommateurs, les process, c’est la loi, doivent être au niveau des attentes.

1. Lire notamment à propos de la transposition en droit français de la directive du 21 mai 2013 : James Landel, « La médiation des litiges de la consommation : un nouveau défi pour les assureurs », RGDA 2015, n° 12, p. 538.
2. Au moment de la rédaction de cet article, un arrêté de nomination des membres de la CECMP , daté du 15 décembre 2015, non encore publié au Journal officiel, est consultable sur le site du ministère de l’Économie.

Les particularismes de la protection juridique

  • Expert en règlement des litiges, l’assureur de protection juridique (PJ) ne peut cependant pas être un médiateur entre son assuré et le tiers avec lequel il est en conflit. En effet, en protégeant son assuré, il est tenu d’être partial. Cependant, la médiation des litiges de consommation ajoute une corde à son arc. Anne d’Andiran, responsable juridique chez Cfdp explique : « en termes de gestion de sinistres, l’avènement de la médiation des litiges de la consommation nous offrira une hypothèse de résolution de plus à étudier pour la défense de nos assurés, au cas par cas. Si nous avons le sentiment que cela lui est profitable, nous l’accompagnerons dans cette démarche ». Autre particularité, le médiateur est compétent pour régler un différend entre l’assuré et l’assureur PJ sur les mesures à prendre pour régler son litige.
  • À la question de l’impact commercial de la généralisation de ce nouveau modèle de médiation à tous les secteurs professionnels sur les contrats PJ, Anne d’Andiran affiche une certaine sérénité. Les garanties « n’apportent pas le même service et ont un périmètre qui dépasse le droit de la consommation ».

3 modes alternatifs de résolution des conflits

  • 1. La conciliation tend à trouver une solution amiable à un litige à l’aide d’un conciliateur qui recherche une solution pour les parties en présence.
     
  • 2. La médiation est « un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur ». Cette définition, issue d’une directive européenne de 2008, englobe à la fois la médiation des litiges de consommation et la médiation conventionnelle. C’est-à-dire celle des centres de médiation, comme le Cefarea en matière d’assurance et de réassurance. Avec la transposition de la directive de 2013, la médiation conventionnelle a pour objet de résoudre les litiges entre professionnels.
     
  • 3. L’arbitrage consiste à soumettre, par voie contractuelle, un litige, né ou à naître, a un arbitre ou tribunal arbitral (juridiction privée), indépendant et impartial. L’arbitre rend une décision, appelée sentence arbitrale, dotée d’une force obligatoire entre les parties, qui met fin au litige.

L’assurance n’a pas la cote auprès des assurés et des pouvoirs publics, le courtage encore moins. Nous devons nous saisir de tous les textes de lois qui protègent le consommateur et qui tendent à démontrer notre sérieux de manière visible.

Laurent Ouazana, président de Planète courtier

Tout en favorisant l’émergence d’une médiation sectorielle, la transposition de la directive du 21 mai 2013 dans le code de la consommation en 2015 laisse une large marge d’appréciation aux professionnels pour s’organiser, sous réserve de garantir l’indépendance du médiateur. En cas d’infraction à cette règle, le médiateur ne sera pas reconduit dans ses fonctions par la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation.

1. Ces textes n’abrogent pas le cadre juridique générale de la médiation issue de la directive européenne de 2008.

Une croissance exponentielle des demandes de médiation

(Source : Rapport annuel 2014-2015 du médiateur de la FFSA)

Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014, le médiateur de la FFSA a reçu 11 745 demandes de médiation, soit 1 284 de plus qu’en 2013 (+12,7%). Un nouveau record mais aussi la poursuite d’une croissance forte et régulière des demandes amorcée depuis 2008 (4 350 dossiers traités).

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