Les artisans de l'assurance
Menacées par la concentration, les petites mutuelles d'assurances explorent d'autres alternatives et valorisent leurs atouts. Sans pour autant sacrifier leur identité ni compromettre leur savoir-faire artisanal.
- Solvabilité 2 Le pilier 2 (gouvernance et fonctions-clés) cristallise une partie des inquiétudes en termes de contraintes organisationnelles et financières.
- Concurrence La pression concurrentielle invite les petites mutuelles à revoir leur stratégie et rechercher les économies d'échelle.
- Atouts La pérennité du modèle dépendra de leur capacité à conjuguer bonne gestion financière, mise en commun de moyen et partenariats multiples.
Pour les petites mutuelles d'assurances leurs préoccupations sont bien loin de celles stratosphériques de l'industrie de l'assurance réputée pour l'appétit mondialisé de ses acteurs. Leur volonté commune est : porter haut un savoir-faire particulier au niveau local ou régional, en dehors de tout contexte industriel. Bref, des artisans de l'assurances aux valeurs mutualistes attachés affectivement à leurs sociétaires et réciproquement... sans philanthropie. Mais la pérennité de ce modèle artisanal se trouve aujourd'hui menacée. En témoigne l'intensification des mouvements de rapprochements observés récemment. La preuve : rien qu'en 2012, pas moins de sept petites mutuelles d'assurance ont procédé entre elles à des fusions-absorptions. En cause : une pression concurrentielle exacerbée. « Dans un environnement de marché saturé, les acteurs de l'assurance privée investissent avec une politique de prix agressive nos segments pour conquérir de nouvelles parts de marché », souligne Charles Weber, directeur général de la Ciade (Caisse intercommunale d'assurances des départements de l'Est). Dans ce contexte, la proximité avec le sociétariat n'est plus un marqueur suffisamment différenciant et impose des arbitrages pour défendre une compétitivité-prix. « Pour obtenir des coûts de gestion inférieurs aux structures parisiennes, nous travaillons beaucoup en affaires directes depuis notre siège de Quimper avec une gamme de produits limitée. En outre, notre faible diversification géographique permet de limiter les coûts fixes », détaille Patrick Tudal, directeur de la Sambo, mutuelle d'assurances des marins-pêcheurs. Quitte à revoir aussi sa stratégie. « La force d'une petite structure est sans doute sa réactivité. Dans un marché mature à faible levier de croissance, nous avons élargi notre couverture de la Marne aux départements limitrophes. Ce changement d'échelle a optimisé nos dépenses et nous a ouvert de nouvelles perspectives », indique Olivier de Bretagne, directeur général de la Caisse mutuelle marnaise d'assurance (CMMA).entre 0,8 et 5%
Du chiffre d'affaires : impact financier estimé de la mise en oeuvre de Solvabilité 2 pour ces petites structures.
Cyril de Beco, associé assurances chez Ernst et Young
« Les petites mutuelles ne disparaîtront pas du marché »
- Comment expliquer ce phénomène continu de concentration ?
Ce mouvement soutenu de rapprochements est à l'oeuvre depuis vingt ans et est alimenté par la volonté des acteurs de se regrouper afin de se mettre en capacité d'améliorer la relation et le service client (via le digital aujourd'hui notamment). Cette « concentration » est également nécessaire par la création des économies d'échelles pour faire baisser les coûts de gestion et pour dégager le financement des investissements nécessaires. Ce mouvement là n'est certes pas récent mais il est amplifié par les évolutions réglementaires en cours.- Ces mutuelles peuvent-elles, à terme, disparaître du paysage assurantiel ?
Le nombre de petites mutuelles va continuer à décroître significativement. Vont-elles disparaître du marché ? La réponse est non. Elles seront toutefois plus diversifiées, auront sacrifié un peu d'indépendance et gagné en taille. Mais cette perte d'autonomie ne se traduira pas nécessairement par une perte d'identité (à l'image des Sgam). On peut imaginer qu'une mutuelle régionale avec une identité forte puisse s'adosser à un groupe pour bénéficier d'une diversification, d'une solidité financière et d'un coût plus faible de réassurance.
ROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN ACEDO
Un nouvel enjeu, Solva 2
Autre catalyseur de la concentration : Solvabilité 2. Alors que le calendrier de la directive n'est pas stabilisé, le pilier 2 (gouvernance et fonctions-clés) cristallise une partie des inquiétudes. Pour Pascale Seni-Lapp, directrice générale de la Mutuelle d'assurance des armées (MAA), « sa mise en oeuvre supposera certainement la mise en commun à plusieurs des fonctions-clés telles que l'audit interne ou l'actuariat.
Le commissaire contrôleur disposera d'une réelle influence quant au maintien de ce tissu économique.
Marie-Hélène Kennedy, déléguée générale de la Roam
Des interrogations demeurent également quant à la formation du conseil d'administration et à l'adaptation de l'Orsa (évaluation interne des risques et de la solvabilité) pour des structures comme les nôtres ». Sans compter la charge financière que représente la mise au pas de Solva 2. À la Ciade, entre le reporting, l'équipement informatique ou la fonction actuarielle, on estime que cette transition coûtera près de 150 000 € par an. Une somme, alors que la mutuelle n'a dégagé que 3,309 M€ de chiffre d'affaires sur l'exercice 2012. Même constat à la Sambo pour qui la directive générera « près de 300 000 € de coûts supplémentaires dans les trois ans qui viennent », précise Patrick Tudal. De ce point de vue, les acteurs du marché attendent beaucoup des fameuses règles de proportionnalité (lire encadré) et des exigences du régulateur en termes de contrôle : « Quelle va être la volonté de l'ACPR ? Défendre ces artisans de l'assurance ou au contraire accélérer la course vers le modèle unique ? Le commissaire contrôleur disposera d'une réelle influence quant au maintien de ce tissu économique », prévient Marie-Hélène Kennedy, déléguée générale de la Roam.
Le Gamest libère les cédantes des contraintes réglementaires.
Jean-Pierre Tschiember, président du directoire du Gamest
En route vers les Sgam ?
Reste que si le marché et Solvabilité 2 imposent une prise de conscience de la nécessité de se restructurer et/ou de se regrouper avant que les difficultés financières n'interviennent, la fusion-absorption ne saurait constituer la seule alternative au scénario déjà écrit de la course à la taille. D'autres solutions moins fatalistes, garantes de l'esprit mutualiste et de l'indépendance des entités, sont explorées par ces irréductibles. Au premier rang desquelles figurent la société de groupe d'assurance mutuelle (Sgam). Cette forme juridique présente l'avantage de permettre à des sociétés de partager une partie de leurs activités, de constituer une force de frappe financière tout en conservant leur identité propre. Un premier pas qui ne suffirait pas : « La Sgam est une société de mutualisation des moyens mais n'est pas en mesure de contourner efficacement l'obstacle de Solvabilité 2. Vous ne pourrez pas mettre en commun des fonctions-clés », observe Jean-Pierre Tschiember, président du directoire du Gamest. Sans oublier que la Sgam « est peu adaptée à des structures de trop petites tailles aux besoins modestes », ajoute Patrick Tudal qui indique « avoir réfléchi à cette hypothèse avec la Prévoyance maritime et la Prévoyante ». Autre option : le groupement d'intérêt économique (GIE) informatique. Il apparaît comme un moyen de bénéficier des avantages liés à la taille, sans les contraintes en termes de perte d'autonomie. Et peut se révéler utile dans le cadre de la mise en place d'un outil de reporting prudentiel tel que prescrit par Solva 2. Une voie qu'a notamment suivie la Sambo en 2009 en créant un GIE informatique avec une mutuelle quimpéroise. Entre le GIE et la Sgam, d'autres mutuelles à l'image du Gamest ont opté pour une forme juridique plus engageante : l'union de réassurance. Elle a pour objet de réassurer, par la mutualisation, des sociétés d'assurances mutuelles (les cédantes) qui ne peuvent supporter le coût de la réassurance et de leur apporter une caution solidaire en garantie de leurs engagements de résultat technique et de solvabilité. En contrepartie, les cédantes conservent leur gouvernance, leur identité et leur marque mais sacrifient leurs agréments (100% de l'encaissement des cotisations) à l'union. Si certains voient dans cette formule un coup de canif à l'esprit mutualiste, d'autres, a contrario, estiment qu'il s'agit là d'une opportunité : « Le Gamest libère les cédantes des contraintes réglementaires. Au-delà, elles bénéficient de services techniques, juridiques, informatiques mutualisés sans avoir à les financer sur ses fonds propres. En retour, nous veillons au respect de leurs équilibres techniques », précise son président Jean-Pierre Tschiember.
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Le nombre de petites mutuelles d'assurances qui ont procédé à des fusions-absorptions entre elles en 2012
source : ACP
Les petites mutuelles d'assurance disposent d'atouts à faire valoir. La solidité et la pérennité de leur modèle dépendront de leur capacité à conjuguer trois facteurs clés : nouer des partenariats de distribution multiples, mettre en commun des moyens et conserver une gestion financière saine. Dès lors, malmenés dans un écosystème difficile à maîtriser, ces ultimes témoins d'un âge d'or du mutualisme local et/ou affinitaire refusent cette chronique d'une mort annoncée. Et comptent bien déjouer les pronostics apocalyptiques pour quelques années encore.
RÈGLES DE PROPORTIONNALITÉ : DES PRINCIPES MAIS PAS DE LIGNE DIRECTRICE
Les dernières prises de positions publiques des autorités européennes laissent à penser que les entités d'assurance de petite et de moyenne tailles ne bénéficieront d'aucune disposition spécifique dans Solvabilité 2. L'article 29 rappelle que « les États membres veillent à ce que les exigences énoncées dans la présente directive soient appliquées de façon proportionnée eu égard à la nature, à l'ampleur et à la complexité des risques inhérents à l'activité d'une entreprise d'assurance ou de réassurance ». Le principe de proportionnalité doit donc être compris comme une disposition générale qui s'applique sur les trois piliers du futur régime prudentiel, mais n'est pas explicitement défini dans la directive. « Il appartiendra à l'entreprise de prouver de manière objective, détaillée et documentée que la nature de ses risques lui permet de répondre à ses obligations réglementaires de manière proportionnée », souligne Marie-Laure Dreyfuss, responsable du pôle gouvernance et contrôle interne au sein du cabinet Actuaris.
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