Frictions avec le gouvernement : La mutualité tape du poing
Gros temps pour les mutuelles. Depuis ce printemps, les tensions avec les pouvoirs publics sont allées crescendo, pour atteindre leur point d'orgue avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2012. Au vu de la tournure prise par les polémiques entre la Mutualité française (FNMF) et la classe politique, on pourrait penser que la hache est déterrée. Étienne Caniard, président de la Fédération nationale de la Mutualité française, tient pourtant à relativiser la situation actuelle. « La Mutualité française veut être un interlocuteur exigeant vis-à-vis des pouvoirs publics, quel que soit le camp politique en place. Bien sûr, cette exigence dérange lorsqu'elle ne s'inscrit pas dans le calendrier politique. C'est aujourd'hui le cas lorsque nous affirmons que les mesures de court terme de nature financière ne sont pas à la hauteur des enjeux de l'accès aux soins », explique-t-il. Paradoxalement, cette dégradation des relations entre la FNMF et les politiques aura eu le mérite d'exaucer le voeu de nombreux dirigeants mutualistes. Il y a tout juste un an, quelques semaines avant l'élection d'Étienne Caniard, beaucoup exprimaient leur souhait que la FNMF intensifie ses actions et prises de positions publiques ! C'est chose faite : depuis la rentrée, le président de la fédération a fait tous les plateaux télé et les grandes radios. Son service communication a recensé quelque 600 articles de presse pour le seul mois de septembre, contre 1 700 pour toute l'année en 2009 et en 2010.
Un activisme fédéral qui réveille les troupes
Et avec le slogan de sa campagne de presse contre la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) - « Un impôt sur notre santé ? C'est non ! » -, le « premier mouvement social français » tape du poing sur la table. Cet activisme est apprécié dans toutes les branches de la famille mutualiste. « Cela peut aider à porter les revendications sociétales de la Mutualité », estime Serge Brichet, le président de la Mutuelle générale de l'Économie et des Finances (MGEFI), la mutuelle référencée à Bercy. Le directeur adjoint des relations institutionnelles et mutualistes de Macif mutualité, Nicolas Leblanc, pense que « le mouvement mutualiste nous aide à communiquer auprès de nos adhérents ». Il faut leur expliquer « le rôle qu'on joue en tant que collecteur d'impôt », dit-il en allusion à la hausse des taxes qui pèsent sur la profession (7% pour la TSCA et 6,27% pour la Couverture médicale universelle).
La variable d'ajustement se rebiffe
Alors que le système de santé français part en vrille, la FNMF serait-elle en train de changer de logiciel ? Le président de la Mutuelle générale, Patrick Sagon, estime que « l'actualité de ces derniers mois a montré qu'elle a un positionnement plus exigeant auxquels les politiques n'étaient pas habitués ». Ils y étaient d'autant moins habitués que la fédération a, par exemple, soutenu, lors de la réforme de l'Assurance maladie de 2004, le concept du parcours de soins. Négociateur pour la Mutualité française à l'époque, Étienne Caniard reconnaît aujourd'hui avoir placé « beaucoup d'espoirs » dans les contrats responsables, qui devaient encourager les assurés à respecter ce parcours de soins. « Mais ils ont été utilisés pour un pilotage à court terme », regrette-t-il. Et depuis, « personne n'a pris conscience des conséquences d'une situation où l'Assurance maladie ne rembourse plus que 50% des soins courants ».
Cette évolution, qui concerne les soins de ville, hors affections de longue durée, a rendu les complémentaires santé indispensables. Pourtant, les pouvoirs publics sont restés sur une vision où elles ne sont que des variables d'ajustement financier. Pour bousculer cela, la FNMF lance dans le débat public l'idée de droit à la complémentaire santé. « Il s'agit de faire en sorte que le droit constitutionnel à la santé entre dans les faits. Chaque Français doit pouvoir accéder à une complémentaire santé », affirme Étienne Caniard. Cette approche nouvelle suppose une réflexion sur le champ d'intervention des complémentaires, des règles tarifaires minimales, et englobe plusieurs problématiques qui font aujourd'hui débat, comme le coût de la complémentaire, l'orientation des aides pour les publics les plus fragiles (jeunes, personnes âgées, personnes en sortie de vie active). Étienne Caniard établit une analogie avec le droit au logement : « Nous, nous affirmons que la complémentaire est indispensable pour accéder aux soins. »
Les syndicats rejoignent la fronde
Le président de la Mutualité française souhaite impliquer l'ensemble des acteurs du monde de la santé, des représentants des usagers aux médecins, et au-delà, en travaillant aussi avec des représentants des collectivités ou les syndicats de salariés.
Les lignes bougent vite : certaines centrales syndicales n'imaginaient pas de salut hors de l'Assurance maladie en matière de protection sociale, tandis que la Mutualité ne dialoguait plus guère qu'avec la CFDT. La récente déclaration commune signée par la FNMF et sept organisations syndicales contre la hausse de la TSCA marque un tournant. La FNMF rencontre aussi les syndicats de médecins pour évoquer les questions d'honoraires, notamment la rémunération insuffisante de certains actes. Début décembre, elle aura rencontré l'essentiel de ses interlocuteurs chez les médecins libéraux.
Localement, le message est activement relayé par ses unions régionales. « Nous allons visiter les permanences des députés pour leur faire part des problématiques des mutuelles », explique Nora Tréhel, présidente de la toute nouvelle Mutualité française d'Île-de-France.
LES SUJETS DE DISCORDE
- La remise en cause des réseaux après la censure par le Conseil constitutionnel d'une disposition de la loi « Fourcade » autorisant les mutuelles à moduler les remboursements.
- La hausse à 7% de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) pour les contrats de complémentaire santé solidaires et responsables dans la loi de Finances rectificative de septembre.
- Les menaces de taxation des réserves prudentielles des mutuelles dans le cadre du PLFSS pour 2012.
- Les projets de suppression des délégations de gestion du régime obligatoire pour les mutuelles de fonctionnaires (PLFSS 2012).
- La création du secteur optionnel par les députés (PLFSS 2012).
2 QUESTIONS À
Philippe François, chercheur à la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Fondation iFrap)
« Les mutuelles sont trop petites pour jouer leur rôle »
- Comment analysez-vous les tensions actuelles entre les mutuelles et le pouvoir public ?
Elles montrent que les mutuelles, et les complémentaires santé en général, n'ont pas vraiment de pouvoir. Elles sont en quelque sorte « baladées » par l'Assurance maladie et les pouvoirs publics. Cela tient sans doute au fait qu'elles sont trop petites pour jouer pleinement leur rôle. On attend aussi d'une mutuelle qu'elle guide les assurés dans le système de santé, mais ce n'est pas le cas actuellement.
- Quelles évolutions souhaitez-vous ?
Notre position est qu'il faudrait que les complémentaires puissent, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, couvrir les assurés au premier euro et négocier avec les hôpitaux. L'Assurance maladie ne le fait pas. Pourtant, il faudrait dire qu'il y a des petits hôpitaux qu'il vaut mieux éviter. Il faudrait des acheteurs compétents en face des services de soins.
TÉMOIGNAGE
Caroline Ferreira, responsable nationale de la CGT pour les questions de protection sociale et de santé
« Il y a une logique pour les syndicats à travailler avec la Mutualité »
« Après son arrivée à la présidence de la FNMF, Étienne Caniard nous a expliqué qu'il souhaitait travailler avec l'ensemble des organisations syndicales. Même si nous n'avons pas encore beaucoup de recul, c'est à nos yeux une évolution positive. Elle a déjà donné lieu à une position commune contre la hausse de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance. Il existe aussi un groupe de travail avec la Mutualité et les syndicats sur la portabilité des droits. Il pourrait y avoir d'autres points de convergence, par exemple sur le secteur optionnel, auquel nous avons toujours été opposés. Nous souhaiterions aller plus loin, sur des sujets comme l'organisation et le financement du système de santé. Pour nous, il y a une logique à travailler ensemble, car nous nous adressons aux mêmes populations, les salariés. »
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