Systémique, l'assurance ?
Si l'activité d'assurance traditionnelle n'est pas jugée systémique, les groupes très « interconnectés » et offrant crédits et garanties financières sont pointés du doigt. Les mesures qui leur seront appliquées sont contestées.

UNE PREMIÈRE LISTE DE NEUF ASSUREURS
Publiée en juillet 2013, la liste initiale des assureurs d'importance mondialement systémique (G-SIIs) comprend :
- 3 Américains : AIG, Metlife, Prudential Financial ;
- 5 Européens : Allianz, Aviva, Axa, Generali, Prudential PLC ;
- 1 chinois : Ping An. La liste sera mise à jour en novembre de chaque année.
La crise financière de 2008, la chute de Lehman Brothers et le sauvetage d'AIG via une injection de 182 Md$ par l'État américain ont indéniablement laissé des traces. Car même s'il semble admis que l'assurance n'est pas, en tant que telle, source de risque systémique, le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB) n'en a pas moins sévi. Depuis juillet 2013, neuf grands groupes internationaux composent la première liste d'assureurs d'importance mondialement systémiques, les global systemically important insurers (G-SIIs). Liste qui sera prochainement mise à jour lors du G20 de Brisbane, et qui, selon toute vraisemblance, intégrera deux ou trois réassureurs.
Nous ne sommes pas des banquiers !
Comment en est-on arrivé là ? Les assureurs pensaient pourtant que leurs efforts de pédagogie avaient payé, et que l'assurance n'était plus assimilée à la banque. Ce n'est pas faute d'avoir tenté de démontrer que leur modèle économique, qui repose sur le fameux « cycle inversé de production » (l'assuré paie la prime avant qu'un éventuel sinistre ne se déclare), les immunise de tout risque de liquidité, et fait d'eux des investisseurs institutionnels essentiels à la stabilité du système financier.
De fait, l'Association internationale des contrôleurs d'assurance, l'IAIS, avait plaidé dès 2009 pour une reconnaissance des spécificités de ce secteur, au moment où le FSB commençait à s'attaquer à ce qu'il définit comme « le risque de perturbation dans les flux de services financiers, liée à la défaillance de tout ou partie du système financier, avec des conséquences potentielles sur l'économie réelle ». C'est pourtant l'IAIS elle-même qui a élaboré en 2012 la méthodologie ayant conduit à l'élaboration de la fameuse liste. « L'IAIS s'est fait "remonter les bretelles" par le FSB, qui a jugé sa position initiale trop laxiste », décrypte un bon connaisseur du sujet.
Les assureurs sont aussi les victimes collatérales du renforcement des contraintes réglementaires imposées aux banquiers avec Bâle 3. « Pourquoi y a-t-il un problème avec l'assurance ? Parce qu'il y a un risque d'arbitrage réglementaire avec le secteur bancaire », expliquait, début octobre, Karel Van Hulle, ancien responsable assurance à la Commission européenne, lors d'un colloque organisé par Scor.
Haro sur les activités de shadow banking
En clair, le FSB redoute que les assureurs sortent de leur champ d'action traditionnel, par exemple en prêtant en direct ou en fournissant des garanties purement financières. Bref, qu'ils cèdent aux sirènes du « shadow banking », comme AIG en son temps. Dans son récent rapport sur la stabilité financière, le FMI souligne d'ailleurs la très forte émergence du système bancaire parallèle, qui représenterait 60 000 Md$, à comparer aux 72 105 Md$ de produit intérieur brut mondial en 2013. Les assureurs sont accusés d'y participer, dans une proportion toutefois stable depuis 2007.
Inspirée de celle retenue pour les banquiers, la méthodologie de désignation des G-SIIs ne fait pas l'unanimité. De fait, deux critères sur les cinq comptent pour 85 % de l'évaluation (voir graphique) : l'interconnexion (le risque d'effet domino lié au poids des groupes dans le système financier) et, surtout, la part des activités dites « non traditionnelles, non assurantielles » (NTNI dans le jargon).
Une désignation plus politique qu'objective
Problème, la notion de NTNI, dont on comprend qu'elle recoupe ce qui a trait aux garanties financières et au risque de crédit, n'a jamais été définie clairement. « On trouve une liste d'exemples, comme les variable annuities, alors qu'il s'agit d'une activité très traditionnelle, notamment aux États-Unis, mais pas de définition permettant de saisir la finalité poursuivie par l'IAIS », précise Jean-Damien Létoquart, responsable du risque systémique chez Axa. « Comme il n'existe pas de définition internationale de ce qu'est l'assurance, on peut surtout se demander où s'arrête l'assurance traditionnelle », commentait Karel Van Hulle, lors du colloque de Scor.
Quoi qu'il en soit, nombreux sont ceux qui dénoncent le caractère tronqué de l'exercice. En théorie, la taille du groupe ne compte qu'à hauteur de 5 % dans les critères de désignation comme G-SII. « Mais que ce soit explicite ou implicite, la taille est visée à travers chaque critère. Or, en matière d'assurance, ce n'est pas la taille qui est déterminante, mais le degré de diversification, commente-t-on chez Axa. Les gros assureurs internationaux feront donc systématiquement partie de la liste, si bien que les résultats de sa réévaluation annuelle sont largement prédéterminés. » Une position partagée par Standard et Poor's. « La liste des neuf correspond aux neuf plus grands fournisseurs d'assurance vie mondiaux, ce qui tend à souligner la claire dimension politique de la désignation comme G-SII », écrivait ainsi l'agence de notation en juin, jetant un beau pavé dans la mare.
La surcapitalisation perçue comme une sanction
En attendant, le fait d'être jugé d'importance systémique n'est pas anodin. Supervision renforcée, mise en place de plans de résolution (pour démontrer qu'une faillite peut être un processus organisé, ne nécessitant pas d'injection d'argent public), réorganisations internes futures pour isoler les NTNI, et, surtout, nécessité de disposer de fonds propres plus importants pour être en mesure de couvrir une exigence de capital supplémentaire, le HLA : l'IAIS, sous la houlette du FSB, n'a pas fait les choses à moitié.
En réalité, c'est surtout le principe en vertu duquel les G-SIIs seront tenus d'immobiliser davantage de fonds propres réglementaires qui a du mal à passer. « Nous restons persuadés que notre secteur est très bien capitalisé et que l'ajout de capital supplémentaire sanctionne la taille et la diversification géographique », dénoncent l'Association de Genève et l'Institute of International Finance dans leur lettre du 8 août au responsable de la stabilité financière de l'IAIS, John Maroney. Le FSB et l'IAIS n'en font pas mystère : le HLA, dont la structure et le calibrage restent à déterminer courant 2015, est d'abord pensé pour « compenser les avantages éventuels liés à la désignation comme G-SII ». Un remède préventif contre l'aléa moral, en quelque sorte. « Même si cela peut paraître contre-intuitif, l'idée sous-jacente est que les institutions concernées risquent d'être jugées plus sûres par les marchés, car trop grosses pour qu'on les laisse faire faillite (too big to fail) », explique Karel Van Hulle.
En toile de fond, l'efficacité du système en cours de construction est plus ou moins explicitement questionnée. « On peut se demander dans quelle mesure la désignation comme assureur systémique renforce bien la stabilité financière et justifie le coût des mesures infligées aux organismes et à leurs superviseurs », résumait en juin Standard et Poor's. Pas sûr qu'il faille espérer que l'avenir nous donne la réponse.
Une méthodologie qui sanctionne indirectement la taille : Les cinq critères de pondération
La méthodologie de détermination des assureurs d’importance mondialement systémique, élaborée par l’IAIS, sera réévaluée tous les trois ans.
LES CATASTROPHES NATURELLES, VECTEURS DE RISQUE SYSTÉMIQUE ?
L'édition 2014 de la liste des G-SIIs comportera vraisemblablement deux ou trois réassureurs. « Nous anticipons que le FSB jugera l'exposition au risque cat' nat' comme une source potentielle de risque systémique, puisque les réassureurs concentrent ce risque pour le compte du secteur de l'assurance », écrivait Standard et Poor's le 11 septembre. L'agence de notation juge cependant que les catastrophes naturelles ne sont pas un vecteur de risque systémique. « Notre analyse de l'exposition des réassureurs et du degré d'interconnexion de leurs propres couvertures en rétrocession nous permet d'affirmer que sa solvabilité élevée protège le secteur de tout risque systémique », défend S et P. Le risque de contagion aux assureurs via les réassureurs est ainsi jugé limité.
LES ÉTATS-UNIS TRAVAILLENT À LEUR PROPRE RÉGIME DOMESTIQUE
Les États-Unis n'ont pas attendu le FSB pour tenter d'apporter une réponse au caractère potentiellement systémique de certaines institutions financières. L'exercice, qui a débouché sur l'identification de trois groupes systémiques nationaux, les D-SIIs, découle du Dodd Frank Act de 2010. Les trois D-SIIs sont aussi des G-SIIs : AIG, Metlife et Prudential Financial. « Le risque systémique chez les assureurs nous semble plus évident à l'échelon national qu'à l'échelon global, comme l'a révélé la crise de 2008 », commente Standard et Poor's dans une note coup de poing de juin 2014.
LES QUATRE CONSÉQUENCES DE L'IDENTIFICATION COMME G-SII
- 1. Renforcement de la supervision groupe, avec la création d'un « super-collège » de superviseurs, le Crisis Management Group (CMG).
- 2. Mesures de résolution : élaboration, dès 2014, d'un Systemic Risk Management Plan (SRMP) détaillant le programme de gestion et de limitation de l'impact systémique de l'organisme ; d'un Liquidity Risk Management Plan (LRMP), pour évaluer les contraintes de liquidité ; et, surtout, d'un Recovery and Resolution Plan (RRP) expliquant toutes les options et mesures susceptibles d'être activées par le groupe en cas de choc d'envergure systémique.
- 3. Soumission, à partir de 2015, à un standard de capital commun, le Basic Capital Requirement (BCR), à partir duquel s'appliquera, en 2019, une exigence de capital supplémentaire, le Higher Loss Absorbency Requirement (HLA).
- 4. À terme, séparation des activités dites « non traditionnelles, non assurantielles » (NTNI).
LE HLA, SANCTION MORALE ?
Dans un document publié le 22 septembre, l'IAIS justifie l'existence d'une exigence de capital supplémentaire (HLA) pour les groupes d'importance mondialement systémique (G-SIIs) : « La défaillance d'un G-SII est susceptible d'engendrer des coûts pour le système financier et l'économie en général. Le HLA a vocation à internaliser certains de ces coûts, qui sont sinon extérieurs aux G-SIIs. Concrètement, les G-SIIs se verront appliquer par leur superviseur groupe des exigences de capital supérieures à celles qui seraient les leurs s'ils n'étaient pas G-SIIs, calibrées de telle sorte qu'elles compensent les avantages éventuels liés à une telle désignation. Le HLA a vocation à inciter à réduire les activités jugées systémiques en les rendant plus coûteuses en capital, donc moins attrayantes. »
Même si cela peut paraître contre-intuitif, l’idée sous-jacente est que les institutions concernées risquent d’être jugées plus sûres par les marchés, car trop grosses pour qu’on les laisse faire faillite.
Karel Van Hulle, ancien responsable assurance à la Commission européenne
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