La construction du système conventionnel
Les conventions professionnelles qui ordonnent l'assurance automobile se sont mises en place pour répondre à un besoin de rationaliser la gestion des sinistres de masse de la branche. Elles profitent à l'assuré.
Marion Camier, juriste assurances dommages chez BPCE Assurance
L'automobile est devenue un produit de grande consommation. Au 1er janvier 2013, on comptait en effet plus de 38 millions de véhicules 4 roues et près de 4 millions de deux-roues motorisés en circulation en France.
C'est l'une des raisons pour lesquelles le législateur a instauré en 1958 une assurance obligatoire de responsabilité civile à la charge des propriétaires de véhicules motorisés, l'assurance automobile représentant 60% du chiffre d'affaires des assurances dommages souscrites par des particuliers.Les entreprises d'assurance sont en effet des prestataires de services dont la qualité est sévèrement appréciée par les victimes lorsque les délais de règlement sont trop longs, surtout en matière de dommages corporels.
Il s'agit d'une branche complexe qui, bien qu'elle soit fortement réglementée par le code des assurances, place les assureurs automobile dans un système de gestion de masse, les obligeant à trouver des solutions permettant de régler de façon efficace et rapide les sinistres matériels et corporels de leurs assurés. Les entreprises d'assurance sont en effet des prestataires de services dont la qualité est sévèrement appréciée par les victimes lorsque les délais de règlement sont trop longs, surtout en matière de dommages corporels.
Rappelons qu'avant la mise en place du système conventionnel, les recours se faisaient dossier par dossier, par écrit ou par contact direct de l'inspecteur qui se déplaçait au siège de la compagnie adverse pour rencontrer son contradicteur. Chaque recours nécessitait plusieurs courriers ou visites de l'inspecteur avec de nombreux échanges tant sur la responsabilité que sur le quantum, le montant du dommage pouvant être contesté par la partie adverse. Et en cas de désaccord entre les parties, le règlement du sinistre connaissait alors une phase contentieuse. Cette procédure induisait incontestablement le mécontentement de l'assuré qui tardait à être indemnisé et des coûts de gestion importants pour l'assureur en raison de la lourdeur et de la multiplicité des démarches nécessaires à l'aboutissement du recours.
Il est alors apparu nécessaire - et même indispensable - de faire évoluer le règlement des sinistres automobiles pour accélérer l'indemnisation des victimes et réduire, par là même, les frais généraux des entreprises d'assurance. C'est ainsi que, s'agissant de la branche automobile, trois conventions majeures et connues de tous les professionnels du monde de l'assurance ont vu le jour : les conventions Irca et Irsa, applicables entre assureurs et auxquelles adhèrent près de 99% des sociétés du marché de l'assurance automobile, et le Protocole d'accord assureurs-organismes sociaux (Paos) ratifié entre les assureurs et les caisses de Sécurité sociale.
Avant toute chose, il est important de rappeler que ni les assurés ni les tiers n'adhèrent à ces conventions, qui leur sont donc inopposables. Ce principe est une stricte application de l'article 1165 du code civil (1). Seuls les principes généraux du droit commun doivent être utilisés pour déterminer l'existence et l'étendue de leur droit à réparation (2).
En outre, la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, dans un courrier du 28 février 2000, a pu affirmer que les bénéfices pour les consommateurs et l'amélioration des conditions de gestion des sinistres procurés par ces « accords horizontaux » sont des arguments suffisants pour procéder à un classement et ne sont pas de nature à restreindre la concurrence entre les assureurs.
Irsa, une volonté commune des assureurs
À la différence de la convention Irca qui a une origine légale, la convention Irsa est une pure construction de la part des assureurs automobile.
Après diverses tentatives de mise en place de conventions de recours entre quelques sociétés d'assurance en matière de sinistres matériels automobiles, la véritable « révolution » a eu lieu en mai 1968 lorsque la convention Ida (Indemnisation directe de l'assuré) a vu le jour. Elle permet aux entreprises d'assurance d'indemniser directement l'assuré sans attendre l'aboutissement d'un recours de droit commun plus long et met en place un barème de responsabilité qui simplifie les procédures entre assureurs. Cette convention facilite la gestion de près de 80% des sinistres matériels automobiles. Elle stipule qu'à la suite d'une collision entre deux véhicules, c'est l'assureur RC de la victime, c'est-à-dire l'assureur « direct » qui évalue les dommages matériels (1).La Convention Irsa est une pure construction de la part des assureurs automobile.
En 1974, elle devient la convention Inter-sociétés de règlement des sinistres automobiles (Irsa).
En 1997, la convention Irsa est modifiée. L'indemnisation directe de l'assuré par son assureur de RC est désormais généralisée à tous les types d'accidents de la circulation, quels que soient le montant du dommage et la typologie de l'accident. L'Ida est intégrée à l'Irsa.
En 2003, la structure de la convention Irsa est de nouveau modifiée. Elle s'appelle désormais Convention d'indemnisation directe et de recours entre sociétés d'assurance automobile.
Irca, répondre aux exigences de la loi Badinter
Afin d'éviter qu'une victime de dommage corporel ne se retrouve face à une multiplicité d'interlocuteurs... ou d'absence d'interlocuteurs en cas d'accidents mettant en cause plusieurs véhicules, le législateur, en mettant en place la procédure d'offre dans les articles 12 (1) et suivants de la loi Badinter (2) (aujourd'hui L. 211-9 et s. du code des assurances), a invité les assureurs à conclure une convention. Ce fut l'objet de la convention d'Indemnisation pour compte d'autrui (Ica), qui, tout en définissant des règles de détermination de l'assureur mandaté, a étendu son champ aux modalités de recours entre assureurs. Le principe en est globalement simple : l'assureur qui garantit le véhicule qui supporte la plus grande part de responsabilité telle que déterminée selon les règles conventionnelles gère le dossier pour le compte de qui il appartiendra. En cas de partage égal, chaque assureur indemnise les passagers (3) de son propre véhicule.
Si cette convention a bien fonctionné, elle a montré quelques limites, notamment dans cette hypothèse de partage par moitié. Il fallait, en effet, expliquer aux membres d'une même famille que, en cas d'accident entre deux véhicules, le conducteur recevrait une offre de la part de l'assureur adverse alors que les autres membres de la famille seraient indemnisés par l'assureur du véhicule transporté. La FFSA et le Gema ont donc tenté de lever ces difficultés en proposant de mettre en place des conventions qui, pour les dommages corporels les plus faibles mais les plus nombreux, placeraient l'assureur du transporteur comme tenu d'indemniser l'ensemble des occupants du véhicule qu'il garantit, conducteur compris, pour le compte de qui il appartiendra.
C'est dans ces conditions que naquit la convention Irca applicable aux accidents survenus à compter du 1er vril 2002.
Paos, la voie d'une gestion rationalisée et apaisée
Sur un plan strictement financier, un organisme social a une organisation qui ressemble à celle d'une société d'assurance. Il encaisse des cotisations qu'il verse sous forme de prestations lorsqu'un événement garanti survient. Dans la mesure où la mise en jeu de la garantie est due au fait d'un tiers, l'organisme social exerce son recours par voie de subrogation selon les mêmes modalités que son affilié. Comme les assureurs, les organismes sociaux se doivent donc de réduire leurs frais généraux. Ainsi ont-ils souhaité passer, dans le cadre des accidents de la circulation - qui constituent 85% des dommages corporels avec un tiers responsable - un accord avec les assureurs pour simplifier leurs recours, régler les principaux sujets de discussion, tels que la détermination des responsabilités, l'évaluation de l'assiette de recours, ceci principalement afin de supprimer les recours judiciaires.
Tels sont les objectifs du protocole Bergeras, plus connu sous le nom de Protocole d'accord assureurs - organismes sociaux (Paos), signé le 23 mai 1983 et consacré par la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004. Ce protocole a ensuite été suivi d'un règlement d'application pratique (Rap), dont la première édition a été signée le 1er juin 1983 et qui définit les devoirs respectifs de l'assureur et de la caisse de Sécurité sociale, ainsi que les modalités d'appréciation de la responsabilité, et du montant des différents chefs de préjudice.Avec le Paos, l’assureur gestionnaire est l’assureur tenu d’informer les OS et de procéder au règlement de leurs prestations, dans la limite de l’assiette de recours fixée par le protocole. Il est l’interlocuteur unique de l’organisme social et exerce ce rôle pour son compte ou celui des autres assureurs concernés.
Accélérer l'indemnisation des victimes, réduire les coûts de gestion, simplifier la gestion des sinistres et supprimer le contentieux judiciaire, tels sont les quatre principaux objectifs poursuivis par ces trois textes.
Focus sur les grands axes communs
Désigner un gestionnaire. Afin de faciliter la gestion du dossier, les trois conventions désignent un assureur gestionnaire ou mandaté pour faire l'offre à la victime et aux organismes sociaux. Ainsi, dans le cadre de la convention Irsa, en cas d'accident entre deux véhicules impliqués au sens de la convention, l'assureur « direct » gère le dossier pour le compte de l'assureur du responsable. Il en est de même avec la convention Irca, selon laquelle, dès la survenance de l'accident, un assureur chargé d'instruire le dossier et de satisfaire à la procédure d'offre est désigné parmi les assureurs des véhicules impliqués dans l'accident.
Avec le Paos, l'assureur gestionnaire est l'assureur tenu d'informer les OS et de procéder au règlement de leurs prestations, dans la limite de l'assiette de recours fixée par le protocole. Il est l'interlocuteur unique de l'organisme social et exerce ce rôle pour son compte ou celui des autres assureurs concernés.
Détermination conventionnelle des responsabilités. Cette barémisation du droit à recours permet aux assureurs d'adopter une
approche globale dans la détermination des responsabilités et d'envisager une gestion en termes de flux financiers. Ces barèmes de responsabilité permettent d'éviter les longues discussions sur ce terrain en gommant notamment toutes les notions induisant une subjectivité source d'interprétations divergentes et de conflits.Accélérer l'indemnisation des victimes, réduire les coûts de gestion, simplifier la gestion des sinistres et supprimer le contentieux judiciaire, tels sont les 4 principaux objectifs poursuivis par ces trois textes.
Ainsi, concernant le Paos, les responsabilités sont déterminées par référence à un barème issu pour l'essentiel du barème de répartition des recours de l'annexe 1 de la convention Irsa. Ce barème envisage un certain nombre de cas de figures et indique, pour chacun, qui supporte la responsabilité et dans quelle proportion. À titre d'illustration, en cas d'accident mettant en cause plus de deux véhicules (cas 60), ou deux véhicules seulement, mais sans collision entre eux (cas 61), le barème annexé au protocole considère que chaque conducteur a commis une faute réduisant son indemnisation de moitié.
Détermination des moyens de preuve. Si la responsabilité est établie via un barème, elle l'est également par des moyens de preuve conventionnellement recevables.Ainsi, s'agissant de la convention Irsa, et conformément à la convention « expertise » (voir supra), chaque assureur fait expertiser les dommages du véhicule de son propre assuré et s'engage à ne pas en contester l'évaluation si elle est inférieure à un certain montant (6 500 €).
Détermination de l'assiette du recours. Les recours entre assureurs s'exercent également selon des règles prévues par les conventions Irca et Irsa.
À titre d'exemple, la convention Irca prévoit ainsi la façon dont s'organisent les recours en contribution entre assureurs qui interviennent lorsque l'assureur gestionnaire a indemnisé la victime et les organismes sociaux. L'assiette de recours intègre les sommes versées à la victime au titre de ses dommages corporels et à ses proches, celles versées aux organismes sociaux dans le cadre du Paos, et, éventuellement, les sommes versées à l'employeur au titre des compléments de salaires et des charges patronales. Si les recours sont prévus au coût réel, des fourchettes sont cependant fixées, qui excluent le remboursement en deçà de certains planches et au-delà de certains plafonds, pour l'AIPP, le pretium doloris et le préjudice esthétique.
Quant au protocole, il détermine également l'assiette de recours à concurrence de laquelle les organismes sociaux peuvent être remboursés, c'est-à-dire « la part d'indemnité à la charge du tiers responsable à due concurrence de laquelle s'exerce le recours de l'organisme social » (article 2 du Paos). Elle est donc calculée de manière conventionnelle, sauf dans certains cas, où elle reste calculée selon les règles du droit commun : dommages résultant de la contamination par le VIH, par une hépatite C, dommages consécutifs à une compétition sportive...
Fixation d'obligations réciproques assorties de sanctions en cas de non respect. L'exemple le plus parlant est celui de la procédure d'offre instaurée par les articles L. 211-9 et s. du code des assurances qui est mise à la charge de l'assureur mandaté dans le cadre de la convention Irca.
En effet, il appartient à l'assureur du véhicule impliqué de gérer et, dans la majorité des cas, de présenter une offre d'indemnisation aux victimes de dommages corporels. Si un même accident résulte de l'implication de plusieurs véhicules, il convient alors de déterminer quel doit être l'assureur tenu de présenter cette offre. L'un des principaux objectifs de la convention Irca est ainsi de désigner « dès la survenance de l'accident, l'assuré chargé, dans le respect de la loi du 5 juillet 1985 et de son décret d'application du 6 janvier 1986, d'instruire le dossier de la victime et de satisfaire à la procédure d'offre ». Des pénalités sont prévues à l'encontre de l'assureur mandaté en cas d'offre tardive et en cas d'offre manifestement insuffisante.
Le Paos organise également une obligation réciproque d'information rapide, assortie de délais. Par exemple, pour les accidents relevant de la loi Badinter, lorsque l'assureur a demandé à la Caisse de produire sa créance définitive en mentionnant la date de consolidation, la Caisse doit répondre dans un délai impératif de quatre mois, sous peine de se voir opposer la déchéance de l'article L. 211-11 du code des assurances.
Procédures de conciliation et d'arbitrage
Dans le cadre de l'Irca et de l'Irsa, les assureurs s'interdisent, dans leurs relations réciproques, de faire appel aux tribunaux pour les départager sur des litiges qui peuvent les opposer à l'occasion de l'application des conventions.
Avant de recourir à l'arbitrage proprement dit, les parties sont tenues de tenter de se concilier dans le cadre d'une procédure dite d'escalade, qui élève le débat dans la hiérarchie des sociétés afin de parvenir à une solution négociée avant saisine de l'instance arbitrale compétente.
Le Paos, en son article 4, prévoit également une procédure de règlement amiable des litiges par voie d'escalade et de conciliation. Les parties s'interdisent d'ailleurs de recourir à toute autre procédure de règlement des litiges, notamment contentieuse. Le rôle d'un acteur majeur dans le jeu conventionnel doit d'ailleurs ici être souligné : celui du GIE GCA (Gestion des conventions d'assurance), créé par la FFSA et le Gema, qui assure notamment la gestion des conventions de règlement des sinistres auto. Ses interventions portent sur l'organisation des commissions d'application et d'arbitrage des différentes conventions et sur l'évolution des textes conventionnels. Il a également pour mission d'organiser les procédures de règlement des dossiers litigieux en dirigeant ceux-ci vers les instances arbitrales compétentes telles que les commissions d'application Irca/Irsa ou Paos.
Ainsi, par le biais de ces modes conventionnels de règlements des litiges, l'accélération de la procédure d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation est évidente et les causes de contentieux entre les entreprises d'assurances et les caisses de sécurité sociale sont tout simplement éliminées.
Quelques perspectives pour finir
On l'a compris, le système conventionnel en matière d'assurance automobile ne s'est pas construit en un jour. Né de la Convention Ida de mai 1968, il s'étend aujourd'hui à tous les aspects de la gestion des sinistres automobiles au quotidien quels que soient la typologie de l'accident, les dommages matériels ou corporels et l'interlocuteur (un autre assureur adhérent ou les organismes sociaux). Ce système fonctionne à la satisfaction de tous avec un taux de contentieux arbitral qui tend à diminuer au fil du temps et des aménagements successifs des textes pour coller au mieux à la conjoncture économique et sociale ainsi qu'aux évolutions jurisprudentielles, législative et réglementaire. La convention Irsa est en effet aboutie dans la mesure où tous les sinistres sont pris en compte par l'assureur direct. On pourrait malgré tout, dans l'idéal, envisager une simplification des modalités de recours, par exemple en réduisant de 7 à 4 ou 5 le nombre de véhicules impliqués dans un carambolage pour lesquels l'assureur gestionnaire doit établir un tableau de répartition. De la même manière, sur l'Irca, un règlement direct jusqu'à 10% d'AIPP pourrait parfaire encore davantage le système conventionnel actuel. Quant au protocole, il est, comme l'Irsa, abouti, puisqu'il traite toutes les situations. Si sa transposition au droit commun et notamment à la RC médicale a pu, pendant un temps, être envisagée par la FFSA, l'idée a finalement été rapidement abandonnée dans la mesure où la RC médicale s'oppose à une approche globale et a fortiori à une gestion en terme de flux financiers, notamment au regard des spécificités de cette matière (insécurité juridique liée à une évolution permanente des connaissances scientifiques, détermination complexe des responsabilités dont le quantum s'oppose à une industrialisation de la gestion des dossiers...).
(1) « Les Conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 ».
(2) Réponse ministérielle à QE n° 5363, JO Sénat Q. 16 juin 1994, p. 1487.
(3) Les dommages sont alors évalués selon les modalités de la Convention « expertise », créée en 1954, ayant pour objet de confier la mise en oeuvre de l'expertise des dommages matériels à l'assureur de RC de la victime et non plus à l'assureur du conducteur responsable, ceci afin d'accélérer le mandatement de l'expert, de faciliter l'examen du véhicule accidenté par l'expert et par conséquent de réduire les délais de cette étape.
(4) « En cas de pluralité de véhicules, s'il y a plusieurs assureurs, l'offre est faite par l'assureur mandaté par les autres ».
(5) Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.
(6) Étant précisé qu'il s'agit des passagers en dehors du conducteur.
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