La détection de la fraude en vol automobile, un enjeu important
Chaque année, un nombre croissant de fraudes est caractérisé dans le domaine de l'assurance. La gestion d'un sinistre vol automobile et les opérations d'expertise correspondantes supposent la mise en oeuvre d'une vigilance spécifique, tant la détection des situations à risque est devenue un véritable enjeu pour les assureurs.
Frédéric Nguyen Kim, directeur de l'Alfa
La fraude à l'assurance coûterait près de 2 milliards d'euros par exercice aux assureurs de biens et de responsabilité opérant sur le marché français. Même s'il ne s'agit là que d'une estimation, l'importance du phénomène constitue naturellement un sujet de préoccupation pour les assureurs soucieux de maîtriser leurs résultats techniques. Les données chiffrées centralisées par l'Agence pour la lutte contre la fraude à l'assurance (lire encadré p. 31) rendent compte d'un phénomène de mieux en mieux combattu par les assureurs, puisque le nombre de faits détectés puis formellement caractérisés comme constitutifs de fraude ne cesse d'augmenter (+ 16 % en 2009). Pour le seul exercice 2009, près de 25 000 cas de fraude ont été recensés en incendie, automobile et risques divers (IARD) auprès d'assureurs représentant plus de 65 % du marché. Ces fraudes caractérisées constituent près de 120 millions d'euros d'enjeux financiers et, dans le détail, la branche automobile fournit à elle seule plus de 77 % des cas et 54 % des indemnités non versées.
Le vol automobile, un sinistre particulièrement exposé au risque de fraude
L'assurance automobile est la plus touchée, et les fraudes commises au titre de la garantie vol sont particulièrement coûteuses pour les assureurs, dans la mesure où elles représentent 25 % des enjeux financiers en la matière, « rivalisant » avec les 30 % que constituent les sinistres frauduleux au titre de la garantie responsabilité civile corporelle, dont les postes d'indemnisation sont souvent très élevés.
Contrairement à un vol ou encore à d'autres types d'infraction, la fraude n'est pas un délit d'évidence. Un sinistre frauduleux présente généralement des caractéristiques très proches de celles d'un sinistre réel, et il n'existe pas, à proprement parler, d'élément discriminant objectif qui permettrait de l'identifier rapidement avec certitude. L'une des phases les plus délicates de la gestion d'une fraude n'est donc pas forcément celle de son traitement amiable ou contentieux, mais bien celle de sa détection, car l'assureur est confronté à une réalité très concrète qu'il n'est pas aisé de maîtriser : comment déceler, dans la masse des sinistres, les quelques déclarations qui pourraient se révéler être frauduleuses après instruction et investigations spécifiques ?
L'assureur, premier maillon de la chaîne de détection
Comme pour d'autres événements, la gestion d'un sinistre vol automobile suppose l'intervention des gestionnaires de l'entreprise d'assurance et des experts automobiles. Chacun de ces acteurs joue un rôle bien précis dans le processus de détection d'un dossier qu'il convient de qualifier, dans un premier temps, de suspect, de douteux. Si, d'un point de vue général, le rôle de l'assureur est de coordonner les actions des différents intervenants dans le cadre de l'instruction d'un sinistre douteux, d'une manière plus particulière, il constitue le premier maillon de la « chaîne de détection ». Chronologiquement, l'assureur sera généralement le premier en possession d'éléments susceptibles d'être analysés. Ainsi, qu'il s'agisse d'un vol de véhicule retrouvé ou non, l'assureur rassemble pour l'essentiel des éléments déclaratifs et les analyse en les confrontant les uns avec les autres, afin de détecter d'éventuelles incohérences. Puis, rapidement, un expert sera missionné aux fins notamment d'examiner le véhicule ou de rendre une expertise à partir des pièces et des autres éléments du dossier en cas de véhicule volé et non retrouvé.
En matière de vol, l'ensemble des éléments déclaratifs revêt une importance particulière, notamment en cas de sinistre fictif ou lorsque le véhicule n'est pas retrouvé. En effet, qualifiée d'acte volontaire permettant de tirer un profit illégitime d'un contrat d'assurance, la fraude se présente généralement sous la forme de fausses déclarations dont l'assureur devra, dans tous les cas de figure, formellement prouver l'existence, l'assuré étant présumé de bonne foi.
À cet égard, une attention particulière est de mise au regard du véhicule volé, des déclarations relatives à la matérialité des faits, des pièces et éléments justificatifs. Compte tenu de leurs spécificités, il convient d'être vigilant en présence de « car-jacking » et de « home-jacking » dont les circonstances précises décrites par l'assuré victime doivent être examinées en détail et recoupées avec certains aspects techniques en liaison avec l'expert désigné. Enfin, il est également nécessaire de souligner la place importante en matière de détection des éléments relatifs au contrat, qu'il s'agisse des garanties souscrites ou d'événements qui l'ont affecté depuis sa souscription. Aussi, le travail de l'assureur sera essentiellement orienté sur des critères d'analyse relatifs avant tout à des informations de nature factuelle et/ou contextuelle, qui pourront être confrontés par la suite à des éléments techniques que l'expert relèvera lors de son expertise. De cette confrontation opérée par l'expert pourra se dégager soit une confirmation de la première approche effectuée par le gestionnaire, soit une explication technique aux anomalies soulevées par ce dernier et levant ainsi le risque de fraude un moment suspecté.
Quel rôle pour le gestionnaire en cas de doutes ?
Dans un contexte où la première étape en matière de détection s'articule autour de l'étude des éléments déclaratifs et des autres éléments justificatifs, le gestionnaire du sinistre joue nécessairement un rôle primordial, car lui seul sera alors en mesure d'alerter l'expert qu'il va missionner. Or, il est important de déceler les anomalies le plus tôt possible, afin de garantir un cadre d'intervention optimal pour l'expert et, par la suite, pour l'agent de recherches privées (idée exergue) le cas échéant. Il va de soi qu'une détection portant sur des éléments purement contextuels qui serait effectuée après l'expertise n'a pas le même impact que celle réalisée à l'ouverture du sinistre et, en tout état de cause, avant la saisine de l'expert. Par voie de conséquence, les éléments de doute décelés par le gestionnaire devront être communiqués à l'expert, en attirant plus particulièrement son attention sur les incohérences et les zones d'ombres à éclaircir.
Ce dernier point est déterminant, car il est possible de constater en pratique l'existence d'une asymétrie entre les informations détenues par les gestionnaires et celles finalement fournies aux experts. Dans certains cas, cette asymétrie peut indirectement résulter de la simplification des procédures de missionnement qui s'accompagne, par ailleurs, de la dématérialisation des documents. Si cet aspect spécifique de l'industrialisation de la gestion contribue indéniablement à une accélération des flux, et donc de l'indemnisation des victimes de sinistre, elle a souvent pour conséquence un appauvrissement des informations communiquées aux experts, même si les systèmes de missionnement prévoient généralement des zones de commentaires très pratiques pour attirer l'attention du destinataire.
Aussi, en cas de suspicion de fraude, il est opportun d'individualiser le missionnement, sachant que la volumétrie des missions correspondantes est somme toute très faible au regard du nombre global de vols expertisés. Au-delà d'éventuelles anomalies rencontrées, il convient de fournir à l'expert le maximum d'éléments relatifs au sinistre (notamment les circonstances de la disparition, l'état du véhicule avant sinistre tel que déclaré par l'assuré) ou à l'environnement contractuel - comme, par exemple, les antécédents de sinistralité -, les éléments sensibles du contrat comme la date de souscription, l'étendue de la garantie vol, ou encore les modifications de garantie intervenues depuis la souscription du contrat.
L'approche technique de l'expert en automobiles
À force d'expérience, un gestionnaire peut développer certaines « compétences techniques » susceptibles de l'aider dans le cadre de la détection d'anomalies, comme un jeu de clés fourni qui ne correspondrait pas au véhicule volé. Cependant, les aspects techniques relèvent directement de la mission de l'expert. Au-delà de ses missions traditionnelles, le rôle de l'expert automobile procède d'une mise en cohérence des éléments fournis avec ceux recueillis lors des opérations d'expertise. C'est dans ce cadre précis qu'il est susceptible de caractériser des anomalies, des indices, des présomptions ou encore des preuves formelles de fausses déclarations.
En pratique, l'expert automobile s'attache, en toute indépendance technique, à caractériser toute anomalie ou incohérence d'ordre technique ou contextuel, et doit en informer son donneur d'ordres assureur au plus vite. En effet, qu'il s'agisse du gestionnaire ou de l'expert, les indices d'une fraude éventuelle doi-vent être exploités le plus rapidement possible, l'écoulement du temps étant un facteur important de dégradation des conditions de l'instruction d'une affaire pour laquelle des doutes de fraude existent. C'est également pour la même raison liée à la déperdition des éléments matériels de preuve qu'il est recommandé que l'expert puisse mettre en oeuvre des mesures conservatoires décidées avec l'assureur afin de figer la situation.
D'un point de vue opérationnel, le travail de l'expert sera différent selon qu'il s'agit d'effectuer une expertise avec la réalisation de constatations sur le véhicule volé retrouvé, ou que sa mission consiste en une expertise sur pièces chaque fois que le véhicule ne sera pas découvert à la suite du vol. Si, dans le premier cas, des constatations et un travail technique peuvent être réalisés quant à la matérialité même du vol, ce dernier aspect ne pourra qu'être présumé dans le second cas. Cependant, il convient de souligner que la tâche de l'expert se trouve particulièrement complexifiée lorsque le véhicule a été incendié après le vol, cet événement étant de nature à empêcher toute constatation sur un certain nombre d'éléments matériels, comme des traces d'effraction, par exemple. En revanche, d'autres constatations matérielles pourront être réalisées et permettront, dans certains cas, de mettre en évidence des indices de fraude potentielle.
L'importance relative des outils informatiques
Si l'analyse des éléments soumis tant au gestionnaire qu'à l'expert permet à ces derniers de détecter des indices, elle n'est pas automatique et suppose une réelle implication de tous les instants. Or, dans un contexte où la gestion se doit d'être fluide, compte tenu d'un nombre important de sinistres à gérer, il est possible de s'interroger sur la place que l'informatique peut occuper dans le processus de détection.
Détecter des sinistres pour lesquels il convient d'opérer un certain nombre de vérifications suppose d'identifier des indices, des alertes susceptibles de renvoyer à l'existence d'une éventuelle fraude. La fraude n'étant pas un délit d'évidence, les critères d'analyses sont, en pratique, plus au moins discriminants. Ainsi, même en présence de certaines alertes, le sinistre pourra se révéler être bien réel, et les déclarations de l'assuré exactes.
Lorsque l'on s'intéresse à un processus informatique de détection, il est nécessaire de s'interroger sur les informations qui seront utilisées pour détecter des situations que l'on aura définies comme plus exposées au risque de fraude. En pratique, l'opération est rendue particulièrement délicate dans la mesure où tous les critères d'analyse ou indices ne sont pas nécessairement présents dans les systèmes d'information des entreprises d'assurance, et il serait a priori contre-productif de vouloir les faire figurer systématiquement dans les outils classiques de gestion, puisqu'ils ne concernent, par définition, qu'une partie marginale des sinistres. En effet, comme déjà indiqué, certains indices seront relevés lors de l'opération d'expertise, d'autres résulteront de l'étude des pièces accompagnant la déclaration de sinistres. Autrement dit, seuls certains indices, en nombre réduit, figurent dans les systèmes d'information et peuvent, de ce fait, être exploités. Il va sans dire que l'analyse réalisée à l'aide des seuls indices existants en informatique apparaît forcément moins fine qu'une analyse exhaustive de l'ensemble des indices, qu'ils soient ou non informatisés. De ce point de vue, l'utilisation d'outil informatique de profilage ou de filtrage ne peut donc constituer qu'une première étape dans un processus qui devra mettre en oeuvre un second niveau d'analyse à opérer sur les dossiers que les critères informatiques auront permis d'isoler. Après l'utilisation d'un premier filtre à mailles larges, un filtre plus fin doit être appliqué afin d'être le plus précis possible dans la détection.
En définitive, l'outil informatique peut se révéler précieux si l'on souhaite systématiser et structurer une partie importante de la détection des sinistres nécessitant des investigations approfondies car présentant des indices de fraude. Cependant, la principale conséquence de la mise en place d'une procédure informatique de détection étant d'ordre organisationnel, il convient de ne pas dissocier la mise en place de l'outil des procédures de gestion.
Éléments de détection ou présomptions de fraude ?
L'opération de détection procède de l'identification par le gestionnaire ou l'expert automobile d'éléments d'alerte, d'anomalies qui, généralement, renvoient à des incohérences dans le dossier pouvant laisser présumer l'existence d'une fraude. Pour reprendre une terminologie pénale, ces éléments de détection peuvent être qualifiés d'indices au moment où ils sont mis en évidence. Par la suite, l'instruction du dossier par un expert ou par un enquêteur pourra aboutir à la preuve d'une fraude.
Cependant, toutes les enquêtes ne permettent pas de caractériser formellement la fraude, et les anomalies qualifiées par prudence d'indices de fraude pourront être complétées par d'autres recueillis à l'occasion de l'enquête. Ceux-ci, sans être des preuves formelles, seront susceptibles, dans certains cas, de former avec les éléments de détection un véritable faisceau de présomptions précises et concordantes de fraude pouvant emporter la conviction des magistrats dans le cadre d'une instance civile à l'occasion de laquelle ces derniers apprécient souverainement les faits qui leur sont soumis.
La qualité de la détection apparaît fondamentale à double titre : permettre d'identifier objectivement et le plus tôt possible des risques de fraude afin de les traiter en tant que tel - en gardant donc toujours à l'esprit que l'assuré est présumé de bonne foi - et induire un renversement de la charge de la preuve, voire une reconnaissance judiciaire de la fraude à l'aide d'un faisceau de présomptions, comme le démontre régulièrement les décisions judiciaires rendues en la matière (voir récemment : CA Reims, 27 avril 2009, n° 08/01008 ; TGI Pontoise, 3 mars 2009, n° 07/03660 ; TGI Bobigny, 26 mai 2010, n° 09/05081). Les dossiers nécessitant une instruction particulière ne doivent donc, en aucun cas, être détectés sur la seule base de données purement subjectives ou encore du simple ressenti du gestionnaire, mais bien à l'aide d'éléments factuels et objectifs.
Une association pour lutter contre la fraude
Créée en 1989 à l'initiative de la Fédération française des sociétés d'assurances et du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances, l'Agence pour la lutte contre la fraude à l'assurance (Alfa) est une association loi 1901 regroupant un peu plus de 260 entreprises qui exercent leurs activités autant dans le domaine des assurances de biens et responsabilité que dans celui de personnes.
La principale vocation d'Alfa est d'organiser, au plan professionnel, la lutte contre la fraude à l'assurance en développant des actions de prévention et des moyens de détection des sinistres frauduleux. L'association a émis des recommandations en matière de détection de sinistre douteux à l'attention des experts automobiles, à la suite des travaux menés par un groupe de liaison dans lequel étaient représentés assureurs et experts automobiles.
Alfa s'appuie sur une équipe d'une dizaine de collaborateurs apportant leurs compétences à l'ensemble de ses adhérents et de ses partenaires (enquêteurs privés, experts automobiles ou dommages, services publics...).
Un réseau d'agents de recherches privées certifiés Afnor Certification, spécialisés dans l'investigation en matière d'assurance, est mis à la disposition des adhérents.
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