Les assureurs reviennent à la gestion de crise

COMMUNICATION DE CRISE Assurer la communication des entreprises en cas de crise s'est révélé cher et compliqué. C'est pourquoi les quelques assureurs qui reviennent aujourd'hui sur ce marché le font avec des produits standardisés et réservés à une clientèle resserrée.
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La communication de crise est-elle un marché d'assureurs ? Au-delà de son aspect sensationnel et parfois romanesque, les assureurs ont compris, il y a une dizaine d'années, que cette pratique pouvait avoir au moins un avantage pour eux : permettre à l'entreprise concernée d'écourter la période critique par une bonne gestion de l'événement, accompagnée d'une communication adaptée, donc faire repartir plus vite leur activité. Les indemnités pour pertes d'exploitation s'en trouvent d'autant amoindries.

Les agences cultivent l'intelligence émotionnelle

Le calcul est intéressant, mais il ne semble pas avoir convaincu. La raison : un fossé culturel entre le fonctionnement des assureurs et celui des agences de communication de crise pour les uns, une garantie qui s'est révélée très, voire trop, coûteuse pour les autres. « Sur un plan technique, souligne Jean-Christophe Alquier, directeur général de Harrison & Wolf, agence spécialisée, les assureurs nous proposaient un tarif de 30 % à 40 % inférieur à celui que nous pratiquions, et nous amenaient des clients, essentiellement de grandes entreprises, que nous connaissions déjà. En outre, ils exigeaient que cinq ou six personnes soient mobilisables à tout instant et instauraient des sous-limites par type de prestation, ce qui n'est pas du tout réalisable. » C'est pourquoi Harrison & Wolf, qui a notamment pris en charge la communication de Total six mois après le naufrage de l'Erika, a refusé toutes les propositions des assureurs.

Et pourtant... La sensibilité des chefs d'entreprise à ce sujet s'est nettement accrue, surtout dans l'agroalimentaire, où de nombreuses entreprises ont eu à faire face à des contaminations de produits (fromages, charcuteries, laits infantiles...). Sont également concernés l'industrie pharmaceutique, secteur très structuré sur ce plan, les équipementiers automobile, l'industrie cosmétique... Les sources possibles de crise se multiplient avec la généralisation du principe de précaution, qui amène parfois les autorités à prendre des mesures de protection excessives. Le contexte social a également beaucoup évolué et l'annonce de plans sociaux peut rapidement dégénérer. La société dans son ensemble ne tolère plus les erreurs, surtout lorsqu'elles portent atteinte aux personnes, et cherche les responsabilités avec véhémence, notamment du côté des entreprises et des élus locaux.

C'est pourquoi les agences de communication de crise sont également des expertes en lobbying et savent prendre les renseignements et les contacts appropriés pour défendre les intérêts de leurs clients. Leur rôle consiste à permettre à la société mise en cause de faire entendre sa voix en apportant des faits objectifs : « Il faut passer de l'émotionnel au rationnel », dit-on dans le métier. Donner rapidement de l'information aux médias, véritables accélérateurs de crise, élaborer un message clair et unique, même si toute l'information n'est pas encore disponible (comme en cas d'accident, notamment), exprimer de la compassion envers les victimes, sont les grandes règles de la communication de crise. Selon Pierre-Samuel Guedj, directeur du département communication de crise chez Burson-Marsteller, « les méthodes de communication employées sont similaires à celles de l'armée ». Les techniques de propagande ne sont pas loin. Inutile de mentir, toutefois, car la vérité finit toujours par faire surface, selon les pros de la com'. Ce métier prend des formes d'action et des outils multiples, ce qui explique que les assureurs aient du mal à le cerner.

Les courtiers cherchent un vaccin contre l'imprévisible

Gilles Proust et Véronique Gesqua, d'Aon, expliquent également la difficulté des assureurs à appréhender les sinistres : « Une perte d'image de marque est fluctuante, très difficile à quantifier pour un assureur qui ne connaît pas les règles du jeu. » Même Frédéric Lavielle, responsable de la division technique et marketing entreprises des AGF, qui va bientôt lancer une offre en communication de crise (lire l'encadré p. 24), convient de la difficulté pour les assureurs d'appréhender le sujet en raison de son immatérialité. Car la communication de crise n'est que la partie émergée de la gestion de crise, et celle-ci, en dehors de quelques types de crises bien connus, comme les retraits de produits, les atteintes physiques aux personnes ou à l'environnement, requiert des solutions uniques. À chaque crise correspond une gestion particulière, qu'il est difficile d'anticiper, même s'il est toujours utile d'avoir de bons réflexes.

C'est d'ailleurs sur ce plan que les courtiers sont très présents auprès de leurs clients. Aon, Gras Savoye ou Marsh ont tous développé une approche en risk management pour aider les entreprises à cartographier leurs risques et à s'y préparer. À côté des risques d'incendie ou d'intrusion informatique, le risque d'image est également apprécié en fonction de critères plus ou moins sophistiqués.

Il est plus facile de gérer une crise que de restaurer une image dégradée

Aon, qui a noué un partenariat avec l'agence Burson-Marsteller, intervient en tant que conseil auprès de ses clients et utilise plusieurs grilles d'évaluation selon la nature du problème - dommages, pertes d'exploitation, impact humain en cas de décès, mise en cause d'un dirigeant, impact sur l'image de marque... L'agence de communication est là pour aider l'entreprise à se préparer à l'éventualité d'une crise : mettre en place l'organisation et les procédures de réponse, former les hommes à la prise de parole, instaurer les modalités techniques de la communication en rapport avec la gestion de la crise.

Gras Savoye aborde le problème en gardant en ligne de mire la continuité de l'activité. La méthode repose sur l'évaluation de l'impact d'un événement sur le chiffre d'affaires, sur le cours de Bourse et sur l'image. C'est ce qui conditionne le mode de préparation et la réaction de l'entreprise. Le courtier teste actuellement une agence de communication qui pourrait devenir un partenaire permanent. Chez Marsh, c'est le pôle conseil qui s'occupe de la gestion de crise à l'aide de Road Map to Recovery (littéralement « carte routière vers le rétablissement »), une méthodologie anglo-saxonne spécifique inventée à cette fin, mais qui ne couvre pas les aspects de communication de crise. Quelques assureurs s'intéressent tout de même au marché de la communication de crise, avec des garanties assez restreintes. AIG, qui fut l'un des premiers à innover, propose toujours, dans l'offre responsabilité des dirigeants, une extension de garantie couvrant les frais de gestion de crise, mais pas les frais de restauration de l'image consécutifs à une crise. L'Américain a conclu il y a cinq ans un accord avec Hill & Knowlton. Cette agence intervient dès qu'une entreprise assurée chez AIG la sollicite, même si les cas garantis comprennent l'annonce de résultats en baisse, la perte de brevet, le retrait de produit, les dommages causés, la perte d'un homme clé, la cessation de paiement et la mise en cause par une autorité administrative.

Avant tout, sauvegarder l'activité

« Beaucoup d'entreprises ne sont pas préparées à la crise, note Nicolas Herlin, directeur conseil d'Hill & Knowlton. Nous pouvons toujours leur apporter un regard extérieur, une aide pour prendre la bonne décision et pour mettre en place les outils élémentaires, comme l'information des consommateurs en cas de retrait de produit, la création d'un numéro Vert, la préparation des dirigeants à la prise de parole... L'objectif principal est de sauvegarder la réputation de l'entreprise, donc son activité. » AIG prend ainsi en charge douze heures de conseil pour les entreprises non cotées et jusqu'à une dizaine de jours pour les entreprises cotées, en fonction de leur taille.

Ace Europe proposait encore il y a quelques années une option de reconstitution d'image dans un contrat destiné aux viticulteurs, mais l'assureur s'est recentré sur un produit de protection d'image permettant d'indemniser les victimes d'accident corporel, d'agression ou d'attentat dans l'enceinte d'un établissement recevant du public. Cette garantie couvre également le remboursement des frais de communication. Les AGF lanceront en septembre deux offres communes avec l'agence Beau Fixe (lire l'encadré ci-dessus). Axa travaille sur un service d'assistance juridique et de communication de crise qui pourrait être présenté aux entreprises avant la fin de l'année.

Les assisteurs mettent en avant leurs moyens

Europ assistance, une habituée de la gestion de l'urgence, s'est également alliée à Burson-Marsteller pour proposer aux entreprises la gestion de leurs astreintes, une plate-forme téléphonique dédiée en cas de crise déclenchée, l'accès à un réseau de spécialistes (toxicologues, chimistes, pédiatres, juristes...) et une aide concrète aux victimes. « Mettre en place tout ce qui est nécessaire pour régler la crise au plus vite, c'est notre métier, et cela fournit des éléments sur lesquels l'entreprise peut communiquer positivement », estime Sabine Schirrer, responsable marketing tourisme et entreprises. Une société apparaît responsable et citoyenne dès lors qu'elle montre qu'elle a pris la mesure de la situation et qu'elle fait ce qu'il faut pour réparer un dommage, qu'elle en soit ou non la cause.

Autre acteur de l'assurance, Public Gouvernance, spécialisé dans la gestion des crises des collectivités locales avec Leo Burnett pour la partie communication, développe doucement son offre Cab assistance. Ce produit, destiné aux villes de plus de 10 000 habitants, n'a encore séduit qu'une dizaine de clients, mais il est très souvent consommé parce qu'il comporte une protection juridique. C'est la preuve, selon Pierre-Antoine Lorenzi, son patron, que la demande existe. Une version pour les communes plus petites, CabAssur, est en cours de lancement. Avec une protection juridique, une défense pénale et la couverture des litiges en matière d'emploi, elle semble trouver son public d'autant plus rapidement qu'elle est distribuée par les caisses régionales de Groupama. Cette approche des collectivités locales fait apparaître un immense besoin de conseil en stratégie dont la communication n'est somme toute que l'un des aspects, selon Pierre-Antoine Lorenzi, qui oeuvre également au sein de Serenus conseil, au service des grandes entreprises.

L'information en continu pour veiller au grain

Un peu à la marge de la communication de crise, plusieurs acteurs proches de l'assurance interviennent justement en tant que sources d'informations pour les entreprises implantées à l'étranger. Géos, Sécurité Sans Frontières (SSF) et International SOS proposent une veille en matière de sécurité ou de santé dans les pays potentiellement dangereux et peuvent intervenir pour aider leurs clients à gérer des crises locales, voire à évacuer leur personnel. Ils apportent une information fine aux entreprises sur les risques locaux, sous forme standardisée (site Web, e-mail, lettre papier...), ou sur mesure pour certaines entreprises qui présentent des problématiques particulières. Géos compte d'ailleurs proposer sous peu une offre dédiée au secteur énergétique. International SOS, assisteur spécialisé en santé, a mis en place un site Web dédié à la crise de la grippe aviaire en Asie. Les entreprises utilisent ces informations afin de prendre les bonnes décisions pour protéger leurs expatriés et leurs sites.

La communication de crise reste un domaine très immatériel, dans lequel les assureurs ne peuvent qu'intervenir à la marge. Plusieurs d'entre eux ont toutefois compris qu'en proposant ce service, ils apportaient une aide à leurs clients. Une façon de se rappeler à eux en cas de problème, mais aussi de tenter de se préserver de sinistres graves.

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