Les vingt ans de la loi « Badinter »
GÉRARD DEFRANCE
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GÉRARD DEFRANCE
Il y a maintenant vingt ans, la loi du 5 juillet 1985 entrait en vigueur. L'objectif du législateur était double : établir un corps de règles spécifiques aux accidents de la circulation et améliorer les procédures d'indemnisation des victimes. Pour ce faire, elle tendait à réduire les délais, à limiter les contentieux, donc les coûts, par un recours accru aux transactions, d'où l'institution d'une procédure d'offre d'indemnité à la charge des assureurs.
Jusqu'à son adoption, c'était le code civil qui s'appliquait. Ces textes laissaient sans indemnisation des piétons auxquels il était reproché une faute qui pouvait paraître bénigne. La Cour de cassation avait incité le législateur à réformer les textes afin de réduire, voire d'éliminer les injustices. Par l'arrêt « Desmares » du 21 juillet 1982, la Cour suprême avait limité l'exonération du « présumé » coupable, le gardien du véhicule à l'origine d'un accident, à la seule hypothèse où la faute de la victime est constitutive d'un cas de force majeure (événement irrésistible, imprévisible et inévitable).
Véhicule en circulation + événement fortuit et imprévisible = accident de la circulation
Pour que la loi du 5 juillet 1985 soit applicable, il faut un accident de la circulation, un véhicule terrestre à moteur et l'implication de l'un dans l'autre. La jurisprudence s'est référée au droit des assurances pour définir l'accident de la circulation. Il s'agit donc d'un événement fortuit et imprévisible qui intervient en circulation. La notion de circulation retenue est assez large, puisqu'elle inclut toute utilisation d'un véhicule sur la voie publique et même dans une propriété privée. Un accident survenu dans un champ, sur une piste de ski, sur un parking d'usine ou de supermarché constitue un accident de la circulation.
Se référant aux assurances, la Cour de cassation a retenu que certains accidents survenus lors d'opérations de chargement ou de déchargement constituent des accidents de la circulation soumis à la loi de 1985, dans la mesure où l'engin est en déplacement. Même des incendies de véhicules peuvent être considérés comme étant des accidents de la circulation sauf si le véhicule est stationné dans un hall d'immeuble, qui n'a pas cette destination.
Mais la jurisprudence a apporté des limites à cette extension de la notion d'accident de circulation. Il faut un « lien de circulation ». La loi n'est pas applicable si l'accident est étranger à toute circulation, comme ceux mettant en cause un engin (pelle mécanique) en stationnement travaillant à poste fixe utilisé comme machine-outil dans une fonction étrangère à celle de déplacement. Les actes volontaires sont également exclus. Les victimes d'infractions volontaires ne peuvent pas invoquer la loi du 5 juillet 1985 pour être indemnisées.
Nul n'est à l'abri d'être impliqué dans les événements
La victime ne peut demander réparation de son dommage que si elle prouve qu'il y a implication d'un véhicule terrestre à moteur. La notion d'implication a permis d'élargir la liste des débiteurs du droit à indemnisation des victimes. Dès qu'il y a eu collision ou heurt entre véhicules, ils sont tous considérés comme impliqués, et leurs conducteurs amenés à intervenir dans l'indemnisation du dommage. Même en l'absence de contact, un véhicule peut être impliqué. Un piéton a un mouvement de recul, provoquant sa chute en arrière, à la vue d'un véhicule qui survient sur sa gauche : celui-ci est impliqué. Une voiture qui laisse échapper de la fumée est impliquée dans une collision qui en serait la conséquence. Un véhicule en stationnement peut être déclaré impliqué dans un accident dans la mesure où il s'agit d'un fait de circulation, et peu importe qu'il l'ait ou non perturbée.
Départager les implications lors de collisions en chaîne et de carambolages
L'application d'une conception extensive de l'implication a permis de résoudre le cas épineux des accidents en chaîne, des collisions successives et des carambolages. Tous les conducteurs sont considérés comme impliqués, à quelque stade qu'ils soient intervenus dans la réalisation de cet événement complexe. Une des victimes pourra leur demander une indemnisation, alors même qu'elle n'a pas été en contact avec le véhicule du conducteur à qui elle réclame réparation. Mais lorsque le dommage s'est révélé postérieurement à l'accident, l'implication n'est pas démontrée. C'est le cas, par exemple, d'un automobiliste qui s'est suicidé cinquante jours après, ou qui est décédé à la suite d'un infarctus cinq mois après.
La loi détermine trois classes de victimes. Les « non-conducteurs » (passagers, piétons et cyclistes) âgés de moins de 16 ans et de plus de 70 ans, ainsi que ceux qui sont titulaires d'un titre d'invalidité ou d'incapacité au moins égale à 80 % sont indemnisés, sauf s'ils ont recherché volontairement leur dommage. Les autres victimes « non-conducteurs » sont indemnisées, sauf si elles ont commis une faute inexcusable et exclusive ou si elles ont recherché volontairement leur dommage. Enfin, les conducteurs, les « oubliés » de la réforme, peuvent être exclus ou limités dans leur indemnisation en fonction de la faute qu'ils ont commise.
Pour les deux premières catégories de victimes, la loi a adopté le système du tout ou rien. Il n'existe aucune possibilité de réduire leur indemnité, elles sont intégralement indemnisées ou totalement exclues de toute réparation. Les juges ont voulu réduire les inconvénients du dispositif en définissant de manière stricte la notion de faute inexcusable ou de dommage volontairement recherché. La faute inexcusable doit être en outre la cause exclusive du dommage de la victime. Il en résulte que la faute inexcusable et exclusive n'est admise que dans des cas exceptionnels (traversée d'autoroute pour un piéton, cycliste circulant en sens interdit passant au feu rouge...). Quant au dommage volontairement recherché, la Cour de cassation ne le retient que dans le cas du suicide conscient et volontaire.
N'oubliez pas le conducteur
La jurisprudence n'a pas avantagé les conducteurs, pourtant défavorisés par la loi. Déjà, lorsque seul son véhicule est impliqué dans un accident, le conducteur victime ne peut pas invoquer la loi du 5 juillet 1985. Ainsi, le cyclomotoriste qui fait une chute en passant dans une tranchée mal remblayée ne peut pas obtenir d'indemnisation de la part de l'entreprise ayant effectué le travail sur le fondement de la loi, laquelle n'est pas applicable dans ce cas.
Toutes les fautes et infractions des conducteurs sont prises en considération pour diminuer ou exclure leur indemnisation. Mais la Cour de cassation refusait d'indemniser le conducteur, fautif ou non, en l'absence de faute commise par l'autre conducteur. La chambre mixte de la Cour de cassation est intervenue pour mettre fin à ces « injustices » et appliquer la loi conformément à son esprit. Elle a déclaré que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.
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