Edito : Spectres et fantômes

Voilà une initiative dont on espère qu’elle va au-delà de l’habile coup de com. Connu pour ses Ibis, Novotel, Mercure ou autres Sofitel, AccorHotels a annoncé début février son intention de secouer sa gouvernance pour la rendre plus apte à anticiper les défis de l’économie 4.0. Le groupe, qui se revendique comme « un employeur attentif qui respecte, forme et fait évoluer ses collaborateurs », va ainsi constituer un shadow comex, selon les termes du PDG Sébastien Bazin, composé de salariés de moins de 35 ans. Ce comité fantôme, qui fait référence aux shadow cabinet anglo-saxons (1) sera aussi plus féminisé, puisqu’il sera composé de 7 femmes et 5 hommes, soit la proportion inverse du conseil d’administration officiel.
Chez AccorHotels, plus aucune décision ne sera prise sans l’avis du shadow comex, constitué de jeunes salariés
Ce faisant, le géant de l’hôtellerie va au bout de la logique de reverse mentoring déjà à l’œuvre dans de nombreux groupes, et en vertu de laquelle les digital native coachent les cadres dirigeants pour les sensibiliser à ce qui ne s’apprend pas dans les livres. S’engageant à fournir à ses jeunes fantômes « le même niveau d’information que les autres membres du conseil », AccorHotels veut, en échange, être challengé en haut lieu. C’est entendu : « plus aucune décision ne sera prise sans leur demander leur avis ». L’histoire ne dit pas si les jeunes en question, dont les noms ont été soufflés par les membres du véritable comité exécutif, seront révocables ad nutum en cas de problème.
Une chose est sûre, la démarche va bien au-delà du dispositif RH et elle n’a rien de philanthropique. Que révèle-t-elle, au juste ? La fin d’une époque, d’abord. Dans l’univers qui est le nôtre, la promotion à l’ancienneté, solidement ancrée sur l’adage « l’information, c’est le pouvoir », cela ne marche plus. Sébastien Bazin ne dit pas autre chose quand il explique qu’aujourd’hui, « la grande entreprise est pyramidale. Le statut et le pouvoir dépendent de la capacité d’accès à l’information ». Or, « l’entreprise de demain ne pourra plus être bâtie sur des rapports de force, mais sur des rapports de flux ». Et à ce jeu-là, on ne peut pas totalement exclure que le shadow comex ait un temps d’avance sur l’officiel.
L’initiative d’AccorHotels démontre ensuite que tout avantage concurrentiel d’hier est un poison potentiel. Il n’y a qu’à voir combien les entreprises installées redoutent de se laisser engluer par leur taille, leur gouvernance, leur position de marché. Combien elles craignent de passer à côté de leurs clients, si d’aventure elles loupent un virage technologique, un canal de distribution, ou de nouveaux usages de consommation. Ce que vous avez construit sur des décennies peut devenir votre pire ennemi. Dur.
Enfin, ce shadow comex suggère aussi que face au spectre d’une uberisation galopante et généralisée, la digitalisation des process et l’incubation de start-up ne suffiront sans doute pas. Il est donc urgent de prendre le mal à la racine, et de conduire la réforme de l’intérieur. Sauf que confier sa survie à des fantômes en espérant garder le pouvoir, cela relève un peu de l’oxymore, non ? Les choses bougeront vraiment le jour où, convaincus des vertus de leur cohabitation, conseil fantôme et conseil officiel ne feront qu’un.
1. Le shadow cabinet est constitué de députés de l’opposition, qui, sous la conduite de leur chef de parti, forment un cabinet de ministres fantômes, alternatif à celui du gouvernement.
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