Faut-il avoir peur de l’ubérisation de l’assurance ?

C’est la question que se pose le monde de l’assurance : ses réseaux de distribution vont-ils se faire court-circuiter par de nouvelles marques 100 % digitales ? Pas si sûr… La complexité technique et réglementaire est une chance pour les intermédiaires.

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Faut-il avoir peur de l’ubérisation de l’assurance ?

On peut véritablement parler de révolution industrielle : le déploiement de l’Internet mobile et de la géolocalisation ainsi que la généralisation du haut débit sont en train de bouleverser certaines activités de services, permettant aux professionnels d’entrer en relation directe avec leurs clients. Des marchés tels que la librairie avec Amazon, le tourisme avec Airbnb ou le transport en taxi avec Uber en sont profondément et durablement affectés.

Désintermédiation
Et l’assurance ? Peut-elle s’attendre à voir de nouveaux acteurs 100 % numériques rebattre les cartes du marché ? Ses réseaux de distribution sont-ils menacés par cette nouvelle forme de vente désintermédiée ? Directeur général du courtier grossiste Solly Azar, Philippe Saby reste confiant : « L’assurance me semble protégée par le fait qu’elle mobilise beaucoup de capitaux pour une rentabilité sur fonds propres nettement inférieure aux niveaux de marge visés par les acteurs du numérique », explique-t-il.

Quant aux réseaux de distribution, ils devraient eux aussi être préservés de cette nouvelle concurrence pour trois raisons : « L’assurance n’est pas un bien de consommation classique, poursuit Philippe Saby. C’est un produit anxiogène, qu’on achète en n’ayant aucune envie de l’utiliser un jour : il peut donc être source de frustration, d’insatisfaction et d’incompréhension. » C’est pourquoi les clients ont besoin d’être accompagnés et rassurés tout au long du process de distribution.

Besoin de conseil et de proximité
L’assurance est aussi un produit difficile à comprendre, complexe à souscrire, qui oblige les clients à dévoiler des informations très personnelles (sur leur patrimoine ou leur santé, notamment), à lire certaines clauses à la loupe et, dans certains cas, à suivre l’actualité juridique et réglementaire de près.

Cette complexité génère un besoin de confiance et de proximité. Courtiers ou agents généraux, les intermédiaires en assurance ont un rôle plus essentiel que jamais. La preuve : la souscription totalement désintermédiée, en ligne ou par Internet, « ne connaît pas une croissance exceptionnelle, observe Philippe Saby. Au contraire, si les bancassureurs ont conquis d’importantes parts de marché en assurance auto ou en MRH, c’est précisément parce qu’ils ont un réseau de distribution très dense. »

Barrières à l’entrée
Dernier point essentiel : alors que la réservation d’un taxi ou d’une location touristique peut se faire en quelques clics, la souscription d’un contrat d’assurance reste soumise à des procédures qui peuvent être lourdes. Le client doit être en mesure de présenter et télécharger certaines pièces (son permis de conduire pour souscrire une assurance auto), par exemple.

Ces exigences réglementaires et le besoin de sécurité et de traçabilité des échanges constituent une véritable barrière à l’entrée sur un marché dont les gains de productivité espérés sont sans commune mesure avec le niveau de marge recherché par les « Gafa » (Google, Amazon, Facebook, Apple : acronyme désignant les nouveaux géants de l’économie numérique).

Défi de la numérisation
Pas question, pour autant, de se reposer sur ses lauriers ! Les assureurs et leurs réseaux de distribution ne peuvent fermer les yeux sur la révolution numérique. Ultraconnectés, leurs clients ont maintenant des exigences d’immédiateté et de réactivité auxquelles nul ne peut plus échapper.

Exigences qui vont impacter la chaîne de valeur de l’assurance : sans aller jusqu’à l’ubérisation, on peut s’attendre à voir de nouveaux rapports de force s’établir entre les assureurs et leurs réseaux de distribution. « D’une relation commerciale verticale, où le client n’est en contact qu’avec le distributeur, nous passons à une relation triangulaire, estime Philippe Saby. Le client peut désormais entrer en interaction avec le porteur ou le gestionnaire de risques. »

Moralité : les intermédiaires vont devoir justifier leur fonction et leur marge en répondant à tous les besoins de conseil, d’expertise et de réactivité de leurs clients, en leur permettant de devenir acteurs de leurs contrats et en générant de la confiance. C’est là le véritable défi de la numérisation.

Ce contenu vous est proposé par Solly Azar

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