Assurance emprunteur et résiliation annuelle : pour la Cour de cassation, c'est non!
La résiliation annuelle des contrats d’assurance emprunteur semblait sur la voie de la reconnaissance jurisprudentielle. La Cour de cassation, à contre-courant de plusieurs cours d’appel, a décidé de l’inverse.

Existe-t-il un droit à la résiliation annuelle en assurance emprunteur, oui ou non ? Et bien, c’est non, en tout cas pour la plus haute juridiction judiciaire française. Au regard des enjeux financiers, c’est peu dire que l’arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation (1) le 9 mars 2016 était attendu. Ce sont les concurrents des banques – assureurs et courtiers – qui attendaient surtout de pied ferme la reconnaissance de la faculté de résiliation annuelle de l’assurance emprunteur. Car ce marché reste résolument captif, au profit des bancassureurs. En effet, au moins 85 % des preneurs d’assurance emprunteur souscrivent encore l’offre proposée par leur banquier lors de la souscription de leur prêt immobilier, même si la « déliaison » a été favorisée par diverses incitations législatives (lois Lagarde et Hamon). En pratique, la proportion d’emprunteurs qui choisissent réellement leur contrat d’assurance demeure faible. Il se murmure même qu’un gentlemen’s agreement existerait entre les assureurs et les banquiers pour entériner une répartition de l’ordre de 15/85 au profit… des banques.
Le marché emprunteur reste le plus rentable
Pour rappel, le marché de l’emprunteur représente un montant de cotisations qui s’établit à 8,4 Md€, dont 73 % relève du crédit immobilier (chiffres 2014, FFSA). Or, l’assurance emprunteur à tout de la poule aux œufs d’or, lorsque l’on sait que « le coût des sinistres représente moins de 50 % de la prime payée par les emprunteurs » (Rapport IGF, novembre 2013). Une manne qui ne laisse forcément pas indifférent les assureurs, d’autant qu’à tort ou à raison, ils tendent à estimer qu’ils ne profitent pas assez des dispositions introduites par la loi Hamon du 17 mars 2014. « Sur le terrain, on constate que les banques contestent la résiliation dans la première année d’assurance dans 30 % des dossiers. Au-delà de cette première année, ce taux de contestation augmente à 50 % », observe Pierre Balsollier, président du directoire de Securimut – dont l’activité est d’optimiser le crédit de ses clients, grâce au changement d’assurance.
Autant dire que dans ce contexte concurrentiel peu ouvert, le levier de la résiliation annuelle de l’assurance emprunteur est un atout que les assureurs comptaient bien mettre dans leur besace. L’affaire semblait d’ailleurs bien engagée en faveur de la résiliation annuelle depuis que les cours d’appel de Bordeaux, en mars 2015, et Douai, en janvier 2016 (2), ont admis qu’un assuré peut résilier son assurance emprunteur à l’échéance annuelle, en se fondant sur l’article L. 113-12 du code des assurances. La cour d’appel de Bordeaux « constate d’une part que la faculté de résiliation annuelle est un droit d’ordre public et, d’autre part, que le code de la consommation ne contient pas de dérogation expresse à ce droit » explique Maître Jérôme Da Ros, qui avait obtenu cette première victoire judiciaire.
Victoire de courte durée cependant, puisque c’est ce même arrêt bordelais qui a été censuré le 9 mars 2016 par la Cour de cassation. Cette dernière fait ainsi prévaloir l’article L. 312-9 du code de la consommation qui ne dit rien en matière de résiliation annuelle (voir encadré « Une longue histoire législative »). Les hauts magistrats en déduisent que le droit à la résiliation annuelle au profit des assurés n’existe pas pour les contrats d’assurance emprunteur. Il faut signaler que déjà, en cours de procédure, la reconnaissance jurisprudentielle de la résiliation annuelle semblait compromise. En effet, un moyen soulevé d’office par la Cour de cassation préconisait de refuser ce droit en se fondant sur l’idée que le taux effectif global (TEG), composite de l’assurance et du prêt, est contractuellement accepté par la banque et l’emprunteur. Ce moyen a rapidement été mis aux oubliettes, il n’en demeure pas moins que la solution dégagée, sur un autre fondement juridique, revient pratiquement au même : pas de résiliation annuelle.
La loi Hamon… fond du débat ?
Après cette décision, c’est l’incompréhension qui domine (voir ci-dessous). L’argument sous-jacent à l’arrêt du 9 mars 2016 est celui selon lequel, le droit à la résiliation d’un an à compter de la signature de l’offre de prêt, né de la loi Hamon, n’aurait pas de sens si la faculté de résilier annuellement l’assurance existait (3). Une approche rejetée par Pierre Balsollier qui affirme au contraire qu’« il est absurde de juger un état du droit antérieur, à la lumière d’une loi future, d’autant plus quand rien dans la loi future [Hamon] n’interdit la résiliation annuelle, bien au contraire ». Plus réservés, Delphine Hauguel et Pierre Maraninchi, avocats du cabinet BOPS expliquent « le contrat d’assurance emprunteur s’inscrit mal dans le cadre des articles L. 113-12 du code des assurances et L. 221-10 du code de la mutualité, puisqu’il s’agit d’un contrat à durée déterminée (celle du prêt) et qu’il couvre, au moins pour partie, des risques relevant de l’assurance vie – par ailleurs exclus du champ d’application de l’article L. 113-12-2 du code des assurances » (3). Par ailleurs, il est vrai que la Cour de cassation refuse parfois de statuer positivement sur certains points de droit, lorsqu’elle estime que c’est au législateur de le faire. Son arme est alors la cassation de l’arrêt, comme c’est le cas ici. Sur le terrain, les professionnels vont jouer une guerre de positions, comme le dit Pierre Balsollier « en attendant de voir comment sera concrètement mise en œuvre la décision de la Cour de cassation par les juges du fond, nous souhaitons continuer à accompagner nos clients dans leurs démarches de résiliation annuelle avec la gestion de résiliation sous mandat ». Par cette décision la Cour de cassation n’a donc pas mis un point final au contentieux, d’autant plus que la réaction des juridictions du fonds dans un sens ou un autre sera suivie de près. Une résistance est très plausible.
Côté défense des consommateurs, il faut rappeler que l’UFC-Que Choisir a saisi l’Autorité de contrôle prudentiel et résolution (ACPR), fin septembre 2015, pour briser la résistance bancaire à la loi Hamon. Bref, de toutes parts la résiliation bien définie en emprunteur, c’est non.
Jérôme Speroni
Jean de Salve de Bruneton, Avocat au Conseil
« Le code de la consommationnuit au consommateur !»
- Comment comprenez-vous l’arrêt rendu par la Cour de cassation ?
Dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 mars 2014, l’article L. 312-9 du code de la consommation ne comporte pas de référence à la faculté de résiliation annuelle prévue à l’article L. 113-12 du code des assurances. Est-ce que cela permet de considérer que cette disposition du code de la consommation exclut cette faculté alors qu’une telle résiliation paraît devoir être régie par le code des assurances ? Il est surprenant que le code de la consommation nuise au consommateur et le prive d’un droit, par ailleurs, prévu par le code des assurances.- Comment voyez-vous la suite juridictionnelle de cette affaire ?
Une cinquante d’affaires similaires est en cours d’instruction et il est possible que certaines cours d’appel s’opposent à la solution retenue par la Cour de cassation. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation devrait alors être réunie.
Propos recueillis par J. S.
Une longue histoire législative
- 2014, la résiliation dans l’année de souscription. L’article L. 113-12-2 du code des assurances, créé par la loi Hamon du 17 mars 2014, introduit la possibilité pour l’emprunteur de résilier son assurance pendant les 12 mois qui suivent la signature de l’offre de prêt, afin de substituer un contrat qui lui soit plus avantageux, à garanties équivalentes.
- 2010, l’équivalence des garanties. À compter du 1er septembre 2010, la loi Lagarde prévoit que : « le prêteur ne peut pas refuser en garantie un autre contrat d’assurance dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance de groupe qu’il propose. Toute décision de refus doit être motivée » (code de la consommation, article L. 312-9).
- 1989, la faculté annuelle de résiliation. La loi du 31 décembre 1989, « portant adaptation du code des assurances à l’ouverture du marché européen » introduit la possibilité de résiliation annuelle par l’assuré, avec une exception notable : les contrats d’assurance sur la vie (code des assurances, article L. 113-12).
La loi Hamon n’a augmenté que de 0,5 % les résiliations en emprunteur au titre du changement d’assurance dans la première année, mais a conduit à diminuer les assurances non intermédiées par les banques en amont de l’offre de prêt.
Pierre Balsollier, président du directoire de Securimut
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