L'édito : le sens du «R»

Vous l’avez remarqué, le projet de loi Sapin 2, présenté le 30 mars dernier, contient une disposition inattendue sur la résolution en assurance. Soit dit en passant, cela donne enfin au «R» de l’ACPR tout son sens côté assurance (la banque était déjà pourvue). L’objectif, donc, est de «prévenir les crises susceptibles d’affecter les organismes d’assurance, ou, lorsqu’elles surviennent, de limiter le plus possible l’impact sur la collectivité des assurés et la stabilité du système financier». Tout cela est parfaitement en phase avec les missions dévolues à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution : la stabilité financière et la protection de la clientèle. C’est donc plutôt une bonne nouvelle, non ?
L’autre bonne nouvelle, c’est que la France a trouvé une bonne façon de faire d’une pierre deux coups : corriger un vide juridique un peu ennuyeux (la censure il y a un an par le Conseil constitutionnel de l’outil de résolution maison que constitue le transfert d’office de portefeuille), et «se positionner comme l’un des pays les plus avancés de la réglementation financière applicable aux assurances» en Europe. Ce n’est pas un mystère, une initiative européenne sur la résolution en assurance est en gestation, et l’un des enjeux est d’éviter de faire un simple «copié-collé» de ce qui existe au niveau bancaire. On comprend donc que la France veut «promouvoir son cadre de résolution», dont on attend quand même de voir les modalités pratiques. Reste à espérer qu’à ce concours européen de bonnes idées, le bon sens ressortira victorieux.
Alors pourquoi cet arrière goût un peu amer ? On a juste la confirmation désagréable que le mot «faillite» n’est plus tabou dans l’assurance. Rappelez-vous, lors de la crise de 2008-2009, on se rassurait en se disant que faillite est synonyme de «banqueroute» et non d’«assuranceroute». Que son cycle inversé de production expose peu l’assurance au risque de liquidité, bien réel dans le domaine bancaire. Que l’on compte les faillites d’assurance en Europe sur les doigts de la main (Equitable Life, Ethias, Zenith Life, pour les plus emblématiques). Qu’il existe des alternatives permettant d’éviter de gérer en urgence des situations délicates (mise en run-off, substitution, transfert d’office de portefeuille). Pas de çà chez nous, en somme. Sauf que l’environnement de taux bas et Solvabilité 2 changent un peu la donne. Si bien qu’aujourd’hui, il ne semble pas totalement incongru de disposer d’un mécanisme permettant que les éventuelles faillites d’assureurs soient gérées de façon «ordonnée».
Le projet de loi Sapin 2 contient une disposition sur la résolution en assurance. Ce mécanisme de gestion ordonnée des faillites reste à créer. Mais un tabou a sauté.
L’autre mauvaise nouvelle, c’est que tout cela accrédite la thèse selon laquelle l’assurance aurait, elle aussi, un potentiel de risque systémique, contrairement aux démonstrations de la profession. Et le pire, c’est que le débat ne porte plus vraiment sur les activités barbarement qualifiées de «non traditionnelles, non assurantielles», celles qui ont jadis causé du tort à AIG. Non, le vrai sujet, c’est que l’assurance vie traditionnelle (avec promesse de rémunération, garantie du capital, et liquidité à tout instant) est aujourd’hui dans la ligne de mire. Et comme l’explique le FMI dans son récent rapport sur la stabilité financière dans le monde, le caractère systémique de l’assurance serait en réalité moins lié à une logique de taille (too big to fail) qu’à une logique de nombre (too many to fail). Dit autrement, l’effet domino viendrait moins d’un gros assureur qui aurait un pépin et entrainerait le système financier dans sa chute, que d’un même pépin partagé en même temps par tous les assureurs d’un même marché. Dans ce contexte, on est bien content de savoir que le «R» va enfin signifier quelque chose pour l’assurance. Mais on ne peut s’empêcher de se dire que décidément, la meilleure façon de régler les crises, c’est quand même de les éviter.
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