Reavie 2015 : comment l'assurance de personnes se réinvente
Entre Solvabilité 2 et les réglementations propres à leur secteur, les acteurs de la protection sociale complémentaire évoluent dans un univers de plus en plus contraint. Comme l’a montré la 26e édition de Reavie, cette régulation est une source de tension mais incite aussi à défricher de nouveaux champs d’initiatives, autour des services ou de la prévention, tout en cherchant un modèle économique viable.
NICOLAS THOUET ET LAURE VIEL

La mise en place de contrats seniors sera-t-elle pour les complémentaires santé ce que le tiers payant généralisé a été pour les médecins, en l’occurrence le sujet de cristallisation du malaise latent d’une profession à la croisée des chemins ? De l’ANI du 11 janvier 2013 à la réforme des contrats responsables en passant par celle de l’aide à la complémentaire santé (ACS), les premiers épisodes de la réforme du secteur annoncée par François Hollande en 2012 avaient surtout suscité des mécontentements catégoriels, comme le mouvement des « Abeilles », du nom de l’association de défense du courtage de proximité en guerre contre les désignations de branches.
Avec la perspective de voir se mettre en place des contrats de complémentaire santé dédiés aux seniors, comme le prévoyait le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2016, le mécontentement est devenu unanime. Réunissant toute la profession, l’édition 2015 de Reavie, le rendez-vous annuel des acteurs de l’assurance de personnes organisé à Cannes par L’Argus de l’Assurance du 14 au 16 octobre dernier, a bien traduit ce sentiment.
Tous unis contre les contrats seniors
Fini les clivages entre courtiers, mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés d’assurance ! Dès l’ouverture, ces contrats seniors ont été le premier sujet d’actualité évoqué spontanément par les participants. « Folie réglementaire », « mise en coupe réglée du marché », « mort des mutuelles » – ou des courtiers –, « hold-up sur le marché des retraités », chacun y allait de sa phrase choc, les plus libéraux osant même, galvanisés par le soleil cannois, des comparaisons avec la Corée du Nord… Dans le même temps, la Mutualité française (FNMF) demandait le retrait de ce projet, et les Abeilles, soutenues par les organisations professionnelles du courtage (CSCA et Planète Courtier) appelaient à manifester devant le Sénat le 27 octobre dans le même objectif.
Mais une autre leçon doit aussi être tirée de cette 26e édition de Reavie. Les professionnels de la complémentaire santé, intermédiaires y compris, ont intégré une nouvelle donne : même si le gouvernement retirait son projet de contrats seniors – ce qui a, a priori, autant de chances d’arriver que l’abandon de la généralisation du tiers payant –, ils devront, entre Solva 2 et les réglementations sectorielles, évoluer dans un environnement de plus en plus contraint. Dès lors, l’enjeu est de se réinventer, d’investir de nouveaux champs pour se différencier puisque les offres sont de plus en plus encadrées.
Diversification et services
Dans cette perspective, deux orientations se sont dégagées des débats, la diversification et les services. La première concerne les courtiers – qui s’intéressent de plus en plus au marché de la retraite collective – mais surtout les mutuelles. « Aujourd’hui, une mutuelle qui fait 90 ou 95 % de son chiffre d’affaires en santé est en danger », affirme Maurice Ronat, président d’Eovi-MCD Mutuelle. La priorité n’est plus de fusionner entre mutuelles mais de sortir de la mono-activité. Associer santé et prévoyance, et distribuer du Iard, afin de mieux faire tourner les agences pour pouvoir les conserver : telle est la nouvelle frontière de nombreux mutualistes.
Quant au développement des services, c’est certes une tendance engagée depuis quelques années, et qui s’accentue sous l’effet du discours sur la e-santé et les objets connectés. Mais si ces sujets font couler beaucoup d’encre, Reavie a été pour certains l’occasion de rappeler les fondamentaux : attention au modèle économique. « Il ne faut pas déployer un discours sur les services avant d’en connaître le retour sur investissement », souligne Quentin Bériot, de la direction générale santé et prévoyance de Covéa. Les premiers services sont une gestion performante, ou encore les réseaux de soins. Voire tout bonnement de la pédagogie : « Nos clients ne comprennent rien à ce qui se dessine. Les entreprises et les salariés vont découvrir les nouveaux contrats responsables avec les plafonnements de garanties, l’impact du contrat d’accès aux soins des médecins sur les remboursements, etc. », explique Éric Maumy, directeur général de Verlingue. Bref, avant de fantasmer sur le potentiel de l’e-santé et des objets connectés, il faut déjà travailler l’existant.
Aujourd’hui, une mutuelle qui fait 90 ou 95 % de son chiffre d’affaires en santé est en danger.
Maurice Ronat, président d’Eovi-MCD mutuelle
Une remarque qui vaut aussi pour la prévention, autre sujet en vedette à Reavie. « Dans les branches, les 2 % de solidarité qui sont désormais réservés au financement d’actions de prévention poussent les entreprises à investir ce segment, et à vouloir faire appel aux compétences des acteurs du monde de l’assurance », observe Philippe Ricard, directeur du développement de Klesia.
Depuis plusieurs mois, les acteurs du monde de la santé se sont ainsi emparés du sujet, comme en témoigne le programme MyPrevention lancé cet été par Siaci Saint Honoré. « Le risque lié à l’arrêt de travail s’est fortement dégradé au cours des dernières années. Nous sommes donc convaincus que parler de prévention et de pilotage de l’absentéisme est une bonne chose. Pour autant, les entreprises attendent surtout de notre part des résultats », indique le directeur prévoyance et santé collectives d’Aon, Olivier Jonckheere. Or, la protection des données médicales étant très réglementée en France, tous les acteurs interrogés à Reavie reconnaissent qu’il est difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact des actions de prévention dans les entreprises. « Le modèle économique reste encore à inventer. Proposer des solutions de santé au travail qui soient prospectives et s’inscrivent dans les budgets de nos clients, tel est notre défi », ajoute Olivier Jonckheere.
Le modèle économique reste encore à inventer. Proposer des solutions de santé au travail qui soient prospectives et s’inscrivent dans les budgets de nos clients, tel est notre défi.
Olivier Jonckheere, directeur prévoyance et santé collective d’Aon
Résister aux offensives des nouveaux entrants
Dans sa quête d’innovations, la profession regarde aussi avec fascination au-delà des frontières. De nouveaux entrants comme l’assureur Oscar, qui se développe de manière fulgurante outre-Atlantique sur la vague de l’Obamacare, ou les « Gafa » (Google – Apple – Facebook – Amazon) n’attendent que l’occasion de déferler sur le secteur de la santé. Si le carcan réglementaire français bride les acteurs traditionnels, ils les protègent aussi des attaques de ces entreprises innovantes.
Mais ne risquent-ils pas de se faire doubler ? « Tout le monde est dans les starting-blocks. Mais comme nous sommes dans un univers très régulé, nous verrons plutôt des coopérations », analyse Frédéric Lavenir, directeur général de CNP Assurances. « Il est clair que la dynamique d’Internet va nous percuter. C’est un challenge », affirme Frédéric van Roekeghem, l’ex-patron de l’assurance maladie devenu directeur général de MSH International. Pour lui, les États-Unis sont le pays le plus créatif, notamment parce qu’ils se donnent, en matière de protection sociale et dans tous les domaines, les moyens de tester des innovations quitte à abandonner celles qui n’aboutissent pas. Ce qui n’est pas dans les habitudes françaises, et pourrait constituer un bon sujet de réforme.
À l’occasion de Reavie 2015, Denis Kessler s’est prêté à l’exercice d’analyse et de prospective du marché de l’assurance vie et de personnes. S’il ne fait aucun doute pour le président-directeur général de Scor que « nous ne sommes pas encore sortis de la crise de 2008 », le plus important est désormais, selon lui, « la sortie de crise ».
« L’assurance vie et de personnes a été la principale victime collatérale de la crise bancaire et de l’endettement des États. Or, il y a toujours une incertitude des banquiers centraux sur la remontée ou non des taux d’intérêts. Tant que ce problème de visibilité durera, la sortie de crise sera délicate, complexe et certainement challenging pour l’assurance vie », estime-t-il. Pour Denis Kessler, le marché doit faire face aujourd’hui à des risques à la fois financiers, économiques, mais aussi « biométriques » et réglementaires. « En Europe, on est passé de Bale 1, à Bale 2 puis Bale 3. On aura donc certainement Solvabilité 3 », prédit-il. Dans ce contexte d’incertitudes, le patron de Scor estime néanmoins que la France s’en sort mieux que son voisin allemand. « Nous nous sommes adaptés aux taux bas et les assureurs vie ont réorienté la collecte vers les unités de compte (UC). L’eurocroissance est une solution, mais ce n’est toutefois pas LA solution à une répression financière durable », conclut-il.
Propos recueillis par Nicolas Thouet
La MGEN joue la carte de la proximité physique
Pour se différencier sur le marché, de nombreux acteurs de l’assurance de personnes misent tout sur le digital. À la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), la relation avec l’adhérent n’en néglige pas pour autant les moyens plus classiques. « Face à des personnes habituées à de nouveaux modes d’interaction, la proximité physique n’est peut-être pas à la mode. Mais nous, nous y croyons toujours », explique Isabelle Hebert, DG adjointe assurance obligatoire et complémentaire. Au cœur de chacune de ses 101 sections départementales réparties sur le territoire, la mutuelle a ainsi mis en place un espace dédié aux clubs des retraités de la MGEN. Un choix qui ne l’empêche toutefois pas de miser aussi sur le digital, puisqu’elle s’apprête à lancer Vivoptim, un programme e-santé pour prévenir et accompagner le risque cardiovasculaire.
Sortir d’une segmentation par risques
Pour Frédéric Lavenir, directeur général de CNP Assurances, le système de protection sociale français « est bridé car il est difficile de le penser autrement que selon les principes fondateurs de la Sécurité sociale de 1945 », qui induisent une vision spécialisée par « silos » de risques – maladie, vieillesse, famille... Aujourd’hui, une grande partie du risque santé se confond, par exemple, avec le risque vieillesse. Il est donc temps de faire tomber certaines frontières pour « remettre la personne et ses besoins » au centre du système, et entrer dans « une vision holistique du risque ». Le système doit aussi être mis en adéquation avec un monde du travail plus émietté, des parcours discontinus et une croissance faible. Des facteurs favorables au lancement d’offres de retraite supplémentaire, affirme-t-il en allusion au partenariat annoncé avec AG2R La Mondiale.
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