Ouragans : Harvey et Irma secouent le marché
Après des années de basse sinistralité, les ouragans Harvey et Irma ont constitué un stress test pour les réassureurs, qui espèrent pouvoir remonter leurs tarifs, mais les cédantes résistent.

À Monte-Carlo, où se tenaient la semaine dernière les 61e Rendez-vous de septembre, deux mots étaient sur toutes les lèvres : Harvey et Irma. Une actualité qui est venue secouer ces habituelles rencontres de marché entre cédantes et réassureurs. Si, au-delà des dégâts provoqués, ces ouragans ont entraîné, avant tout, des drames humains, il s’agit aussi de sinistres importants sur un marché qui n’en avait pas connus de cette ampleur depuis cinq ans.
Un marché en baisse
Alors que les tarifs de la réassurance dommages ne cessent de baisser depuis une dizaine d’années, ce qui commence à peser sur les ratios combinés et la profitabilité des réassureurs, ces deux cat’nat’ pourraient « secouer l’industrie de la réassurance », estime d’ailleurs Denis Kessler, PDG de Scor. « C’est un stress test pour la soutenabilité du marché », acquiesce Torsten Jeworrek, CEO Réassurance du numéro 2 mondial Munich Re. « Tout dépendra de l’étendue des pertes assurées », tempère Christian Mumenthaler, CEO de Swiss Re. Or, le secteur peine encore à faire les comptes après le passage de l’ouragan Harvey qui a déclenché, fin août, des inondations historiques au Texas. « Un événement complexe et incertain », relève Torsten Jeworrek, qui n’avait pas été prévu par les scénarios des réassureurs. Contrairement au passage de l’ouragan Katrina en 2005, « il est plus difficile aujourd’hui de connaître la répartition des sinistres ». Selon Munich Re, la facture pourrait atteindre « 20 à 30 Md$ » (de 17 à 25 Md€ environ), avec « des pertes assurées comparables à celles de l’ouragan Sandy » qui avait sévi en octobre 2012. Des incertitudes demeurent cependant sur les pertes d’exploitation dues à l’arrêt de l’activité, en particulier de l’industrie pétrolière texane.
Quant à Irma, qui a frappé les Antilles françaises couvertes par le régime public des cat’nat’, ainsi que Cuba et la Floride, le pire semble avoir été évité bien que 40 décès soient à déplorer. Si l’ouragan avait frappé la région de Miami, la facture aurait pu grimper jusqu’à 100 Md$ (près de 84 Md€).
D’après les premières estimations réalisées le 9 septembre par Air Worldwide, c’est-à-dire avant que sa trajectoire ne soit connue, Irma pourrait au final causer entre 20 Md$ et 65 Md$ de pertes (soit, de 17 à 54 Md€) aux États-Unis et dans les Caraïbes.
Ces cat’nat’ se produisent alors que le marché de la réassurance est de plus en plus fragmenté, entre, d’un côté, de grands réassureurs tirant parti de leur diversification et, de l’autre, des acteurs de taille moyenne davantage fragilisés par la baisse des prix. « Certains acteurs vont boire la tasse, d’autres vont passer à travers les “gouttes” », commente un réassureur. Scor, qui a réduit par deux son exposition en Floride au printemps dernier, s’estime ainsi plus épargné que ses concurrents. De même, Hannover Re se dit peu exposé, avec 2% de parts de marché seulement au Texas et en Floride. Les Bermudiens Nephila, Everest Re, Aeolus Re, Tokio Millennium Re, Ren Re et Partner Re figurent en revanche parmi les réassureurs les plus exposés au marché des cat’nat’ en Floride. Et Munich Re a fait savoir qu’il pourrait ne pas atteindre son objectif de profits cette année à cause d’Harvey et Irma. Si certains réassureurs se plaisent déjà à rêver d’un redressement des prix, ces deux événements, aussi impressionnants soient-ils, « ne devraient pas renverser la table », estime toutefois Alkis Tsimaratos, responsable de la zone EMEA du courtier Willis Re. Les dégâts causés par les inondations sont, en effet, sous-assurés de manière critique aux États-Unis, où la couverture de ce risque est optionnelle, ce qui devrait donc réduire les pertes assurées. « Harvey est un sinistre complexe, mais en termes de pertes assurées, il reste modeste et absorbable par l’industrie de la réassurance. Irma est plus sévère, mais c’est un événement modélisable, prévu par la réassurance et absorbable par les fonds propres des réassureurs », précise ainsi Alkis Tsimaratos.
Harvey
- Un ouragan de catégorie 4, reclassé en tempête tropicale.
- Du 25 au 29 août 2017.
- Le plus fort qu’ait connu la côte texane depuis 1961. Principaux dégâts, à Houston, dûs aux inondations
- Entre 20 et 30 Md$ de pertes assurées selon Munich Re. Un événement complexe, non prévu et des pertes commerciales difficiles à déterminer.
Un impact financier mineur
Harvey et Irma devraient peser sur les revenus, mais pas sur la capitalisation des réassureurs, estime de son côté l’agence de notation Standard&Poor’s. « 20 Md$ sur une capitalisation globale de 450 Md$, cela est tout à fait absorbable », ajoute une source de marché. Si aucune catastrophe majeure ne se produit d’ici janvier, ces événements ne devraient donc pas retourner le marché. Prudent, Swiss Re prédit, lui, une « stabilisation des prix ». « Même si les débats sont animés, on va rester dans un marché d’acheteurs », prédit Alkis Tsimaratos. Car les cédantes ne comptent rien lâcher. « Les réassureurs souhaiteraient s’appuyer sur ces événements pour faire remonter les prix, en arguant qu’il s’agit d’un marché mondial, mais les assureurs en Europe ne sont pas prêts à accepter des tarifs plus élevés pour des sinistres subis aux États-Unis », explique un courtier. D’autant que les ROE (rentabilité des fonds propres) des réassureurs s’affichent toujours à des niveaux « satisfaisants » de 8 ou 9 %.
Irma
- Un cyclone de catégorie 5 « d’une intensité sans précédent sur l’Atlantique ».
- Du 5 au 11 septembre 2017.
- Dégâts causés à Barbuda, sur les îles françaises de Saint-Martin et Saint-Barthélémy, avant de toucher Cuba, puis l’Ouest de la Floride.
- Entre 20 Mds$ et 65 Md$ de pertes assurées aux États-Unis et dans les Caraïbes, selon les premières estimations d’Air Worldwide.
Les réserves s’amenuisent
Pas suffisant, répondent toutefois les réassureurs dont les réserves de provisions commencent à s’amenuiser. « Après avoir perdu le gras, on risque de perdre les muscles », fait valoir l’un d’entre eux. « Avant les Rendez-vous de septembre, il existait un consensus mou sur le marché, selon lequel on est arrivé à la limite de ce qui est techniquement supportable. Mais, comme le marché est surcapacitaire, on s’attendait encore à une baisse des prix comprise entre 0 et 5 %. On a constaté au premier semestre que, malgré l’absence de sinistres, les ratios combinés des réassureurs se sont dégradés. Ils n’ont plus de marges et même un sinistre moyen cause une perte aujourd’hui. Avec Harvey et Irma, la réassurance va être en pertes en 2017. Nous n’avons pas d’autre choix que de relever les prix », explique Patrick Delalleau, directeur de la souscription de CCR Re.
Les Antilles françaises peu assurées
C’est « le sinistre le plus important en France depuis 35 ans », estime la Caisse centrale de réassurance (CCR). L’ouragan Irma, qui a dévasté les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy le 6 septembre, devrait causer 1,2 Md€ de dommages assurés, selon les premières estimations de CCR. Mais la facture économique est, en réalité, bien plus salée. À Saint-Martin, où 90 % du bâti a été endommagé ou détruit, le taux de pénétration de l’assurance n’est que de l’ordre de 40 ou 50 %. Il est à peine plus élevé à Saint-Barthélémy (près de 65 %). « Sur Saint-Martin, l’habitat est précaire, constitué de maisons en bois et de toitures en tôle, ce qui explique que moins d’un particulier sur deux soit assuré », explique Jean-Vincent Raymondis, directeur général adjoint de l’expert en gestion des risques Saretec.
La garantie CCR
Seuls quatre assureurs sont présents sur ces îles : Generali France, dont la filiale à 100 % GFA Caraïbes assure 3 600 particuliers en automobile et 2 200 en multirisque habitation, ainsi qu’Allianz France, Groupama et, dans une moindre mesure, Axa France. Ces derniers pourront recourir à la garantie de l’État, via le schéma de réassurance publique de la CCR. Les Antilles bénéficient, en effet, du régime public des cat’nat’ pour les dégâts commis par les inondations depuis 1990.
Contrairement à la métropole, la garantie de CCR s’y applique aussi pour les dégâts générés par le vent, depuis la loi d’orientation pour l’outre-mer adoptée en 2000. « Les assureurs ont fait pression pour pouvoir disposer de la réassurance publique pour ces cat’nat’ dans les Dom-Tom. Ils ne souhaitaient pas prendre ce risque et préféraient bénéficier de la garantie de l’État », explique un réassureur. « La capacité mise à disposition par les réassureurs privés sur la zone Caraïbes est limitée, ces derniers étant tentés d’allouer de la capacité sur les territoires où les primes sont plus élevées », se défend au contraire une cédante.
Ces cat’nat’ pourraient, en tout cas, relancer la demande. Munich Re et Scor ont, d’ores et déjà, constaté une « demande supplémentaire » de la part des cédantes qui, en l’absence de sinistres majeurs, retenaient davantage de risques. Ces événements illustrent la nécessité pour le secteur de se montrer plus créatif afin de combler le protection gap, c’est-à-dire la différence entre le coût économique et les pertes assurées. Celui-ci est énorme en Asie, où les cat’nat’ sont nombreuses mais les pertes assurées ne représentent que 8 % du total. Mais il reste important dans les marchés matures : aux États-Unis, où les pertes assurées représentent 44 % des pertes économiques, mais aussi en Europe où elles pèsent 29 %. « En Italie, seuls 1,5 % des particuliers s’assurent contre le risque de tremblement de terre. La Grèce et la Turquie sont également sous-assurées contre les séismes. La couverture contre les inondations reste optionnelle en Allemagne et dans certains pays d’Europe centrale », énumère Jean-Jacques Henchoz, responsable réassurance de la zone EMEA de Swiss Re. « Harvey, Irma, le tremblement de terre à Mexico, les inondations en Inde… les événements climatiques se multiplient. Charge au marché d’y répondre », relève un réassureur. À Monte-Carlo, cette année, tous sont venus délivrer un même message : la sous-assurance, dans le monde, reste un défi… et un potentiel à exploiter.
Cat’bonds... le coup d’arrêt ?
Les ouragans Harvey et Irma constituent aussi un test pour le marché des cat’bonds (obligations catastrophes). En période de taux bas, ces instruments financiers à la rentabilité attractive sont prisés par les investisseurs, notamment les fonds de pension, et concurrencent les réassureurs traditionnels. Mais qu’adviendra-t-il en cas de grosses pertes ? « La réassurance alternative risque de connaître un coup d’arrêt », estime Claude Tendil, président de l’Association des Rendez-vous de septembre. De l’avis des courtiers en réassurance, ce scénario noir semble toutefois écarté. « Pour le moment, c’est business as usual », remarque Quentin Perrot, vice-president chez Willis Towers Watson Securities. « Il y a aujourd’hui un peu moins de 12 Md$ (10 Md€) de cat’bonds exposés à Irma. Mais les projections actuelles nous amènent à penser que seule une minorité sera vraiment en risque de défaut », ajoute-t-il. Les cat’bonds se recapitalisent, en effet, sans problème. « Ce qui détermine les prix, c’est la capacité disponible. Or, de nombreux investisseurs semblent prêts à augmenter leurs investissements sur ce marché. Nous ne nous attendons donc pas, à ce stade, à une hausse significative des spreads des cat’bonds à court terme », estime-t-il. De plus, les fonds de pension investissent moins de 5 % de leurs actifs sous gestion dans les cat’bonds ou instruments financiers analogues, ils peuvent donc amortir cette perte.
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