Côme Berbain : «Aujourd'hui, dans l'assurance, il y a un problème de modèle»

Fonctionnaire spécialisé dans la sécurité informatique, Côme Berbain a étudié l’assurance du futur à l’occasion de son mémoire de titularisation. Verdict : c’est l’assureur qui doit se réinventer...

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Côme Berbain : «Aujourd'hui, dans l'assurance, il y a un problème de modèle»
Côme Berbain Ingénieur des mines, auteur d’un mémoire sur « L’Assurance de demain »

Pourquoi avoir choisi d’étudier l’assurance de demain ?
Ce travail est une parenthèse récente dans ma carrière professionnelle dédiée à la sécurité du numérique. Je voulais creuser les conséquences, potentiellement fossoyeuses, du big data dans l’assurance. Avec ma corédactrice Élisa Salamanca, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un effet de mode, mais également une révolution liée à l’intelligence artificielle dans ce secteur avec un vrai « sous-jacent » technique. Cette année, les mots plateforme et blockchain ont remplacé big data. Mais tous ces termes cristallisent les avancées technologiques en cours. Reste que l’intelligence artificielle date des années 50. On annonçait alors la fin de pans entiers de l’économie traditionnelle. Il n’en a rien été.

Sauf qu’aujourd’hui, l’afflux de données gratuites via Internet et les smartphones ne gonfle-t-il pas les potentialités de cette intelligence artificielle ?
C’est, effectivement, le premier élément technologique de la révolution à l’œuvre dans l’assurance. Mais s’y ajoutent aussi les récents progrès techniques et scientifiques en matière d’intelligence artificielle et les nouvelles infrastructures développées par les Gafa (ndlr : Google, Apple, Facebook, Amazon), basées sur des technologies de collecte et d’exploitation de bases de données gigantesques. C’est, en fait, la conjonction de ces trois facteurs qui crée cette révolution. Appliquée à l’assurance, il y a toutefois des limites.

Lesquelles ?
La prédiction absolue est impossible. Le big data n’est pas une boîte magique dans laquelle les assureurs déversent leurs données avant d’appuyer sur un bouton capable de tout envisager. Si les prédictions deviennent plus avancées, intelligentes et fines, il restera toujours une part d’aléas, car la puissance de calcul n’est pas infinie. Il y a des limites intrinsèques à la technologie et liées à l’application. C’est pourquoi les data scientists des compagnies doivent impérativement comprendre les données qu’ils manipulent pour les trier et les interpréter. Le big data, seul, n’est qu’une machine qui fait des corrélations. Il faut ensuite analyser les causalités qui leur donnent un sens opérationnel.

Selon vous, va-t-on vers la démutualisation de l’assurance ?
Je dirais plutôt qu’au lieu de mutualiser sur des tranches comparables d’individus, on mutuali­sera peut-être différemment, demain, sur leurs activités, par exemple.

Les assureurs auraient-ils intérêt à recueillir les données de leurs clients disponibles sur les réseaux sociaux ?
Oui, pour savoir s’ils sont un bon ou un mauvais risque. Non, parce que ce n’est pas renta­ble économiquement. Il est beaucoup plus simple d’avoir une application sur un smartpho­ne ou de récu­pérer la position d’un véhicule par un programme Pay as you drive…

Quel regard portez-vous, justement, sur la manière dont les assureurs créent de la donnée comportementale avec le Pay how you drive ? Croyez-vous à l’idée sous-jacente d’une assurance sur-mesure ?
C’est le grand fantasme des assureurs d’exploiter des données extrêmement individualisées. Mais le simple Pay as you drive ne s’est toujours pas développé car le coût du boîtier est supérieur aux gains attendus pour l’assureur. Le big data affole les gens qui craignent d’être tracés, d’être des mauvais risques. C’est un miroir aux alouettes. Le vrai sujet, c’est l’évolution des trois marchés clés des assureurs : l’auto, l’habitation, la santé.

Quelle est votre vision de l’évolution de ces trois segments ?
Aujourd’hui, on covoiture, on loue à l’heure… Et les voitures sont technologiquement sûres. Mécaniquement, cela va réduire les primes d’assurance et le nombre d’accidents. À cette baisse de la masse assurable s’ajoute le danger d’une mutation d’un marché BtoC vers un marché BtoB. Les assureurs contractent des accords avec des plateformes comme BlaBlaCar ou Uber qui encapsulent l’assurance comme un service. Dans la santé, l’ANI a déjà transféré le marché vers le BtoB. Le client de la mutuelle santé, aujourd’hui, c’est le DRH de l’entreprise ! Enfin, sur l’assurance habitation, beaucoup d’acteurs réfléchissent [ndlr : Google (Nest), Apple (Homekit), Orange (Homelive) ou encore Castorama (Liveez)] et offrent des packs d’objets connectés pour les particuliers qui pourraient, à terme, intégrer l’assurance.

Axa maison connectée, Macif Protect et, depuis juin, Matmut avec une offre en trois formules qui inclut une caméra connectée, tentent de percer sur ce marché. Comment jugez-vous leur approche ?
Ils ne proposent pas encore un bouquet de services. Cela reste axé sur la télésurveillance et montre que l’assurance n’a pas compris qu’il fallait changer son modèle ! Or, la technologie du 21e siècle associée au big data, à la puissance de calcul et à une autre relation aux clients créent de nouveaux concurrents. Leur modèle économique est différent, pensé nativement à l’échelle mondiale pour générer des rendements croissants via une plateforme avec un seul principe : plus ils ont d’utilisateurs qui leur livrent des données, plus le service est performant.

Avez-vous le sentiment que cette logique de service rendu exceptionnel en échange de données est en place chez les assureurs ?
Non, à cause, notamment, de systèmes d’infor­mation épars, fruits de rachats, qui s’interconnectent mal. Je pense à un assureur qui a 17 manières d’écrire une date dans ses multi­ples systèmes… À cause, aussi, de la distribution de leurs produits. L’ininteropérabilité des SI vient de cette chaîne fragmentée entre réassu­reurs, assureurs, grossistes, courtiers, agents qui ont chacun leur informatique et font volontairement de la rétention de données. Il y a donc des limites structurelles à l’action des assureurs. Ce n’est pas juste un problème technique d’homogénéisation…

SON PARCOURS

À 34 ans, Côme Berbain, diplômé de l’École nationale supérieure de techniques avancées (Ensta), de Polytechnique et docteur en informatique, veille à la sécurité IT des administrations et d’acteurs privés d’importance vitale au sein de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) – entité rattachée directement au Premier ministre. Prévention, cyber-risques et big data n’ont plus de secret pour ce fonctionnaire qui a choisi, en 2014, de se pencher sur l’avenir de l’assurance *...
  • 2004 Ingénieur R&D chez Orange
  • 2008 Ingénieur R&D, puis manager des problématiques sécuritaires et informatiques au ministère de la Défense
  • 2012 Responsable de la sécurité de la plateforme carte à puce chez Trusted Logic
  • 2013 Conseiller en stratégie au ministère de la Défense
  • 2014 Rédaction d’un mémoire sur « L’Assurance de demain » *
  • Depuis 2015 Sous-directeur adjoint Expertise à l’Anssi

* Mémoire réalisé avec Élisa Salamanca sous la direction de Sylvestre Frezal (url : bit.ly/22Iz46W)

Mais vous convenez que presque tous les assureurs sont en transformation numérique…
Oui, avec des start-up partenaires et des applica­tions mobile anciennes et mal notées… J’avais pris au hasard l’application e-constat, notée 3 sur Google Play et dont la dernière mise à jour datait de quelques mois.

BlaBlaCar, en comparaison, obtenait 4,5 avec une mise à jour fraîche de 2 jours. Il y a donc une manière de fabriquer les produits et d’utiliser des outils qui n’est pas la même chez les acteurs de la nouvelle économie. Aujourd’hui, dans l’assurance, il y a un vrai problème de modèle. Un problème de fond.

À vous entendre, on peut surtout s’inquiéter pour ceux qui distribuent les produits d’assurance ?
Il y a un enjeu fort sur la distribution. Ainsi, si on s’intéresse aux marchés internationaux, un des premiers distributeurs d’assurance en Angleter­re, c’est Tesco, une chaîne de supermarché ! Le marché anglais est très différent et les assureurs sont des structures spécialisées dans le portage de risque et ne gèrent plus du tout la distribution. Derrière la question du modèle, l’idée consiste à déterminer ce que l’on souhaite prendre en charge ou pas sur la chaîne de valeur.

Quels sont vos scénarios ?
Les assureurs se concentrent sur le portage du risque et abandonnent les fonctions de distribution et de gestion de sinistres. Soit ils font du BtoBtoC en s’alliant avec les nouveaux fournisseurs de services qui leur sous-traitent la gestion des contrats et des sinistres. Ils peuvent aussi décider de devenir fournisseurs de servi­ces en sortant de leur métier d’assureur. Enfin, ils pourraient se positionner en tiers de confiance capables de gérer toutes les données personnelles de leurs clients et leur portabilité d’une plateforme à une autre. Un bon conducteur Uber serait ainsi identifié comme tel dès son inscription chez BlaBlaCar. Les assureurs ont l’habitude d’échanger des données entre eux. Ce peut être un sujet de place.

Pensez-vous que l’assureur doit continuer de couvrir l’intégralité de la chaîne ?
Cela dépend. Aujourd’hui, beaucoup réinternalisent leurs centres d’appel qui deviennent un moyen de comprendre ce que les clients pensent de leurs produits. Mais beaucoup de mutuelles santé externalisent le traitement des adhésions. Que leur restera-t-il ? Quel est leur cœur de métier ? Qui sont leurs clients et quelles valeurs leur fournit-on ? Il y a autant de réponses que d’assureurs. Mais il faut y répon­dre ! Axa veut réinventer l’assurance, je pense qu’il faut réinventer l’assureur.

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