Jérôme Grivet, DG de Crédit Agricole Assurances : « L'eurocroissance fait consensus »
À la tête du leader de la bancassurance en France, Jérôme Grivet plaide pour une stabilité fiscale de l'assurance vie et se montre farouchement opposé à la résiliation des contrats dommages et emprunteur, source de remise en cause de l'équilibre actuel.
PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE MOLÉ-GENLIS

Vous êtes l'un des premiers producteurs d'assurance vie en France. Comment analysez-vous la situation du marché après la décollecte en 2012 ?
Si 2012 était une année de décollecte, la collecte redevient positive en 2013, même si le niveau est moins élevé que ces dernières années. La raison principale est que, dans un paysage de l'épargne où la fiscalité a été bouleversée, l'assurance vie est restée dans un régime stable : cela joue très positivement sur le comportement de nos clients.
Le retour de la collecte nette positive n'est-elle pas fragile ?
La collecte positive est due d'abord à une volonté des Français de maintenir un effort d'épargne important, y compris quand la situation est difficile. Ensuite, elle tient à un réflexe de recherche de sécurité et l'assurance vie est un produit dont la sécurité est reconnue par tous. Enfin, pour une frange importante de la clientèle, sa fiscalité relativement stable présente un certain attrait.
N'est-on pas rentré dans une période de transition d'une phase d'épargne à une phase de prestations, avec des clients vieillissants ?
Comme nos clients utilisent beaucoup l'assurance vie comme un moyen d'épargner en vue de leur retraite, nous aurons à un moment donné des volumes de retraits ou de rachats supérieurs à ceux que nous connaissons. Pour le moment, ce n'est pas le cas.
SON PARCOURS
Ce diplômé de l'Essec, de Sciences Po et de l'Ena, est passé par le ministère des Finances avant de faire sa carrière au sein du groupe Crédit agricole.
- 1995 Conseiller dans le cabinet du Premier ministre, Alain Juppé.
- 1998 Directeur financier de la banque de détail en France du Crédit lyonnais.
- 2001 Directeur de la stratégie au Crédit lyonnais.
- 2007 Directeur général délégué de Calyon.
- 2010 Directeur général de Predica.
- 2011 Directeur général de Crédit agricole assurances.
Avez-vous réussi à développer la collecte en unités de compte ?
À 17,9% des encours, la part d'unités de compte (UC) dans nos stocks est relativement importante. Si elle est plus faible dans la collecte, c'est parce que nos clients vont vers ces supports non pas à l'ouverture du contrat, ou lors d'un versement complémentaire, mais en procédant à des arbitrages depuis leurs fonds en euros quand il y a une opportunité. Par ailleurs, nous disposons d'une gamme large d'UC, que nous continuons à enrichir : UC obligataires, UC structurés de type fonds à formule...
Que pensez-vous de la future réforme de l'assurance vie et des propositions du rapport « Berger-Lefebvre » ?
Je me garderais bien de faire des pronostics, mais la revendication numéro un de nos clients, c'est la stabilité. Dans ce cadre-là, il est possible d'enrichir l'offre en assurance vie. Ainsi, l'euro-croissance fait consensus parce qu'il présente un intérêt pour le client, l'assureur et les pouvoirs publics. La garantie de liquidité à tout instant des fonds en euros est finalement peu utilisée par les assurés et coûteuse pour les assureurs. En renonçant à cette option, les clients peuvent espérer un supplément de rendement. Pour les pouvoirs publics, c'est la garantie que les assureurs investiront davantage dans de nouveaux actifs. On est dans un registre gagnant-gagnant-gagnant. Il n'est pas nécessaire de changer la loi : l'euro-croissance peut reposer sur des dispositions réglementaires. Ne cédons pas à la tentation de modifier en permanence la fiscalité, car on déstabilise les clients qui finissent par ne plus rien comprendre. Nous serions aux antipodes du « choc de simplification » que le président de la République appelle de ses voeux.
Que pensez-vous de l'idée d'un fichier centralisé des contrats d'assurance vie ?
Quel en est l'objectif ? S'agit-il juste de ficher les Français ? De lutter contre la fraude fiscale ? Les banques et les compagnies d'assurances transmettent déjà toutes les informations nécessaires aux pouvoirs publics. Ce fichier introduirait une grande complexité et, au final, un coût supplémentaire que nous, compagnies d'assurances, allons devoir supporter sans qu'aucun bénéfice n'apparaisse clairement.
D'autres sujets marquent l'actualité de l'assurance, par exemple la possibilité de résilier à tout moment les contrats IARD et affinitaires : quelle est votre position à ce sujet ?
Les assureurs ont amplement montré que les bénéfices supposés de la résiliation des contrats d'assurance dommages à tout instant après la première année sont purement théoriques et qu'au final, les coûts induits seraient supportés par les consommateurs.
Il n'existe pas de problème de concurrence dans le secteur de l'assurance en France où les très nombreux acteurs se livrent une concurrence acharnée. De plus, toutes les études internationales montrent que les tarifs de l'assurance en France sont tout à fait compétitifs.
Les assureurs étaient prêts à aménager le dispositif issu de la loi « Chatel », mais cette idée de mettre un terme au contrat à tout instant est un bouleversement des équilibres techniques de l'assurance sans aucun gain tangible pour le consommateur.
La question de la résiliation annuelle de l'assurance emprunteur est également posée...
Concernant l'assurance emprunteur, nous sommes sur le même registre, mais avec un degré de gravité supplémentaire. La loi « Lagarde » a eu des effets significatifs en provoquant une baisse des tarifs de l'assurance emprunteur. Aller vers une résiliation annuelle serait une remise en cause de tout l'équilibre actuel de cette activité, qui a énormement apporté aux Français en matière de capacité à emprunter. Il y a eu déjà beaucoup de changements dans la loi bancaire adoptée pendant l'été : il faut accepter une certaine stabilité et regarder dans la durée comment le marché se comporte.
Jusqu'à quel point la signature de l'Accord national interprofessionnel sur la complémentaire santé peut avoir un impact sur l'activité du Crédit agricole assurances ?
Cet accord constitue un facteur de bouleversement du marché. Nous sommes un acteur significatif sur la complémentaire santé individuelle et très peu présent sur le collectif. Il est tout à fait imaginable pour nous d'étendre notre gamme à des produits plus adaptés au contexte nouveau. Néanmoins, nous devons rester dans notre logique de bancassureur, c'est-à-dire être capables de proposer des produits simples à vendre par des conseillers bancaires qui sont certes formés à l'assurance, mais qui, à la base, sont des banquiers.
Une résiliation annuelle en assurance emprunteur remettrait en cause tout l'équilibre de cette activité.
Vous créez des produits d'assurance pour différents canaux de distribution : quels sont les plus prometteurs dans les années à venir ?
Nous sommes surtout un bancassureur : 95% de nos primes proviennent des agences bancaires. Les canaux de distribution « alternatifs » restent modestes et concernent uniquement l'assurance vie, avec les conseillers en gestion de patrimoine ou Internet, qui représentent environ 10% du marché. Il est intéressant d'investir ces segments émergents pour comprendre les motivations des clients. C'est la raison pour laquelle nous avons développé UAF patrimoine, créé Dolcea vie pour BforBank et acquis, il y a trois ans, Spirica et Lifeside patrimoine.
D'aucuns parlent de success story pour le Crédit agricole assurances, en tête de nombreux marchés de l'assurance : quelles sont les clés de cette ascension ?
Crédit agricole assurances est la conjonction de plusieurs succès : Predica il y a vingt-sept ans, Pacifica quelques années plus tard, puis Caci (1). Le premier facteur de succès, c'est le « code génétique » du Crédit agricole et des caisses régionales, qui combine un esprit d'entrepreneur très développé, qui a permis de prendre les décisions de se lancer sur de nouveaux marchés, et une richesse commerciale qui a assuré le succès des investissements. Je crois que le modèle de la bancassurance a également contribué à cet essor. Il permet d'utiliser la proximité créée par la relation bancaire pour être efficace dans la proposition commerciale ainsi que le savoir-faire des banques en matière d'industrialisation, de gestion administrative.
La garantie de liquidité à tout instant des fonds en euros est finalement peu utilisée par les assurés et coûteuse pour les assureurs.
Et en matière de gestion des sinistres ?
Non seulement les taux de satisfaction de nos clients ayant connu un sinistre sont au meilleur niveau du marché, aux alentours de 95%, mais c'est même la condition pour laquelle les caisses régionales ont accepté de vendre des assurances dommages. Il n'est pas question de nuire à la relation bancaire par un sinistre mal géré.
Quels sont les îlots de croissance pour Crédit agricole assurances ?
Notre marché principal, c'est la France, où notre objectif est de gagner des parts sur les grands marchés de l'assurance sur lesquels nous sommes déjà présents, mais aussi d'identifier des segments d'activité dans lesquels nous pourrions nous développer davantage, par exemple les professionnels. Le multiéquipement constitue également un potentiel de développement significatif.
Êtes-vous touché par la montée en gamme dans l'assurance vie ?
La montée en gamme est une réalité : la clientèle patrimoniale tire notre collecte depuis deux ans. Nous devons continuer à être attentifs à cette clientèle en faisant évoluer notre offre, tout en ne délaissant pas le grand public.
1. Créée en 2008, Caci est la filiale du Crédit agricole assurances spécialisée en assurance des emprunteurs.
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