Spécial risk management : Interview avec Jean-Christophe Sciberras et Frederic Lucas
Depuis de nombreuses années, les risk managers souhaitaient se rapprocher des directions des ressources humaines, afin de mieux appréhender le territoire de chacun dans l'entreprise. Cette demande a intéressé Jean-Claude Sciberras, qui en débat ici avec Frédéric Lucas.
PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE DUFRÊNE
M. Sciberras, connaissez-vous l'Amrae ?
Jean-Christophe Sciberras (J.-C. S.) - Je ne connais pas bien cette association, mais il est prévu que nous fassions plein de choses ensemble.
Frédéric Lucas (F. L.) - L'objectif des deux journées que l'Amrae organise à La Baule est justement de mieux nous connaître respectivement, car nous nous sommes aperçus que, au sein des entreprises, les ressources humaines et les risk managers ne travaillent pas suffisamment ensemble et ne se côtoient souvent pas assez. Pourtant, il y a beaucoup de domaines où ils pourraient collaborer davantage ensemble pour la cartographie des risques en matière de ressources humaines, dans le cas de fusions-acquisitions, de gestion de crise, ou encore dans le champ des assurances internationales de santé, qui ne sont pas forcément le coeur de métier des ressources humaines...
Chacun de vous voulait que cette rencontre ait lieu dans ses locaux. Est-ce symptomatique d'une guerre de territoire au sein des entreprises entre RH et risk management ?
F. L. - Il existe de nombreux domaines dans lesquelles il y a nécessité de travailler ensemble. Il ne s'agit pas d'une zone conflictuelle, de savoir qui veut prendre quoi ! L'enjeu est d'accroître la transversalité dans laquelle chacun peut amener quelque chose à l'autre.
J.-C. S. - Nos entreprises ont des enjeux, et la question est de savoir comment y répondre. Le risk management est une discipline nouvelle dans les entreprises. Il y a dix ans, on parlait des ressources humaines, de direction financière, etc. Le risk management oblige à une vision globale. L'entreprise est un système où il y a des interactions, et elle est aujourd'hui questionnée sur la façon dont elle gère ses risques.
Quelle est votre vision du risk manager ?
J.-C. S. - J'apprécie que le risk manager nous challenge. Il attire notre attention sur des choses qu'on ne voit pas, car nous sommes pris dans nos processus, parfois dans la routine. Dans le groupe dont je suis le DRH, Rhodia, dont le secteur d'activité est la chimie, la culture du risque est très forte, car les risques sont omniprésents. Si un site explose, c'est l'entreprise tout entière qui risque de disparaître. Le risk manager est une interface avec de très nombreuses autres fonctions de l'entreprise. C'est une fonction de vigilance, de challenge, d'alerte, et qui doit arriver à rassembler les uns et les autres.
F. L. - La gestion des talents est au coeur des préoccupations de l'entreprise. Les entreprises qui souhaitent se développer en Chine ou au Brésil y sont confrontées à un turn-over important. Comment l'éviter ? Le risk manager peut apporter sa vision. En France, il y a aussi les risques psychosociaux, un sujet sur lequel tout le monde doit travailler. Une vision transversale et internationale est importante, afin de voir dans quelle mesure des solutions qui existent ailleurs pourraient être dupliquées. Le coeur de métier des ressources humaines est de savoir comment gérer la vie des salariés. La question est de savoir comment les risk-managers peuvent les y aider. Quand on parle de rétention des meilleurs collaborateurs, l'assurance benefits (santé, incentive, etc.) peut parfois être une solution.
J.-C. S. - Le risk manager est souvent assez proche de la direction des assurances, alors que la gestion des risques est un domaine plus vaste que l'assurance, il me semble. De même, la gestion des talents est une vision qui va bien au-delà de l'assurance. L'apport positif du risk manager est qu'il dresse les cartographies des risques, les hiérarchise, etc. Il est important de savoir pondérer les risques, et nous, nous ne pouvons pas tout faire, il faut qu'on sache où mettre nos forces. Les ressources humaines doivent pouvoir bâtir un plan d'actions pour répondre à ses enjeux, et le risk manager doit nous aider à le réaliser.
Quel est l'enjeu majeur en termes de risques pour les ressources humaines ?
F. L. - La hiérarchisation des risques est importante. Souvent, les RH sont confrontées au frein de la financiarisation, qui est un critère majeur : quel coût si une équipe part ? Or, si vous n'arrivez pas à chiffrer l'enjeu, cela constitue un problème.
J.-C. S. - Il est important de pondérer les risques, mais il n'y a pas que l'aspect financier. Les questions d'image de l'entreprise peuvent faire mal ! Quand sa réputation se retrouve sur la place publique, cela peut vite devenir problématique, et c'est encore plus difficile à chiffrer... Regardez l'histoire des espions chez Renault. Les vendeurs de la marque avaient des questions des clients. Cela pollue la relation commerciale. Au lieu de parler du produit, on parle d'autre chose. C'est l'un des principaux risques de nos entreprises, et les directions des ressources humaines y sont très sensibles. Les syndicats mettent parfois les sujets sur la place publique. Parfois, il ne s'agit que de petites choses détectées localement, une procédure mal appliquée par routine. Mais l'alerte est nécessaire. Se challenger est très utile.
F. L. - Concernant les accidents du travail, il existe plein de petites choses qui peuvent améliorer la situation, plein de petits indicateurs. Et en France, le bien-être au travail est normalisé, selon un principe d'ailleurs qui vise à pénaliser l'entreprise.
J.-C. S. - Les risques psychosociaux sont des risques parmi d'autres. Votre expression « bien-être au travail » me plaît davantage, parce qu'elle est plus positive, on est dans la solution et non plus dans le problème. Et il faut aussi trouver les mots pour se parler. Par exemple, nous avons évoqué, avec des collègues d'autres pays, la notion de stress. L'appréhension de ce risque et des solutions peut être très différente. En France, on fait beaucoup dans la joute théorique, sans réellement toujours trouver de solution. Or, en France, l'entreprise a une responsabilité pénale. Nous avons une obligation de moyens et de résultats. Concernant les risques psychosociaux, l'entreprise est responsable, alors que les causes du mal-être d'un salarié ne sont pas forcément claires : problèmes internes ou externes à sa vie professionnelle ?
Comment RH et risk managers peuvent-ils travailler davantage ensemble ?
J.-C. S. - Les ressources humaines exercent un certain nombre de missions, mais dans nos entreprises, les fonctions sont encore majoritairement organisées en silos. Or, il y a nécessité d'être ensemble, qu'il y ait des interrelations entre les chefs et les fonctions. Et il faut créer une animation de ces interrelations. Sinon, chacun suit sa propre hiérarchie, avec des tensions inutiles. Chacun pense que ses missions sont les plus importantes au monde, sans se soucier de celles des autres. L'interface est donc la clé, c'est là que l'entreprise gagne ou perd.
F. L. - L'organisation en silos peut entraver une entreprise. Le risk management est réellement un nouveau métier, qui a vocation à être transversal. La vision de celui qui ne traitait que les assurances de l'entreprise ou les questions de sécurité, c'est dépassé.
J.-C. S. - Souvent, les risks-managers viennent des assurances. Or, c'est bien autre chose. L'évolution de la fonction assurance couplée au risk management ne me semble d'ailleurs pas forcément la meilleure solution.
F. L. - Je pense au contraire que c'est la meilleure solution. Car l'assurance n'est que la partie transfert du risque, que le haut de l'iceberg. En ayant la double casquette, cela permet de voir venir les crises en tant que risk manager, et d'en connaître tout de suite les conséquences en termes de valorisation et d'assurance. Dans la profession, le mix assurance-risk management reste important, mais il tend à diminuer, et l'Amrae est représentative de cette histoire et de cette évolution.
En tant que DRH, quels sont vos critères de recrutement pour les risk managers ?
J.-C. S. - c'est un profil particulier, difficile à trouver, car le bon risk manager doit posséder plusieurs qualités à la fois : avoir une capacité d'influence, tout en sachant écouter, répondre aux sollicitations, comprendre les analyses des experts, tout en étant diplomate...
F. L. - Il faut avoir la capacité de faire adhérer les gens pour les faire sortir de leurs silos.
J.-C. S. - Je trouve d'ailleurs que le terme « risk management » est réducteur, dans le sens où il peut être perçu comme très axé sur les risques et moins sur les solutions. Je pense qu'il faudrait que votre profession y réfléchisse...
F. L. - Dans la profession, nous avons coutume de dire que le risk management, c'est déterminer les risques et les opportunités. Le terme risk management commence à peine à être connu dans les entreprises. C'est un vrai travail de faire identifier par l'entreprise et les RH l'apport de notre métier.
Jusqu'où peut aller la collaboration entre l'Amrae et l'ANDRH ?
F. L. - Cela reste à déterminer. Nous verrons.
J.-C. S. - J'espère que nos rencontres à La Baule avec l'Amrae feront émerger de bonnes idées. On se côtoie dans l'entreprise, mais il est important de se rencontrer à l'extérieur, en dehors de nos enjeux opérationnels directs, pour donner un sens collectif à nos métiers. Quand les associations professionnelles travaillent ensemble pour mieux se connaître, cela ouvre les fenêtres.
JEAN-CHRISTOPHE SCIBERRAS, président de l'Association nationale des DRH (ANDRH)
SON PARCOURS
- Jean-Christophe Sciberras est diplômé de l'IEP Paris, titulaire d'une maîtrise en sciences économiques et d'un DEA de droit social.
- Il a été élu président de l'ANDRH en décembre 2010.
- 1983 Débute comme inspecteur du travail.
- 1988 Juge de tribunal administratif.
- De 1991 à 1993 Conseiller technique de Martine Aubry, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle.
- De 1994 à 2007 Exerce diverses fonctions chez Renault, jusqu'à DRH des centres d'ingénierie en France.
- 2008 Nommé DGA chargé des ressources humaines de Pôle Emploi.
- 2009 Directeur des ressources humaines France et directeur des relations sociales groupe de Rhodia.
FRÉDÉRIC LUCAS, administrateur de l'Amrae chargé de la formation
SON PARCOURS
- Frederic Lucas est ingénieur de formation et titulaire d'un MBA à l'ESCP, dont il a présidé le groupe Assurances. Il est secrétaire général de l'Amrae chargé de la formation.
- 1990 Débute dans la prévention des risques physiques à l'UAP.
- 1994 Il rejoint le courtier Aon pour développer l'approche de prévention et transfert des risques auprès des clients.
- 2002 Il devient risk manager du groupe de grande distribution Louis Delhaize.
- 2005 Il rejoint le groupe Publicis pour développer la démarche de gestion des risques et optimiser les coûts de transferts. Il est aujourd'hui directeur des risques et assurances et chargé de la gestion immobilière au niveau mondial.
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