L'intervention de l'assureur devant le juge répressif : un facteur de bonne tenue de la justice
code de procédure pénale Assureur

Dans le but d'accélérer l'indemnisation des victimes parties civiles, le législateur a donné une place à l'assureur au procès pénal.
Les assureurs ne répondent pas aux conditions de base du code de procédure pénale pour être une partie au procès pénal. Ils ne sont ni auteurs d'infraction, ni victimes, ni civilement responsables. Leur intervention et les indemnités qu'ils sont susceptibles de verser résultent d'un contrat. Ils ne subissent pas personnellement un préjudice direct qui pourrait justifier qu'ils se constituent partie civile.
Le « lien indemnitaire »
Gain de temps
Dans le but affiché d'accélérer les procédures d'indemnisation et d'améliorer la situation des victimes, le législateur est intervenu en 1983 pour reconnaître à l'assureur le droit d'intervenir au procès pénal et lui attribuer un rôle ainsi qu'une place dans cette procédure. Il a introduit dans le code de procédure pénale une série de dispositions pour fixer les conditions d'intervention de l'assureur au procès pénal (articles 385-1 et 385-2, et 388-1 à 388-3).
Ce que la loi vise au premier chef comme contentieux pénal où les assureurs ont particulièrement leur place, c'est celui des accidents de la circulation.
Champ d'application strictement contrôlé
Refus d'extension
La Cour de cassation exerce un contrôle sévère sur l'application de l'article 388-1 et exclut toute hypothèse d'extension de son champ d'application à d'autres infractions. Ces dispositions sont d'ordre public. Ainsi, l'assureur vol qui a indemnisé son assuré victime, qui pourtant se constitue partie civile et demande une indemnisation dans le cadre de ce procès pénal, ne se voit pas reconnaître cette faculté. L'assureur se déclare pourtant subrogé dans les droits de la victime pour exercer un recours contre le voleur et écarter l'éventualité d'une double indemnisation de son assuré. Mais la Cour de cassation admet la constitution de partie civile de la victime et qu'elle obtienne une réparation de la part de l'auteur du vol. Elle écarte l'intervention de l'assureur au procès pénal puisqu'il ne s'agit pas d'une poursuite exercée pour homicide ou blessures involontaires (Crim., 9 février 1994, Bull. n°59). Confrontés à cette situation et à une position intransigeante de la Cour de cassation, certains revendiquent une extension du champ d'application des dispositions relatives à l'intervention de l'assureur au procès pénal au cas du vol et invitent le législateur à modifier les textes (voir en ce sens : V. Assurances, Répertoire pénal Dalloz par Stéphanie Porchy-Simon, n° 25).
La Haute juridiction souligne que seuls les assureurs du prévenu, de la personne civilement responsable et de la partie lésée sont admis à intervenir ou peuvent être mis en cause devant la juridiction répressive saisie de poursuites pour homicide ou blessures involontaires. Un arrêt d'appel admet l'intervention d'un assureur du véhicule de la victime décédée dans un accident de la circulation en notant qu'il se trouve subrogé dans les droits de la victime passager blessé dans l'accident. La Cour de cassation censure cette décision en relevant que cet assureur n'était ni l'assureur du prévenu ni celui de la victime. La cour d'appel aurait dû déclarer d'office l'intervention de cet assureur irrecevable (Crim., 22 janvier 2008, n°07-82.555).
L'assureur d'une personne non mise en cause pénalement, ou qui n'est pas celui du prévenu ou du civilement responsable ne peut être appelé à intervenir au procès pénal. Ainsi, dans une affaire où la chute d'un haltère manipulé par le prévenu depuis le balcon de l'appartement donné en location à une autre personne avait causé la mort d'un passant. Le prévenu avait été déclaré coupable d'homicide involontaire. La cour d'appel avait confirmé un jugement ayant condamné solidairement les deux personnes à réparer le préjudice des parties civiles et déclaré sa décision opposable à l'assureur unique de l'une et de l'autre. L'arrêt relevait que la locataire de l'appartement où la chose à l'origine du dommage avait été déposée, en avait conservé la garde. Cette décision est cassée dès lors que la locataire n'était pas poursuivie et ne pouvait être déclarée civilement responsable du prévenu en vertu de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil. Au surplus, il est reproché à la cour d'appel de ne pas s'être expliquée sur les bénéficiaires de la garantie de l'assureur (Crim., 26 février 2013, n°11-84.962).
Procédure d'intervention de l'assureur
La personne dont la responsabilité civile est susceptible d'être engagée à l'occasion d'une infraction d'homicide ou de blessures involontaires est tenue de préciser le nom et l'adresse de son assureur ainsi que le numéro de sa police d'assurance. La victime est tenue à la même obligation lorsque le dommage qu'elle a subi peut être garanti par un contrat d'assurance. Ces renseignements sont consignés dans les procès-verbaux d'audition. Ce dispositif permet la mise en cause de l'assureur de l'auteur de l'infraction par la victime devant la juridiction répressive. L'assureur appelé à garantir le dommage est admis à intervenir et peut être mis en cause devant la juridiction répressive, même pour la première fois en cause d'appel, ce qui le prive du double degré de juridiction.
Dix jours au moins avant l'audience, la mise en cause de l'assureur est faite par toute personne qui y a intérêt au moyen d'un acte d'huissier ou d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, qui mentionne la nature des poursuites engagées, l'identité du prévenu, de la partie civile et, le cas échéant, de la personne civilement responsable, le numéro des polices d'assurance, le montant de la demande en réparation ou, à défaut la nature et l'étendue du dommage, ainsi que le tribunal saisi, le lieu, la date et l'heure de l'audience. L'inobservation de ces formes et délais prévus par l'article 388-2 du code de procédure pénale est sanctionnée par l'inopposabilité à l'assureur non intervenu aux débats de la décision sur les intérêts civils (Crim., 22 janvier 1997, Bull. n°23). C'est ce qu'indique d'ailleurs l'article 388-3 qui dispose que la décision concernant les intérêts civils est opposable à l'assureur qui est intervenu au procès ou a été avisé dans les conditions prévues par l'article 388-2. Dans l'éventualité où ces conditions ne sont pas respectées, il est fait grief aux intérêts de l'assureur et la décision prise en violation de ses droits ne peut lui être opposable.
Les assureurs ne peuvent se présenter en personne. L'article 388-1 du code de procédure pénale les oblige à se faire représenter par un avocat. Le ministère d'avocat est obligatoire en matière pénale à l'égard des assureurs, alors qu'il ne l'est pas pour l'auteur de l'infraction ou la partie civile ainsi que le civilement responsable quel que soit le stade de la procédure. Par le biais de son avocat, l'assureur déposera des conclusions dans lesquelles il peut contester la responsabilité de l'assuré et auteur de l'infraction, présenter des observations sur le préjudice dont la partie civile demande réparation, sur sa réalité, sur son montant, sur son lien de causalité avec l'infraction qui doit être direct et certain, les juridictions pénales étant réputées plus strictes sur ces différents points que les juridictions civiles, sous réserve de la volonté émise d'harmoniser les décisions en ce domaine au stade des cours d'appel.
La qualification de l'infraction
L'assureur peut aussi débattre de la qualification des infractions, ce point étant important pour ce qui concerne les modalités de son intervention qui peut être forcée. Ainsi la Cour de cassation en a-t-elle décidé dans une espèce où un prévenu avait été condamné du chef d'homicide involontaire et délit de fuite à la suite d'un accident de la circulation et a été déclaré entièrement responsable du préjudice causé aux ayants-droit de la victime. La décision sur l'action civile avait été déclarée par le jugement opposable à l'assureur du véhicule conduit par le prévenu. La cour d'appel a admis, à bon droit, la recevabilité de l'appel de l'assureur en retenant que ce dernier, comme la partie civile, est recevable à remettre en cause le jugement notamment quant à la qualification des infractions (Crim., 8 janvier 2008, Droit pénal 2008, n°3, commentaire p. 41).
Quid de la garantie ?
Autre argument qu'il peut opposer aux parties au procès pénal, les limitations, les exclusions et exceptions de non-garantie qui ont pour effet qu'il ne couvre pas le sinistre. L'article 385-1 du code de procédure pénale dispose à ce sujet que ces exceptions doivent être présentées avant toute défense au fond, à peine de forclusion. Si l'assureur présente une telle exception après avoir exposé ses prétentions sur le fond, cette exception ne sera pas débattue et sera rejetée. Mais il peut présenter une telle exception pour la première fois en cause d'appel s'il n'a pas comparu devant la juridiction du premier degré (Crim., 15 décembre 1987, Bull. n° 481). Cette forclusion ne concerne que l'action civile engagée devant la juridiction pénale et ne s'oppose pas à ce qu'un assureur invoque contre son assuré devant la juridiction civile une cause de non-garantie, sans toutefois que puissent être remises en question les obligations de l'assureur envers la victime (Civ. 2e, 12 mars 2009, n° 07-20.403). L'article 385-1 précise que l'exception de garantie doit être fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurance et tendant à mettre l'assureur hors de cause. Elle n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie à l'égard des tiers. Il appartient au juge répressif d'apprécier les arguments de l'assureur et d'interpréter les clauses du contrat.
Ainsi, un assureur intervenu dans une procédure d'homicide involontaire avait invoqué la nullité du contrat en faisant valoir que le prévenu ne l'avait pas informé que, avant l'accident, il avait été condamné pour conduite en état d'ivresse manifeste. Cette exception de non-garantie avait été écartée du fait que les conditions générales du contrat souscrit par le prévenu n'impliquaient pas suffisamment, pour un assuré moyennement avisé, qu'une conduite en état d'ivresse, en l'absence d'accident, aggravait les risques ou en créait de nouveaux. La Cour de cassation considère que cette décision est justifiée d'où il résultait que l'omission de l'assuré n'avait pas de caractère intentionnel (Crim., 21 septembre 2010, n° 09-88.545).
Le juge pénal apprécie la validité de l'exception de non-garantie reposant sur une nullité de contrat nécessitant d'établir une réticence ou une fausse déclaration commise par l'assuré avec l'intention de tromper l'assureur. S'il ne verse pas aux débats le questionnaire rempli par l'assuré à la souscription, le juge estime qu'il n'était pas en mesure d'apprécier l'intention frauduleuse de l'assuré et il rejette l'exception (Douai, ch. correctionnelle, 3 avril 2009, JurisData 2009-378213). Le juge pénal peut être amené à apprécier la pertinence des questions posées à l'assuré dans ce formulaire rédigé par l'assureur (Crim., 15 mai 2012, n°11-85-420). Il recherchera si le souscripteur avait renseigné le formulaire de déclaration du risque et dans l'affirmative d'examiner son contenu et les réponses faites aux questions posées par l'assureur (Crim., 27 janvier 2009, n° 08-81.257). Il jugera selon son pouvoir souverain d'appréciation de la bonne foi de l'assuré lors de la déclaration du risque (Crim., 29 janvier 2013, n°12-80.116). La juridiction répressive appréciera la régularité d'une procédure de résiliation de garantie pour non paiement de prime (Crim., 17 novembre 2009, n°09-81.017).
Si l'assureur soulève un moyen tendant à réduire l'indemnité revenant à la victime, la juridiction répressive n'est pas compétente, par exemple lorsque l'assureur invoque une limitation de la garantie ou d'une franchise. Il en est ainsi quand l'assureur prétend appliquer une réduction proportionnelle lorsque l'assuré a commis une fausse déclaration non intentionnelle. C'est alors à la juridiction civile de trancher la question. Le juge pénal condamnera l'assureur à indemniser, à charge pour ce dernier de demander à l'assuré de rembourser la différence (voir en ce sens : Crim., 26 avril 1987, JA 1988, p. 27 ; Crim., 2 février 1988, JA 1988, p. 264). Mais lorsqu'il est établi que le dommage n'est pas garanti par l'assureur prétendu, celui-ci est mis hors de cause par le tribunal. A noter que lorsque l'assureur régulièrement mis en cause devant le juge pénal s'abstient d'intervenir, il est réputé renoncer à toute exception qui sera alors déclarée irrecevable s'il en invoque une, même avant toute défense au fond par exemple en appel.
A l'audience, l'assureur intervenant au procès pénal a le droit de poser des questions au prévenu, à la partie civile et à toute personne appelée à la barre. Il peut déposer des conclusions par le biais de son avocat, présenter ses observations et exercer les mêmes voies de recours que le civilement responsable et la partie civile. L'appel se limitera aux dispositions civiles du jugement ainsi qu'à l'application de sa garantie. Il a été admis qu'il puisse contester en appel la qualification de l'infraction dont dépend son intervention.
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