La circulation internationale et ses pratiques
Les accidents de la circulation qui ont un caractère international entraînent une complexité juridique tenant aux écarts entre les législations et à l’existence de conventions internationales pour régir ces situations contentieuses. Rien de mieux en la matière qu’une explication par l’exemple.
«Un piéton est un Monsieur qui va chercher sa voiture », écrivait Frédéric Dard, érigeant ainsi la circulation automobile en véritable phénomène de société. Avec près de un Européen sur deux motorisé et un réseau autoroutier européen ayant triplé de taille ces trente dernières années, la circulation automobile n’est plus bornée par les frontières de notre pays. Dès lors, comment réagir face à un sinistre transfrontalier ? Qui contacter ? Quelle est la loi applicable à l’accident ? Quel est le tribunal compétent ?
« Tout automobiliste français ayant souscrit un contrat d’assurance de responsabilité civile peut se rendre dans les autres pays membres du système carte verte grâce à son attestation nationale, qui fait également office de carte verte internationale. »
« La convention sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation, conclue à La Haye le 4 mai 1971, prévoit que la “loi applicable est la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu“. »
Rien n’étant plus contagieux que l’exemple, prenons celui d’un accident survenu en France, entre un véhicule immatriculé en Bulgarie et un véhicule immatriculé en France. Partons du postulat que l’accident a été causé par le conducteur bulgare. Que va faire la victime française ?
Elle va, bien entendu, déclarer l’accident à son assureur et lui confier son recours dans le cadre de la garantie défense-recours. Certes, son assureur peut s’adresser directement à l’assureur du véhicule bulgare, mais il risque de se heurter à des difficultés d’ordre linguistique et juridique, se voyant dans l’obligation d’expliciter la loi du 5 juillet 1985 à son homologue bulgare.
Système de la carte verte
C’est ici qu’intervient le système de la carte verte. Fondé en 1949, il a deux objectifs.
Faciliter la circulation internationale en évitant aux automobilistes d’un pays membre du système se rendant dans d’autres pays membres d’avoir à souscrire un contrat d’assurance à chaque passage de frontière, dans la mesure où ils sont assurés dans leur propre pays. Ainsi, tout automobiliste français ayant souscrit un contrat d’assurance de responsabilité civile peut se rendre dans les autres pays membres du système carte verte (47 à ce jour) grâce à son attestation nationale d’assurance, qui fait également office de carte verte internationale, sans avoir à s’acquitter d’une prime complémentaire (et sous réserve que la case du pays en question ne soit pas barrée).
Garantir que les victimes d’accidents de la circulation causés par un automobiliste d’un pays membre du système carte verte soient indemnisées selon les dispositions régissant l’assurance obligatoire de responsabilité civile automobile dans le pays de survenance de l’accident. Afin de faciliter l’indemnisation de ces victimes, le système carte verte prévoit la mise en place de correspondants. Tous les assureurs des 47 pays membres du système ont ainsi dû désigner, dans les 46 autres pays membres, un correspondant chargé de gérer les sinistres pour leur compte.
Dans notre exemple, l’assureur de la victime française peut ainsi saisir le correspondant français de l’assureur bulgare, ce qui va grandement faciliter la gestion du dossier, l’obstacle de la langue étant par là même vaincu. Le correspondant va être en relation avec l’assureur recours d’un côté et mener les discussions avec l’assureur bulgare de l’autre afin de gérer le sinistre pour son compte.
Si ce système a bien des mérites, il trouve toutefois ses limites en cas d’accident dont serait victime un ressortissant français hors de son pays. En effet, le système carte verte ne s’applique qu’en cas d’accident causé par un véhicule étranger sur le territoire national. La responsabilité civile de l’assuré étranger doit être engagée. Lorsqu’un automobiliste français est victime, en Allemagne, d’un accident causé par un automobiliste allemand, le système carte verte n’est pas applicable. La responsabilité civile engagée est celle de l’assuré allemand, qui n’est bien entendu pas étranger dans son propre pays. Comment faire face à ce vide juridique ? Comment la victime française va-t-elle être indemnisée ?
La 4e directive automobile
La réponse a été apportée par la 4e directive automobile (directive 2000/26/CE du 16 mai 2000) (1), qui a mis en place des représentants chargés du règlement des sinistres. Pendants des correspondants dans le système carte verte, ils sont désignés par les assureurs de chaque pays membre de l’Union européenne (27 pays membres). Chaque assureur désigne ainsi un représentant dans les 26 autres pays membres (à noter que le système carte verte est d’application plus large puisqu’il compte 47 pays). Le texte précise que le représentant dispose de pouvoirs suffisants pour représenter l’entreprise d’assurance auprès des personnes lésées et pour satisfaire intégralement leurs demandes d’indemnisation.
Il doit être en mesure d’examiner l’affaire dans la ou les langues officielles de l’État membre de résidence de la personne lésée (article 21 § 5, directive 2009/103/CE).
Dans notre exemple, l’assuré français, victime en Allemagne d’un accident causé par un automobiliste allemand, retournerait en France afin de saisir le représentant français de l’assureur allemand. Interface entre la victime et l’assureur allemand, le représentant examinera la réclamation de la victime française et gérera le sinistre pour le compte de l’assureur allemand. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue préciser que les pouvoirs du représentant s’entendaient également de son habilitation à recevoir valablement la notification d’actes judiciaires nécessaires à l’introduction d’une procédure en réparation d’un sinistre devant la juridiction compétente (CJUE, 10 octobre 2013, C-306/12 – Spedition Welter GmbH).
Maintenant que les bases sont posées, compliquons encore un peu le cas pratique. Imaginons un automobiliste roumain, venu en France pour acheminer de la marchandise, qui n’observe pas une priorité à droite et entre en collision avec un automobiliste espagnol. Quel est le régime applicable ? Celui de la carte verte ou celui de la 4e directive automobile ? En réalité, la victime a le choix. La responsabilité civile de l’assuré roumain est engagée puisqu’il a causé un accident sur le territoire français. La victime espagnole peut donc saisir le correspondant français de l’assureur roumain. Mais étant victime d’un accident de la circulation hors de son pays, le ressortissant espagnol peut également retourner en Espagne et saisir le représentant espagnol de l’assureur roumain. Cette dualité de régimes a-t-elle une incidence sur la loi applicable ? Le fait de s’adresser au correspondant ou au représentant a-t-il des conséquences sur la loi qui sera en définitive appliquée ?
La loi applicable
En matière extra-contractuelle, on observe depuis le XIIe siècle et l’école italienne une suprématie de la loi du lieu de l’accident (lex loci delicti). Cette solution a été consacrée en France en 1948 par l’arrêt Lautour (Civ. 1re, 25 mai 1948, D. 1948, p. 357). Ce principe de l’application de la lex loci delicti a d’ailleurs été repris par la Convention sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, conclue à La Haye le 4 mai 1971 (dont la France est signataire). Elle prévoit en effet dans son article 3 que « la loi applicable est la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu ». Par exception, lorsque tous les véhicules sont immatriculés dans le même pays, la loi de ce pays s’applique. Toutefois, certains États européens, dont la Roumanie et l’Allemagne, n’ont pas ratifié cette convention.
Pour ces États, la loi applicable en matière d’accidents de la circulation est définie par le règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit règlement Rome II.
Le règlement Rome II adopte, tout comme la Convention de La Haye, le principe de l’application de la lex loci delicti en son article 4 §1, qui prévoit l’application de la loi « du pays où le dommage survient […] quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ».
Ce texte prévoit toutefois deux exceptions : lorsque le responsable et la victime ont leur résidence habituelle dans le même pays, la loi de ce pays s’applique. Il en va de même s’il existe un lien manifestement plus étroit avec ce pays.
Dans notre exemple, l’accident a eu lieu en France, entre un ressortissant roumain et un ressortissant espagnol. L’Espagne est signataire de la Convention de La Haye tandis que la Roumanie se voit appliquer le règlement Rome II.
Que l’on applique en l’espèce l’un ou l’autre de ces textes, on aboutit ici au même résultat. Le principe de la lex loci delicti conduit dans les deux cas à l’application de la loi française. Seules les exceptions diffèrent, l’une fondée sur le conducteur, l’autre sur l’immatriculation du véhicule. Si, selon Rome II (art. 4 §2), les deux conducteurs avaient eu leur résidence en Roumanie, on aurait appliqué la loi de l’État du domicile habituel commun aux deux conducteurs, à savoir la loi roumaine. Cela n’est pas sans conséquences en présence d’un préjudice corporel. En effet, les indemnités versées en droit roumain sont très largement inférieures aux montants alloués pour le même préjudice selon le droit français.
Si, selon la Convention de La Haye (art. 4), les deux véhicules avaient été immatriculés en Espagne, la loi applicable aurait été la loi espagnole. Là encore, cette solution n’est pas sans conséquences sur l’indemnité due en présence d’un préjudice corporel. En effet, alors qu’en France le montant de l’indemnité est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond, le droit espagnol comporte un barème légal révisé chaque année fixant des règles et des montants d’indemnisation devant être respectés par tous (magistrats, avocats, assureurs, etc.).
L’un des deux textes emporte toutefois primauté sur l’autre. L’article 28 §1 du règlement Rome II précise qu’il n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties et qui règlent les conflits de lois en matière d’obligations non contractuelles, ce qui est le cas de la Convention de La Haye. Ceci a par ailleurs été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2014 (Civ. 1re, 30 avril 2014, n° 13-11932). La Cour a précisé que la Convention de La Haye prévaut sur Rome II, car elle s’applique aux États membres de l’Union européenne et aux États tiers signataires, tandis que Rome II n’est opposable qu’aux premiers.
Compétence juridictionnelle
Enfin, qu’en est-il de la compétence des tribunaux ? Devant quel tribunal intenter une action en justice en cas d’accident transfrontalier ? Le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 pose le principe de la compétence du tribunal du défendeur. Toutefois, en ce qui concerne le droit délictuel, le tribunal du lieu du fait dommageable peut se déclarer compétent. En matière d’assurance, l’assureur peut être attrait devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile, ou dans un État membre où le demandeur a son domicile si les actions sont intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire. L’arrêt Odenbreit du 13 décembre 2007 rendu par la CJCE est venu préciser que la victime pouvait intenter une action directement contre l’assureur du responsable devant le tribunal de son domicile. En revanche, ce droit n’est pas reconnu à l’organisme de Sécurité sociale auquel les droits de la personne directement lésée ont été transférés par la loi, cet organisme n’étant pas considéré comme personne lésée et comme une partie économiquement plus faible qu’un assureur de responsabilité civile (CJUE, 17 septembre 2009, C-347/08, Vorarlberger Gebietskrankenkasse).
Mais si l’arrêt Odenbreit reconnaît aux juridictions du lieu du domicile de la victime le droit de connaître du litige, il ne modifie en rien la loi applicable à l’accident. Les tribunaux du lieu du domicile de la victime sont donc amenés à appliquer la loi étrangère, c’est-à-dire la loi du pays de survenance de l’accident, qu’ils connaissent nécessairement moins bien que leur propre loi. Les victimes sont ainsi indemnisées selon la loi étrangère et non selon leur loi nationale. Il n’est cependant pas déraisonnable de penser que les tribunaux du lieu de résidence de la victime ont tendance à interpréter le droit étranger au regard des critères en vigueur dans leur propre pays, faisant ainsi basculer insensiblement le régime de la lex loci vers la lex damni (loi du pays de résidence de la victime). D’autant que le considérant n° 33 du règlement Rome II permet également aux juges de tenir compte de la situation de la victime dans son propre pays. Il précise en effet que « conformément aux lois nationales en vigueur relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, et pour la quantification des dommages corporels en cas d’accident survenu hors du pays de résidence habituelle de la victime, le tribunal saisi doit tenir compte de toutes les circonstances réelles entourant cette dernière ». Il faudra attendre l’évolution de la jurisprudence afin de voir si les juges se conformeront à la lettre du texte, en appliquant strictement la lex loci delicti ou s’attacheront davantage à l’esprit, tendant à prendre en compte la réalité économique et environnementale de la victime.
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