Suicide de la victime non conductrice et recherche volontaire du dommage subi

En raison d'une volonté affichée de mettre sa vie en péril, manifestée par son comportement lors de l'accident, et de l'existence d'idées suicidaires exprimées avant l'accident, une cour d'appel peut en déduire, souverainement, que la victime avait cherché à se suicider et avait ainsi volontairement recherché le dommage subi, au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985.
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Selon l'article 3, 3e alinéa, de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, « la victime (non conductrice) n'est pas indemnisée par l'auteur de l'accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu'elle a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi ». L'intérêt de cet arrêt est de retenir l'exonération du conducteur du véhicule impliqué parce que la victime avait recherché volontairement son dommage, solution suffisamment rare, compte tenu du peu d'arrêts rendus, pour mériter d'être relevée. Par ailleurs, l'arrêt confirme que cette question relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-11 897, Bull. civ. II n° 204 ; civ. 2e, 31 mai 2000, n° 98-16 707, Bull. civ. II, n° 90). Les faits sont les suivants : le pensionnaire d'une maison de santé est heurté par un camion, alors qu'il était en promenade avec trois autres pensionnaires.

Le suicide, seule cause de l'accident

À la suite de l'accident, il décède de ses blessures. Selon le conducteur du camion, la victime a traversé la chaussée devant lui et s'est mise à sautiller sur place, à 8 mètres de son véhicule. Un autre pensionnaire a vu la victime se jeter devant le camion, tandis qu'un conducteur suivant le camion a vu la victime chahuter et traverser la route devant ce véhicule.

La question était de savoir si la victime avait manifesté, par son comportement, la volonté de se suicider. Rappelons en effet que, selon la jurisprudence, la recherche volontaire du dommage est établie dès lors que la seule cause de l'accident réside dans le suicide de la victime (civ. 2e, 24 février 1988, n° 86-19.076, Bull. civ. II n° 49). En l'espèce, si ces trois témoignages pouvaient être révélateurs d'un comportement suicidaire, ils ne suffisaient pas, à eux seuls, à établir que la victime avait voulu effectivement se suicider, manifestant ainsi la volonté de rechercher le dommage qu'elle a subi.

La victime faisait l'objet d'un suivi médical pour une maladie génératrice d'angoisse et d'anxiété. Son geste pouvait s'expliquer par une pulsion passagère et irraisonnée et non par une volonté manifeste de mettre fin à ses jours, la charge de prouver que son geste était volontaire incombant à l'assureur du véhicule. Comme le précise l'arrêt, « l'intention suicidaire ne se présume pas et doit être recherchée dans le déroulement des faits et la personnalité de la victime pour déterminer si cette dernière a eu la volonté délibérée de causer son propre dommage ».

Fort heureusement pour l'assureur du véhicule impliqué dans l'accident, les ayants droit de la victime avaient également mis en cause la maison de santé et un neuropsychiatre, probablement pour rechercher s'ils avaient commis un défaut de surveillance en laissant la victime circuler librement dans la rue compte tenu de son état de santé. Cette circonstance a permis d'avoir accès au dossier médical de l'intéressé et de mettre en évidence sa volonté suicidaire. Selon l'arrêt, « il est établi qu'il avait un vécu très sombre de sa maladie et que les idées suicidaires étaient prégnantes, tant avant son arrivée à la clinique que pendant son séjour. Si l'impulsivité a pu le pousser à mettre en acte ses idées mortifères, on ne peut pas en déduire que tout libre arbitre lui était de ce fait ôté, de manière à être privé de discernement au moment où il se trouvait face au camion ».

Il faut apprécier le comportement de la victime

La cour d'appel en a donc déduit, eu égard à la fois à son comportement mortifère au moment de l'accident et à ses idées suicidaires antérieures, que la victime avait volontairement recherché le dommage qu'elle a subi.

Pour retenir la recherche volontaire du dommage, il faut à la fois apprécier le comportement de la victime au moment de l'accident et savoir si elle avait exprimé, avant celui, des intentions suicidaires. Il faut donc réunir à la fois des éléments objectifs et des éléments subjectifs, les premiers résultant des témoignages directs sur l'accident et les seconds de témoignages indirects sur la personnalité de la victime. Ainsi, il a été jugé par exemple que :

- le comportement suicidaire de la victime résultait de la déclaration du témoin, qui rendait compte de son geste délibéré, excluant l'hypothèse d'un malaise, et de la déclaration de son épouse, selon laquelle son mari, dépressif, avait fait part plusieurs fois de son intention de mettre fin à ses jours en se jetant sous une voiture (civ. 2e, 21 juillet 1992, n° 91-13.186, Bull. civ. II, n° 218, RCA 1992, n° 415) ;

- la recherche volontaire du dommage résultait des déclarations de la veuve de la victime et des témoins, établissant qu'après une tentative de suicide la veille de l'accident, la victime s'est placée sur le couloir de circulation du véhicule qui arrivait et a continué d'avancer tout en regardant la voiture jusqu'à l'impact (civ. 2e, 31 mai 2000, n° 98-16 707, Bull. civ. II, n° 90) ;

- les conditions de l'article 3 sont réunies si la victime, pensionnaire d'un centre psychiatrique, circulant le long d'une avenue, a traversé subitement la chaussée au moment où survenait un véhicule et a ensuite déclaré aux enquêteurs qu'elle s'était sauvée de son institution avec l'intention de se suicider (civ. 2e, 8 mars 2006, n° 03-17.310).

Cette dernière affaire était plus délicate, car on pouvait mettre le comportement et les déclarations ultérieures de la victime sur le compte de son état mental, s'agissant, selon le moyen du pourvoi, « d'un aliéné qui n'a pas le discernement lui permettant de mesurer les conséquences de ses actes ». Ce moyen est écarté, parce que, notamment, « les enquêteurs de police qui ont procédé à son audition ne signalent aucune difficulté particulière rencontrée pour la prise de sa déposition ».

C'est un peu léger comme argument, mais jugé suffisant par la Cour de cassation pour relever de l'appréciation souveraine des juges du fond et non du défaut de motif. Autrement dit, le fait que la victime ait exprimé des intentions suicidaires et le fait qu'elle ait manifesté un comportement suicidaire au moment de l'accident constituent des motifs suffisants pour présumer que la victime avait eu effectivement la volonté de mettre fin à ses jours et de rechercher volontairement le dommage subi.

Le suicide conscient est exonératoire

En dehors des cas de suicide ou de tentative de suicide, est-il possible de retenir d'autres circonstances susceptibles de révéler une recherche volontaire du dommage excluant toute indemnisation ? En l'état de la jurisprudence, hormis un cas dont les circonstances sont imprécises (civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-11 897, Bull. civ. II n° 204), la réponse semble négative : jusqu'à présent, seul le suicide conscient a été admis comme exonératoire pour le conducteur du véhicule impliqué dans l'accident.

La question s'est posée à propos d'une personne participant à une manifestation sur la voie publique, qui s'était placée devant une voiture pour l'empêcher d'avancer et qui avait été blessée par son conducteur cherchant à forcer le passage. La cour d'appel a considéré qu'elle avait participé à un « attroupement illicite » et qu'en « se maintenant sur la chaussée devant une voiture dont le chauffeur se trouvait aux prises avec d'autres manifestants, elle s'est mise délibérément dans la situation de se faire blesser à l'occasion d'une réaction prévisible et légitime de fuite de ce conducteur ».

L'arrêt est cassé pour manque de base légale, car ces seuls motifs ne permettaient pas de déduire que la victime avait volontairement recherché le dommage qu'elle a subi (civ. 2e, 17 février 1988, n° 86-14.504, Bull. civ. II, n° 44). De même, est cassé l'arrêt qui a constaté qu'un passager transporté avait volontairement recherché le dommage qu'il a subi, pour avoir laissé le conducteur circuler en état d'ivresse, en zigzaguant à plus de 170 km/h, pour lui avoir passé une bouteille d'alcool fort à boire jusqu'à ce qu'elle soit vide et pour avoir omis de porter sa ceinture de sécurité (crim., 22 mai 2002, n° 01-81.773, Bull. civ. II, n° 117).

Faire abstraction du comportement du conducteur

Dans ces deux affaires, on pourrait penser que la recherche volontaire du dommage est écartée en raison du comportement du conducteur : dans le premier cas, il avait forcé le passage et heurté la victime ; dans le second cas, il avait été déclaré coupable de blessures involontaires, en état alcoolique, sur son passager. Une cour d'appel a retenu qu'une victime avait volontairement recherché le dommage subi, du fait que la seule cause de l'accident résidait dans son suicide (civ. 2e, 24 février 1988, n° 86-19 076, Bull. civ. II n° 49). Cet arrêt semble indiquer, par un raisonnement a contrario, que l'exclusion du dommage volontairement subi ne peut pas être retenue lorsque la faute du conducteur a également contribué à l'accident.

Il n'en est rien, car un autre arrêt, rendu dix ans plus tard précise bien que la recherche volontaire du dommage doit être appréciée en faisant abstraction du comportement du conducteur. Selon l'arrêt, les juges apprécient souverainement si la victime d'un accident de la circulation a volontairement recherché son dommage. Dans l'affirmative, c'est à bon droit qu'ils en déduisent, sans avoir à rechercher si l'automobiliste dont le véhicule était impliqué avait commis une faute, que les ayants droit de la victime ne pouvaient être indemnisés (civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-11 897, Bull. civ. II n° 204).

En conclusion, si dans ces deux dernières affaires, les victimes ont commis des fautes d'une grave imprudence, qui ont mis leur vie en danger, elles n'ont pas pour autant volontairement recherché leur dommage, cette recherche volontaire correspondant au seul cas du suicide en l'état de la jurisprudence. Dans ce cas, la victime ou ses ayants droit sont exclus de toute indemnisation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le conducteur a, par sa faute, contribué à la réalisation de l'accident. De même, dans le cadre de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, la faute du conducteur victime, de nature à exclure ou à limiter son indemnisation, est appréciée en faisant abstraction de la faute de l'autre conducteur (Cass. ch. mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078, Bull CM n° 1).

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