Catastrophes naturelles : en outre-mer, l'assurabilité en question
Seuls assureurs présents aujourd’hui dans les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy, Allianz, Generali et Groupama n’entendent pas se retirer, mais réexaminent les conditions auxquelles ils assurent ces territoires où la prévention des risques laisse à désirer.

Le passage d’Irma sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en septembre 2017 a ravivé des souvenirs douloureux. Ceux du dernier événement catastrophique majeur qu’elles avaient connu : l’ouragan Luis, qui avait causé 200 M€ de dommages en 1995. « Nous nous demandons si les assureurs voudront continuer leur activité sur ces îles, et à quel prix… Après le passage de Luis en 1995, MMA et Groupama avaient disparu du jour au lendemain… », témoignait ainsi, après le passage de l’ouragan, le courtier François Anton, établi depuis 30 ans à Saint-Martin.
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En 1995, les vents cycloniques n’étaient pas encore couverts par le régime cat’nat’ et les assureurs, plombés par cette forte sinistralité, ont alors sérieusement reconsidéré leur présence dans ces îles. Axa France n’assure plus aujourd’hui que « quelques risques d’entreprises sur Saint-Martin et Saint Barthélemy », la « majorité de son portefeuille » se concentrant sur la Guadeloupe et la Martinique. « Il est vrai qu’après l’ouragan Luis, nous avons décidé d’adopter une approche plus sélective en matière de souscription sur la partie risques entreprises sur les Antilles », confirme la compagnie qui détient aujourd’hui 15 % de parts de marché sur l’ensemble des Antilles et la Guyane.
Bis repetita ? Selon des sources de marché, Groupama serait en train de « revoir ses conditions de souscription » sur ces îles. De même, Generali France n’entend pas remettre en cause sa présence sur ces territoires où il opère via sa filiale GFA Caraïbes. « Mais nous serons plus sélectifs sur les risques, prévient Thierry Gaudeaux, directeur du pilotage outre-mer de Generali France. Nous avons assuré des biens que nous n’aurions pas dû assurer. » « À Saint-Martin, le poumon économique est le tourisme, dynamisé notamment par des lois de défiscalisation attractives. Beaucoup de constructions ont été érigées en bord de plage au mépris des lois sur le littoral », explique en effet l’architecte Benoît Grandet.
Même son de cloche chez Allianz France, qui n’entend pas se retirer de ce marché. Mais « Irma a mis en évidence une fragilité : il faut promouvoir la culture du risque sur ces îles », concède Gorette Plana, directrice outre-mer d’Allianz France. « Les habitants se protègent d’abord eux-mêmes ainsi que leurs automobiles, mais ils ont moins le réflexe de protéger leurs maisons. Il faut ancrer dans la culture du risque des pratiques simples comme le fait de revisser régulièrement les tôles de couverture. Plus ce travail sera fait, plus les risques seront assurables », ajoute Thierry Gaudeaux.
À cette fin, la Fédération française de l’assurance (FFA) vient de créer un groupe de travail chargé de réfléchir aux « conditions d’une assurance pérenne en outre-mer », a-t-elle annoncé à L’Argus de l’assurance. « À Saint-Martin, les assureurs historiques vont maintenir leur présence, mais nous allons étudier les conditions dans lesquelles ces territoires ultramarins peuvent continuer à être assurables. Nous nous penchons sur cette question pour les Antilles, la Guyane et la Réunion », explique Stéphane Pénet, directeur assurance de biens et de responsabilité de la FFA.
Des normes spécifiques
Il s’agit notamment d’étudier si ces îles sont équipées de plans de prévention bien adaptés aux risques auxquels elles sont exposées, mais surtout bien appliqués ! « Le Plan de prévention des risques naturels (PPRN) à Saint-Martin date de 2011, il est du ressort du préfet, tandis que le plan de localisation urbaine (PLU) est du ressort de la collectivité d’outre-mer, qui dispose d’une forte autonomie statutaire. Le PPRN n’est donc pas nécessairement intégré dans le PLU », précise Stéphane Pénet. « Si on reconstruit à l’identique, les conséquences seront les mêmes. La profession et les pouvoirs publics territoriaux doivent agir là-dessus », martèle Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR). La FFA déclare explorer la solution d’une « norme de construction spécifique ». « Nous allons faire des propositions en ce sens notamment avec l’Agence qualité construction », déclare Stéphane Pénet. « Il existe déjà des normes spécifiques pour ces territoires concernant la pose de volets anticycloniques ou encore l’amarrage des toitures. Le plus important est de contrôler leur bonne application », réagit Gorette Plana.
Plus sélectifs
La balle est désormais dans le camp de la profession. Le régime cat’nat’ est plus généreux en outre-mer, où il couvre depuis 2000 les dégâts provoqués par les vents cycloniques, alors que ces derniers ont été sortis du régime légal en 1990 pour la métropole. Le système a ses vertus : la CCR a pris en charge 80 % de la sinistralité causée par Irma. « Sans l’existence du régime de catastrophes naturelles, nous ne pourrions nous maintenir sur ces îles », confesse un assureur. Toutefois, les rares assureurs présents n’entendent plus supporter seuls la charge de ces risques de pointe. « L’État doit s’assurer de maintenir les conditions de la solidarité nationale envers ces territoires. Il y a très peu d’assureurs à Saint-Martin : si nous sommes contraints de prendre des risques non assurables, le coût va être insupportable. Sans ce système de solidarité nationale, je ne vois pas quel assureur responsable pourrait prendre des risques en outre-mer ! », s’exclame Thierry Gaudeaux. « Les assureurs présents en outre-mer sont pris en étau entre l’application du taux de prime unique quel que soit le risque et la CCR qui ne mutualise pas cette exposition spécifique auprès de tous les assureurs français. Il est donc indispensable que la CCR joue pleinement son rôle de service public en mutualisant les risques sous peine de voir des acteurs présents outre-mer se retirer, ce qui irait à l’encontre des objectifs du gouvernement et de la profession », ajoute Groupama. L’alerte est lancée.
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