L’inspection, lien humain entre assureurs et courtiers
Journées du courtage 2018 Denis Stainier

L’inspecteur joue un rôle plus stratégique que jamais à mesure que la distribution se digitalise : il porte la voix de sa compagnie et fait remonter, en retour, les attentes des courtiers.
« L’inspecteur est un souscripteur qui va sur le terrain », explique Norbert Girard, secrétaire général de l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance (OEMA) quand il veut résumer les changements à l’œuvre dans le domaine de l’inspection. Courroie de transmission entre les compagnies et les courtiers, les inspecteurs restent, certes, des commerciaux. Mais avec une expertise de plus en plus pointue. Le cliché de l’inspecteur hâbleur, dont les déjeuners d’affaires s’étirent jusqu’au milieu de l’après-midi, a fait son temps. « La dimension humaine de la relation reste toujours primordiale, observe Joël Mottier, président de la fédération CFE-CGC de l’assurance et inspecteur chez Axa. Mais dans le contexte actuel d’inflation réglementaire, les inspecteurs jouent un rôle essentiel dans la transmission et la sensibilisation aux enjeux de conformité. » Ils doivent donc avoir une véritable expertise technique et réglementaire, qui cadre mal avec la volonté périodiquement affichée par certaines compagnies de fondre les inspecteurs dommages et vie, réseaux de courtage et d’agents généraux, dans un même creuset.
« Les compagnies ont envie d’inspecteurs polyvalents et experts en tout, poursuit Joël Mottier. À mes yeux, c’est un contresens : je crois davantage à l’expertise et à la compétence technique. » Cette montée en compétences apparaît d’ailleurs de manière limpide dans le portrait-robot de l’inspecteur dressé par l’OEMA : les Bac+5 représentent aujourd’hui 19,5% de la profession… mais plus d’un tiers des nouveaux entrants (34,1%). Les embauches à des niveaux Bac ou Bac+2 ne sont, elles, plus guère possibles, du moins pour les recrutements externes. Car « la promotion interne reste très importante dans cette catégorie de métiers », note l’OEMA.
Portrait-robot de l’inspecteur
- Effectifs : autour de 6 000 inspecteurs (5 976 en 2016)
- Âge : 48,7 ans, dont 17,5 ans d’ancienneté
- Sexe : 74,7% d’hommes, 26,3% de femmes (+2,1 points par rapport à 2011)
- Niveau de formation : 19,5% de Bac+5, 15% de Bac+3/4, 26,5% de Bac+2, 39% de niveau Bac ou infra Bac
- Nouveaux entrants : autour de 3% par an (3,6% en 2016)
- Management : 31,2% des inspecteurs encadrent au moins deux personnes
- Fonctions : 78,6% d’inspecteurs commerciaux, 8,6% d’inspecteurs techniques
- Courtage : 1 354 inspecteurs commerciaux
- Rémunération : 85 000 € bruts annuels en moyenne. De 60 000 € pour les juniors à 200 000 € pour les inspecteurs de haut niveau.
Source : étude sur les métiers de l’inspection publiée par l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance en mars 2018
Des nouveaux profils
La profession semble toutefois s’ouvrir à de nouveaux profils : alors que l’âge moyen tourne autour de 48 ans, le groupe Klésia intègre des inspecteurs assez jeunes, « de préférence avec une expérience dans le courtage ou la souscription », explique Denis Stainier, directeur général adjoint. Le dirigeant de Klésia plaide toutefois pour une certaine diversité : « Il n’existe pas plus de profil universel d’inspecteur que de profil universel de courtier. Avec les courtiers de proximité, les inspecteurs sont plutôt dans le conseil et l’animation commerciale. Mais dans le grand courtage, les inspecteurs doivent avoir une culture technique solide : il faut une véritable expertise pour vendre des contrats collectifs de santé ou prévoyance sur mesure. »
Loquace sur le profil des inspecteurs, Denis Stainier est nettement moins disert en revanche quand on l’interroge sur les effectifs d’inspecteurs de Klésia : « C’est une information sensible au plan concurrentiel. Nous ne disons pas de combien de divisions nous disposons.» Il n’est pas le seul. Sur les 20 compagnies que nous avons interrogées, une seule a bien voulu lever le voile sur son équipe d’inspection : Allianz France dispose de 77 inspecteurs pour animer son réseau de 3 400 courtiers. La nouvelle organisation de la filiale de l’assureur allemand, mise en œuvre au 1er septembre 2017, a été entièrement repensée dans une logique de valorisation des cabinets à potentiel. « Nous avons fait le constat que sur nos 3 400 cabinets partenaires, un quart seulement assure 95% du chiffre d’affaires d’Allianz Courtage, explique Franck Le Vallois, membre du comité exécutif en charge de l’unité Distribution. Nous avons donc décidé de transformer les modes d’animation des courtiers en calculant le potentiel de chacun des cabinets. » Leur profil a été analysé et évalué à l’aune de deux critères : « Leur potentiel de développement commercial et leur sensibilité à l’animation présentielle (à savoir le rapport entre le nombre d’interactions et la croissance observée du chiffre d’affaires). ».
Résultat, chez Allianz France, l’inspection debout va désormais concentrer son travail d’animation sur les 800 courtiers qui ont du potentiel et/ou ont fait la preuve de leur sensibilité à la présence physique de leur inspecteur. Ils se verront proposer trois niveaux de service : Exclusif (pour les 70 Top courtiers), Premium (250 cabinets) et Privilège (500 cabinets). Parallèlement, une équipe d’une vingtaine d’inspecteurs assis (environ un quart de l’inspection) animera à distance les 2 600 autres cabinets. À distance, mais proche du terrain : Allianz a créé sept délégations régionales. « Nous avons testé cette animation à distance pendant deux ans avec une équipe de quatre personnes. C’est un dispositif qui a démontré toute sa pertinence sur les risques de particuliers », commente Franck Le Vallois. Cette organisation suscite toutefois des réserves chez les inspecteurs et les courtiers que nous avons interrogés. Franck Le Vallois leur répond point par point : « Nous constatons depuis deux ans que pour les marchés standards, sur lesquels les courtiers recherchent avant tout de la simplicité et de bonnes garanties au bon prix, l’animation commerciale à distance conduit à une meilleure croissance du chiffre d’affaires que l’animation présentielle ». De plus, elle rend les inspecteurs plus disponibles : « C’est un dispositif qui favorise la réactivité de nos équipes commerciales. Le courtier peut solliciter son inspecteur autant que de besoin. Il aura davantage de chances d’obtenir une réponse immédiate. » Enfin, cette transformation permet à Allianz de concentrer ses efforts d’animation sur les courtiers à potentiel, y compris s’ils ne sont pas encore codés.
Privilégier l’humain
Inspecteur chez Generali, Éric Daumas s’avoue perplexe : « Vu du cabinet d’un courtier, les compagnies ressemblent à des citadelles imprenables. Nous sommes le seul véritable lien entre les deux. » La dimension humaine de son métier lui semble absolument essentielle : « Les compétences techniques et commerciales sont un prérequis. Mais nous sommes aussi là pour mettre du liant. À tarif et niveau de commissionnement équivalent, comment un courtier choisit-il une offre plutôt qu’une autre ? Par la confiance que la compagnie lui inspire et la certitude qu’en cas de problème, son inspecteur sera là, joignable à tout moment. » C’est un métier subtil, « qui requiert une certaine maturité, estime Éric Daumas. Nous sommes dans une position de médiateur : à nous de trouver le bon équilibre, de savoir rester à la juste place, à mi-chemin entre le courtier et l’assureur. » L’inspecteur fustige au passage « un monde gouverné par les contrôleurs de gestion qui ne veulent voir que les chiffres. Que les compagnies pensent à l’équilibre technique des contrats, c’est tout à fait légitime. Mais ne réduisons pas la fonction commerciale à la distribution ! » Diffuser des plaquettes, remplir des tableaux Excel, faire du reporting, ce n’est pas sorcier.
Jérôme Brette (Cogessur, Anov Courtage) : « Les histoires humaines fondent la relation commerciale »
« Les compagnies laissent de moins en moins de marge de manœuvre à leurs inspecteurs, qui n’ont plus vraiment la possibilité de faire un geste commercial, d’ajuster un tarif ou des conditions de souscription sans en référer à leur direction technique. Il y a, bien entendu, des différences culturelles entre compagnies ; mais plus aucune ne laisse d’autonomie à ses inspecteurs. Ces derniers devraient pouvoir décider, au regard du S/P ou de la relation commerciale construite avec un courtier, d’accorder une faveur ou un service sans avoir besoin d’aller en «mendier» ?la possibilité auprès de leur direction. Il ne faut pas oublier que ce sont des histoires humaines qui fondent une relation commerciale : sans ces inspecteurs qui ont cru en moi, qui m’ont parfois donné un coup de main, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Et je sais m’en souvenir quand, à leur tour, ils ont besoin de mon aide.»
Adopter la bonne attitude
Un inspecteur, selon Éric Daumas, c’est bien plus que cela : « Nous sommes des agrégateurs de connaissances et de compétences. En contact permanent avec le terrain, nous comprenons les facteurs clés de succès d’une offre, les atouts de la concurrence et nous pouvons aider les équipes techniques à mieux calibrer certains produits. »
Contact humain versus rationalisation ? Le débat reste ouvert. « Nous nous assurerons chaque année que le mode d’animation dont bénéficie chaque courtier est approprié au regard des résultats commerciaux observés. C’est un modèle dynamique dans lequel chaque courtier pourra voir son niveau de service évoluer », annonce Franck Le Vallois. Rendez-vous en septembre 2018 pour dresser un premier bilan.
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