Les experts à l'épreuve d'une catastrophe naturelle hors norme
ESTELLE DURAND
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ESTELLE DURAND
Le 27 février 2010, les experts de l'Ouest sont sur le qui-vive. La Charente-Maritime, les Deux-Sèvres, la Vendée et la Vienne sont en alerte rouge. Si la profession se doute qu'elle aura à gérer un pic d'activité, elle ne soupçonne pas encore le caractère exceptionnel de l'événement climatique qui s'annonce et les répercussions qu'il aura à leur niveau. Très vite, les cabinets d'expertise des départements les plus touchés - Charente-Maritime et Vendée - enclenchent leurs plans catastrophes naturelles et font venir des renforts de toute la France.
Solidarité entre experts
« Le flux de missions a été extrêmement rapide et important », observe Thierry Jean, du bureau Atlantique-Aquitaine d'Elex. De 16 personnes en temps normal, les effectifs de ses bureaux de La Rochelle et de Bordeaux sont passés à 80 personnes dans les semaines qui ont suivi. « Nos structures nationales et l'expérience acquise lors de précédents événements climatiques nous ont permis de réagir rapidement et de mettre en place l'organisation nécessaire », ajoute Didier Bossard, de Polyexpert Atlantique.
Moins structurés, les experts libéraux en automobile ont embauché ou fait jouer la solidarité. Le cabinet Lacarrière, situé près de La Rochelle, a ainsi recruté une secrétaire et trouvé appui auprès de confrères qui ont dépêché des experts sur place ou mis à disposition des ressources pour traiter des missions à distance.
Les experts ont su tirer les leçons des événements climatiques précédents, mais il leur a fallu faire face aux spécificités de cette catastrophe. L'ampleur et la nature des dégâts provoqués par la submersion marine ont entraîné des contraintes logistiques et techniques particulières : accès difficile à certains sites (bâtiments inondés et résidences secondaires), risques d'aggravation des dommages liés à l'effet du sel (corrosion, apparition de salpêtre), problèmes de disponibilité des artisans locaux... Des conditions qui « ne sont pas satisfaisantes d'un point de vue technique, note Didier Bossard, parce que plus nous tardons à intervenir, plus la situation risque de se dégrader ».
Compétences techniques et capacité d'écoute
Problème supplémentaire pour les experts en automobile : le manque de place pour parquer les nombreux véhicules endommagés par l'eau de mer, irréparables pour la plupart. « Il a fallu réquisitionner le parc des expositions de La Rochelle pour en stocker une partie », se souvient Loïc Lacarrière, qui a traité 2 600 véhicules non réparables, soit autant qu'en deux ans. L'importance des dommages liés à l'inondation a eu un impact direct sur le montant des sinistres (21 286 € en moyenne pour les dossiers relevant du régime cat' nat', contre 1 690 € pour la garantie tempête), donc sur l'organisation des équipes. « La nature des missions a nécessité l'intervention d'experts chevronnés, explique Thierry Jean, alors que dans le cas de tempêtes comme Klaus tous les profils sont mobilisés. »
Faire appel à des personnes expérimentées était d'autant plus important que certains assurés ont connu des situations dramatiques. « J'avais donné consigne aux équipes de passer le temps nécessaire auprès des sinistrés », indique Christian Largeau, du bureau niortais de Texa. Malgré la charge de travail et les difficultés techniques ou logistiques, chaque visite nécessitait une phase d'écoute importante. « Les experts ont vécu des moments forts. Certains resteront marqués par les récits qu'ils ont entendus », souligne Christian Largeau.
Jongler entre les priorités
À la dimension émotionnelle s'est ajoutée la pression politique et médiatique, liée à l'instauration des zones noires, à l'incertitude quant aux modalités d'indemnisation des personnes concernées par les procédures d'acquisition à l'amiable et aux délais fixés par les pouvoirs publics pour expertiser leur habitation. « D'un point de vue technique et économique, il était plus logique de traiter en priorité les particuliers qui pouvaient se réinstaller dans leur maison ou les professionnels afin qu'ils reprennent leur activité au plus vite », souligne Didier Bossard. Malgré les contraintes, les experts ont respecté les délais. Au sein de la profession aussi, Xynthia aura laissé des traces. Dont les experts tirent aujourd'hui les leçons pour améliorer encore leur approche des événements climatiques à l'avenir.
Techniciens et pédagogues
- Premiers interlocuteurs avec les intermédiaires à rencontrer les sinistrés sur le terrain, les experts doivent, outre leur rôle technique, répondre aux interrogations des assurés par rapport à leurs contrats. Les différences de prise en charge liées aux régimes d'indemnisation (cat' nat' ou tempête) ainsi que les gestes commerciaux des assureurs - certains remboursant les frais de relogement non prévus dans le régime cat' nat' - n'ont pas facilité leur tâche. Ces écarts detraitements « sèment le doute dans l'esprit des assurés », note Didier Bossard. Une situation dont les assureurs ont pris conscience. La Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a fait récemment plusieurs propositions pour améliorer le régime cat' nat', dont l'introduction d'une indemnisation spécifique de relogement.
Des cellules de crise multidisciplinaires
- Comme c'est désormais l'usage après une catastrophe naturelle, dans les jours qui ont suivi la tempête Xynthia, le médiateur national des assurances, Yann Boaretto, a mis sur pied des cellules réunissant les pouvoirs publics et les professionnels de l'assurance. Pendant plusieurs mois, services préfectoraux, élus locaux, représentants de la FFSA, du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances (Gema), des banques et experts ont travaillé main dans la main afin de coordonner leurs actions et suivre les dossiers les plus difficiles. « Lors de ces réunions régulières, nous avons appris à nous connaître », explique Didier Bossard, de Polyexpert, qui a participé à la cellule mise en place en Vendée. Ces échanges ont permis aux experts de prendre la mesure des responsabilités incombant aux préfets et de sensibiliser les pouvoirs publics à leurs impératifs techniques.
XYNTHIA : Les chiffres clés
- 470 000 sinistres
Répartition par types de garanties
- Régime catastrophes naturelles : 35 000
- Garantie tempête : 435 000
Répartition par types de dommages
- Dommages aux biens des particuliers : 358 500
- Automobile : 33 000
- Dommages aux biens des professionnels : 78 500 (dont 35 200 pour le secteur agricole)
Nombre de maisons endommagées :
- Charente-Maritime : 5 000
- Vendée : 1 000
Part des sinistres réglés en partie ou totalement au 31 décembre 2010
- Charente-Maritime : 74%
- Vendée : 74%
Coût
- 1,48 Md€ (brut de réassurance)
Répartition du total des indemnités versées
- Charente-Maritime : 37,6%
- Vendée : 16,4%
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