Santé – Données – Expérimentations : Vers une nouvelle ligne de partage entre base et facultatif ?
Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie évoque la possibilité de déléguer aux assureurs complémentaires la gestion du risque pour les postes très faiblement pris en charge par l'Assurance maladie (dentaire, optique...). Cela exigerait un meilleur accès des complémentaires aux données médicales.
ÉDITH BOCQUAIRE, STYL CONSULTANTS
Dans son avis et rapport du 18 juillet 2013 concernant la généralisation de la complémentaire santé, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) propose, outre des pistes purement financières, une nouvelle articulation entre l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC).
Vers une délégation partielle de la gestion du risque ?
Au-delà d'une définition nouvelle des contrats solidaires et responsables, c'est la « gestion du risque », terme propre aux assureurs, qui pourrait être déléguée aux acteurs de la complémentaire, pour des soins faiblement pris en charge par l'AMO, comme l'optique, le dentaire, les audioprothèses (sans pour autant modifier le niveau d'intervention de l'AMO). Cela supposerait une meilleure communication des données de santé, permettant aux AMC de mieux contrôler et gérer leur risque.
Cela constitue une petite ouverture pour les assureurs, qui revendiquent depuis les expérimentations « Babusiaux » (1) de ne plus simplement être des « payeurs aveugles » et se sont d'ailleurs organisés autour de l'Union national des organismes complémentaires d'assurance maladie (Unocam) pour devenir des partenaires plus actifs du régime de base dans les négociations avec les professionnels de santé.À RETENIR
- Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie propose de confier aux complémentaires santé la gestion du risque sur les postes de soins et biens médicaux (optique, dentaire...) où la prise en charge de l'Assurance maladie est minoritaire.
- La gestion du risque en optique et dentaire suppose un plus large accès des complémentaires à des données de santé.
Ainsi, la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, Art. 36-1 a fixé de nouvelles règles sur ce sujet et indiqué dans l'exposé des motifs : « Il s'agit d'associer les organismes complémentaires d'assurance maladie à la régulation des dépenses de santé » (lire encadré).
De même, depuis l'arrêté du 22 janvier 2012 et dans le cadre de l'Institut des données de santé (IDS), les membres de l'Unocam peuvent partager des données avec l'Assurance maladie en accédant à l'Échantillon généraliste de bénéficiaires (EGB), qui recense près d'un million de personnes. Le projet Monaco (2), mené en collaboration avec l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), doit permettre de chaîner les données des régimes obligatoires et complémentaires, afin de connaître le « reste-à-charge » des patients.
Toutefois, dans sa doctrine, l'IDS veille à garantir l'accès à ces données uniquement « à des fins d'études et de recherche », et refuse tout accès dans un « but lucratif ». On est donc très loin d'un open data santé permettant aux AMC de disposer des informations nécessaires à la gestion du risque.
Pourquoi une ouverture sur les risques optique, dentaire, audioprothèses ?
Sur ces postes, la part prise en charge par l'assurance maladie obligatoire (AMO) est minoritaire. Les assureurs complémentaires ont toujours été présents sur ces risques, qui ont constitué régulièrement une part importante de leurs dépenses, avec une croissance forte, notamment en optique.
Ils ont développé un savoir-faire accru et des services. Or, ce sont des postes où le contrôle du risque est indispensable, en optique tout particulièrement, où le professionnel de santé peut chercher à saturer le plafond de garanties.
Comment les réseaux de professionnels de santé peuvent y contribuer ?
Les plates-formes contractualisent de façon sélective avec les professionnels de santé qui se sont engagés à respecter des critères prédéfinis de qualité et de tarif. Le patient qui utilise ce réseau bénéficie du tiers payant et, surtout, réduit le montant des frais engagés. Des économies de 20 à 50% par rapport aux prix de marché sont constatées, diminuant le reste-à-charge, mais aussi « moralisant » les comportements, ce qui a pour effet de maîtriser les coûts sur l'ensemble de la chaîne.
On comprend l'enjeu, une économie supplémentaire de 10% représentant 1 Md€ en dentaire et 1,2 Md€ en optique, sur la base des chiffres 2011.
L'UNOCAM DOIT SIGNER
Article L. 162-14-3 du code de la Sécurité sociale, modifié par la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, article 36 « L'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire peut participer à la négociation et à la conclusion d'un accord, d'une convention ou d'un avenant. [...] Les accords, conventions ou avenants concernant des professions ou prestations, définies par arrêté des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale, pour lesquelles la part des dépenses prises en charge par l'Assurance maladie est minoritaire, ne sont valides que s'ils sont également conclus par l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire. »
Quel accès aux données de santé sur ces risques ?
Suivre cette voie suppose que les AMC disposent impérativement des données nécessaires au contrôle de leurs risques. Les contrats offrent aujourd'hui des garanties innovantes, avec, par exemple, des prises en charge différenciées selon la correction visuelle, ou, en dentaire, selon le numéro de la dent soignée. Les feuilles de soins électroniques doivent donc être absolument plus détaillées.
D'une manière générale, l'accès aux données de santé pose problème pour les AMC du fait de la réglementation en vigueur. La loi informatique et liberté interdit, dans son article 8, la collecte et le traitement des données de santé, mais prévoit un certain nombre d'exceptions, le consentement exprès de la personne concernée n'est pour autant pas contournable. Le code de la santé public est également très exigeant vis-à-vis des professionnels de santé.
Malgré des travaux communs, comme l'élaboration de la norme OptoAMC (3) en optique, les obstacles restent significatifs. En dentaire, l'information, qui devrait être plus complète, figurant sur les devis n'est souvent ni suffisante ni tracée informatiquement.
Quelles sont les solutions possibles ?
Des solutions a minima peuvent être trouvées à la suite des expérimentations « Babusiaux », qui ont permis aux AMC d'accéder aux données détaillées de remboursement figurant dans les feuilles de soins électroniques, notamment dans le domaine du médicament : ces données étaient anonymisées et transmises aux AMC dans un cadre très sécurisé ayant reçu au préalable l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Fin 2010, cette dernière a autorisé deux grands assureurs et la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) à étendre leur expérimentation « Babusiaux » et leur a permis d'accéder de manière anonymisée aux données de santé des feuilles de soins électroniques, notamment aux codes des médicaments et à la liste des produits et prestations.
LE CONSENTEMENT DU PATIENT
Article L. 1111-8 du code de la santé publique « Les professionnels de santé ou les établissements de santé ou la personne concernée peuvent déposer des données de santé à caractère personnel, recueillies ou produites à l'occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins, auprès de personnes physiques ou morales agréées à cet effet. Cet hébergement de données, quel qu'en soit le support, papier ou informatique, ne peut avoir lieu qu'avec le consentement exprès de la personne concernée. [...] Les hébergeurs de données de santé à caractère personnel et les personnes placées sous leur autorité qui ont accès aux données déposées sont astreints au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal. [...] Tout acte de cession à titre onéreux de données de santé identifiantes, directement ou indirectement, y compris avec l'accord de la personne concernée, est interdit sous peine des sanctions prévues à l'article 226-21 du code pénal. »
Comment anonymiser les données ?
Soit le traitement se fait « sans voir », c'est-à-dire que l'algorithme de calcul de la prestation restitue, d'un côté, des données individuelles médicalisées, mais « anonymisées » dans une base statistique, et, d'un autre côté, des données individuelles nominatives expurgées de données médicalisées, mais comportant le montant du remboursement calculé à partir des données médicales.
Soit le traitement porte sur des données médicalisées nominatives avec le consentement explicite de l'assuré (lire encadré).
Dans l'absolu, pour que les données concernant l'optique, les soins dentaires et les audioprothèses soient transmises aux AMC, l'ensemble de ces dispositions impose le recueil du consentement exprès du patient ou un traitement des données par les AMC « sans voir ».
En optique et dentaire, il est nécessaire en outre que ces données soient suffisamment détaillées pour permettre le calcul de la garantie et l'analyse du risque, en particulier pour les garanties innovantes.
Saisir cette ouverture des pouvoirs publics en développant davantage entre AMC et AMO les outils d'échange sur les postes dentaire, optique et audioprothèses, permettrait d'ouvrir une brèche dans la muraille actuelle, parfois culturelle, et en tirer des enseignements pour une extension future à d'autres risques. Les solutions existantes sont cependant lourdes et délicates à mettre en pratique, tant sur le plan technique que sur celui du recueil du consentement de l'assuré. Elles ne peuvent donc constituer qu'un premier pas dans l'attente d'une ouverture du cadre législatif, indispensable à la poursuite des travaux.
1. Rapport 2003 « L'accès des assureurs complémentaires aux données de santé des feuilles de soins électroniques », dirigé par Christian Babusiaux, alors conseiller maître à la Cour des comptes.
2. Monaco est l'acronyme de Méthodes, outils et normes pour la mise en commun de données de l'assurance maladie complémentaire et obligatoire.
3. Norme unique d'échanges de données informatisées entre opticiens et complémentaires santé. Dans sa version 2.0 elle est considérée comme juridiquement instable par les professionnels de santé au regard des exigences de la Cnil.
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