L'élargissement du domaine de la loi Badinter à l'ordre du jour
LIONEL NAMIN, CHARGÉ D'ENSEIGNEMENT À L'UNIVERSITÉ PARIS II PANTHÉON-ASSAS, CONSEILLER SCIENTIFIQUE DE LA REVUE « JURISPRUDENCE AUTOMOBILE »
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LIONEL NAMIN, CHARGÉ D'ENSEIGNEMENT À L'UNIVERSITÉ PARIS II PANTHÉON-ASSAS, CONSEILLER SCIENTIFIQUE DE LA REVUE « JURISPRUDENCE AUTOMOBILE »
Le projet visant à supprimer du champ d'application de la loi Badinter l'exception relative aux chemins de fer et aux tramways circulant sur des voies propres aurait un impact important sur le périmètre de cette loi. A priori, cet aménagement semble des plus légitimes. D'une part, il est opportun, à l'heure où la circulation des tramways en voie propre, sur une chaussée côtoyée par des automobilistes et traversée par des piétons, connaît un essor dans de nombreuses villes de France. D'autre part, il a pour fin d'imposer le même régime d'indemnisation à toutes les victimes d'accidents impliquant sur le sol un véhicule terrestre à moteur pour des raisons de simplicité et d'équité. Cela est juridiquement cohérent.
Esprit de la loi de 1985...
Cependant, en regardant de plus près, cette extension au secteur ferroviaire repose la question du lien de cette loi attachée à réglementer l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation avec l'assurance obligatoire (C. assur., art. L 211-1). À cet égard, la modification envisagée serait-elle susceptible de dénaturer le domaine dans lequel la loi a naturellement vocation à s'appliquer (sous-entendu le domaine de l'assurance auto) ?
Pour répondre à cette question, revenons sur les éléments constitutifs de l'esprit de la loi de 1985, avant de nous attarder sur la jurisprudence rendue sur son champ d'application.
On oublie trop souvent que l'assurance automobile obligatoire existait déjà au moment où il a été envisagé de créer un droit dérogatoire à la responsabilité civile du fait de la circulation automobile. Profitant de cette circonstance, le législateur finance par l'assurance automobile obligatoire le « droit à indemnisation », qu'il instaure, au profit des victimes d'accidents de la circulation. Pour ce faire, il conserve les mécanismes propres à la responsabilité civile : il est nécessaire de passer par une tierce personne, le conducteur ou gardien d'un véhicule terrestre à moteur, pour atteindre un payeur solvable. En revanche, le domaine de la loi Badinter est strictement délimité sur celui de l'assurance obligatoire. De cette façon, il est créé un quasi-lien de droit entre les règles de l'indemnisation des victimes d'un accident de la circulation et celles déterminant l'obligation d'assurance en matière automobile.
... lié à l'assurance auto
Cette volonté du législateur de l'époque donne la raison qui a participé à exclure d'emblée de la loi Badinter les « chemins de fer et tramways » qui circulent sur des voies propres, c'est-à-dire sur une voie qui n'est empruntée par aucun autre usager de la route (CA Aix-en-Provence, 10e ch. sept. 1987). Ce faisant, l'assurance obligatoire automobile s'est détournée des entreprises ferroviaires du fait des accidents de transport atteignant les voyageurs. Le législateur de 1985 ne pouvait donc soumettre les trains et tramways à des règles conçues pour être assumées par l'assureur qui garantit la responsabilité civile d'un véhicule terrestre à moteur en cas d'accident de la circulation.
Les conditions d'application de la loi du 5 juillet 1985 sont donc destinées à faire fonctionner l'assurance auto. A contrario, il résulte de l'esprit de cette loi qu'elle ne saurait contenir de spécificité indépendante de cette garantie obligatoire. Ceci est tellement vrai que, dans la présentation d'origine de la loi, les dispositions relatives au champ d'application de « Indemnisation des victimes d'accidents de la circulation » chapeautent les dispositions relatives « au droit à indemnisation » (section I), à « l'assurance et au fonds de garanties » (section II) et à « l'offre d'indemnité » (section III). C'est d'ailleurs au titre de ces dernières dispositions que les assureurs de responsabilité civile couvrant le risque auto sont tenus, depuis 1985, de présenter spontanément une offre d'indemnisation aux seules victimes de dommages corporels. La même obligation pèse, à l'époque, sur l'État et les collectivités, les entreprises ou organismes bénéficiant d'une exonération à l'obligation d'assurance.
Véhicule terrestre à moteur
De tout ceci, on retiendra que ce n'est qu'au prix d'une série d'artifices (champ d'application cloné, présentation ambiguë de la loi...) que les règles d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation sont liées au domaine de l'assurance auto obligatoire.
Par conséquent, le droit à indemnisation des victimes d'accident de la circulation n'est pas exclusif du droit de la garantie automobile obligatoire. Pour s'en convaincre, on pourra vérifier que les dispositions de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 n'ont pas pour objet de fixer le domaine de l'obligation d'assurance (lire encadré).
Aussi, en pratique, il ne suffit pas d'appréhender une victime d'un accident de la circulation dans lequel un véhicule terrestre à moteur est impliqué pour nécessairement la diriger vers un assureur automobile. Ce que confirme la jurisprudence rendue sur la question du champ d'application de la loi Badinter depuis plus de vingt-cinq ans.
C'est la notion de véhicule terrestre à moteur qui illustre le mieux ces cas lézardant ce pont entre le champ d'application de ladite loi et l'assurance obligatoire automobile. Telle qu'une tondeuse à gazon soumise à la loi du 5 juillet 1985 parce que cet engin à moteur est doté de quatre roues lui permettant de circuler et qu'il est équipé d'un siège conducteur sur lequel une personne prend place pour piloter. Ici, la victime peut être conduite vers l'assureur RC vie privée d'un contrat multirisque habitation, car ces engins sont parfois couverts par le jeu d'une clause spécifique. Reste que l'assurance de ces engins en général est soumise à des restrictions d'emploi (pas d'utilisation sur la voie publique) ou de puissance. Il en va de même pour les véhicules pour enfant.
Actualité oblige, il nous faut aussi évoquer le cas singulier du tramway. En principe, le véhicule qui circule sur des rails n'est pas soumis à la loi du 5 juillet 1985 s'il utilise une voie propre. Dans le cas contraire, la loi lui est applicable, d'où l'intérêt, lorsqu'il s'agit d'un tramway notamment, de déterminer à quel moment il circule en site propre. Aussi, la jurisprudence n'a pas hésité à soumettre à la loi du 5 juillet 1985 le tramway qui se trouve sur une voie de circulation qu'empruntent des véhicules ou des piétons(1).
Déjà des brèches
Dans un arrêt de 1990, il est fait application de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 à un tramway, dont la faute est partagée avec celle du véhicule terrestre à moteur. Il faut comprendre alors que la condamnation de l'exploitant de transport public sur le fondement de la loi Badinter dirige la victime directement vers cette entreprise, voire son assureur RC général. À ce propos, la Cour de cassation a déjà été amenée à entériner que les dispositions contractuelles d'une police multirisque professionnels excluant la garantie des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur et survenus lors d'un accident régi par la loi du 5 juillet 1985 ont vocation à s'appliquer. On notera que les faits de l'espèce ont révélé que l'engin, une nacelle autoportée, était impliqué en tant que véhicule dans un accident de la circulation (Crim., 15 janv. 2008, n° 07-80.800).
La jurisprudence a ouvert une brèche, le législateur peut donc, sans dénaturer la loi du 5 juillet 1985, envisager une extension de son champ d'application au secteur ferroviaire sans lien avec l'obligation d'assurance. Qu'on se le dise, cette révision de l'article 1er de la loi Badinter n'aura pas pour effet d'étendre aux exploitants de transport public de souscrire la garantie illimitée pour les dommages corporels propre à l'assurance automobile.
1. Tramway circulant sur la chaussée : Civ. 2e, 6 mai 1987, n° 85-13.912, Bull. civ. n° 92, JCP 87-IV-235 ; Civ. 2e, 17 octobre 1990, n° 89-16.685, JA 91-200
À retenir
- En 1985, chemins de fer et tramways ont été exclus du champ d'application de la loi parce qu'ils étaient déjà exclus de l'assurance automobile obligatoire.
- La jurisprudence a déjà admis de soumettre les victimes d'un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur à la loi de 1985 sans faire le lien avec l'assurance automobile obligatoire.
- L'extension de la Badinter aux chemins de fer et tramways consacrerait l'autonomie de son champ d'application par rapport à l'obligation d'assurance des VTM.
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