Loi Badinter et voie ferrée : une voie propre au chemin de fer ou au tramway

Régime protecteur de la loi Badinter ou droit commun, les incidences sont lourdes sur les droits des victimes et des responsables. Le tout est de bien connaître sa voie.

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Loi Badinter et voie ferrée : une voie propre au chemin de fer ou au tramway

Le droit à indemnisation des victimes d’accidents impliquant un véhicule terrestre à moteur et un chemin de fer ou tramway n’est pas toujours facile à appréhender. L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 exclut de son champ d’application les chemins de fer et tramways, dès lors qu’ils circulent sur des voies qui leur sont propres, privant ainsi leurs victimes d’un régi­me d’indemnisation de faveur. L’exonération, totale ou partielle, du gardien du chemin de fer ou du tramway cir­culant sur sa voie propre sera en effet rendue possible en cas de force majeure, du fait d’un tiers ou de la faute simple de la victime (code civil, art. 1242 al. 1er ; anc. art. 1384 al. 1er). Ainsi, la preuve de la réunion des deux conditions, écartant l’application de la loi Badinter, peut constituer un enjeu significatif tant pour les victimes que pour les auteurs. Le véhicule doit être un chemin de fer ou un tramway. L’exclusion ne s’appli­que donc pas aux trolleybus (NDLR : les bus électriques à caténaires). Mais surtout, la voie de circu­lation sur laquelle est survenu l’accident doit être une voie propre. Cette condition fait débat.

Définition d’une voie propre

Faute de définition législative, la juris­prudence est venue préciser les contours de la qualification de voie propre. Il s’agit d’une voie exclusivement emprun­tée par le chemin de fer ou le tramway. Pour savoir si une voie satisfait à cette exigence, les juges se réfèrent à des éléments factuels : existence d’une ligne blanche continue délimitant le couloir de circulation réservé (Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146) ; terre-plein bordé d’arbustes formant une haie (Civ. 2e, 29 mai 1996, n° 94-19.823). Ainsi, a contrario, les juges du fond rejettent la qualification de voie propre à une voie de circulation égale­ment empruntée par des véhicules ou des piétons, tels que la chaussée sur laquelle sont implantés les rails d’un tramway (Civ. 2e, 17 oct. 1990, n° 89-16.685) ou le carrefour ouvert aux usagers de la route autres que le tramway (Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491).

Entre deux voies

Le passage à niveau n’est pas une voie commune, les autres usagers de la route peuvent seulement la traverser, sans pouvoir l’emprunter. Dans deux arrêts rendus fin 2016, la Cour de cassation a cependant adopté une conception plus restrictive de la notion de voie propre, s’agissant d’abord d’un accident survenu avec un train sur un passage à niveau (Civ. 2e, 17 nov. 2016, n° 15-27.832) puis avec un train touristique sur une route départementale (Civ. 2e, 8 déc. 2016, n° 15-26.265).

Dans le premier arrêt, une collision est survenue à un passage à niveau entre un véhicule terrestre à moteur et un train de la SNCF. Le passager du véhicule est décédé ; sa fille âgée de 15 ans, conducteur du véhicule, est blessée. Les ayants droit du défunt et le conducteur victime réclament auprès de la SNCF, gardien du chemin de fer, réparation de leurs préju­dices corporels sur le fondement de la loi de 1985 et à titre subsidiaire, sur la base de l’article 1384 alinéa 1 du code civil. La Haute juridiction civile, à l’instar des juges du fond, refuse la qualification de voie propre au motif que la voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et autres usagers de la route, ces derniers pouvant seulement la traver­ser à hauteur du passage à niveau, sans pouvoir l’emprunter.

Dans le second arrêt, une moto percu­te un train touristique à l’intersection de la voie ferrée empruntée par ce dernier avec une route départementale. Le motocycliste décède. Ses ayants droit assignent en réparation l’exploitant, gardien du train sur le fondement de la loi de 1985. Appli­quant la jurisprudence de 2011, la cour d’appel accueille la demande au motif que l’accident est survenu sur une route ouverte aux autres usagers de la voie publique de sorte que la voie ferrée avait perdu son caractère propre au lieu de l’acci­dent. Elle est censurée par la Cour de cassation qui retient une nouvelle fois qu’une voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route, ces derniers pouvant seulement la traver­ser, sans pouvoir l’emprunter.

Le revirement de jurisprudence est opéré, tant pour les chemins de fer que pour les tramways (chemin de fer circulant sur la chaussée en milieu urbain ou interurbain) : le critè­re déterminant pour qualifier une voie qui leur est propre est la possibilité pour les autres usagers de l’emprunter. S’agissant d’une voie ferrée, ce critère ne sera que très rarement, voire jamais rempli puisque les véhicu­les ne peuvent pas, par natu­re, l’emprunter. Ce faisant, la Cour de cassation tend à généraliser l’applica­tion de l’exception prévue par la loi Badinter.

à retenir

  • Constitue une voie propre une voie exclusivement empruntée par le chemin de fer ou le tramway.
  • Le passage à niveau n’est pas une voie commune, les autres usagers de la route peuvent seulement la traverser, sans pouvoir l’emprunter.

Les voies de l’exonération

L’exploitant du chemin de fer ou du tram peut s’exonérer par la force majeure, le fait d’un tiers ou la faute simple de la victime. Quelles en sont les conséquences pratiques ? Dans la première affaire, la responsabilité de la SNCF en qualité de gardien est exonérée à hauteur des trois quarts des dommages, les juges du fond ayant retenu à l’égard de ses ayants droit la faute du passager décédé qui a laissé conduire un mineur de 15 ans dépourvu de permis de conduire et à l’égard de la jeune conductrice blessée, sa faute, pour avoir immobilisé son véhicule sur le passage à niveau. Nul doute que sous l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985, la faute du conducteur aurait également réduit d’autant son droit à indemnisation. Cependant, avec la loi de 1985, le conjoint du passager aurait bénéficié d’un droit à indemnisation totale, la qualification de faute inexcusable, cause exclu­sive de l’accident, n’aurait pas été retenue (article 3) ; en revanche, sa fille, es qualité de victime par ricochet, aurait un droit à indemnisation réduit à concurrence de sa faute (Mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078).

Dans la seconde espèce, il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de déterminer si la faute du motocycliste qui n’a pas respecté la priorité de passage des chemins de fer et tramways (C. route, art. R. 422-3), est constitutive d’une faute exonérant partiellement ou totalement la respon­sabilité de l’exploitant, gardien du train touristique. Sous le régime de la loi de 1985, on aurait plutôt parlé de faute réduisant le droit à indemnisation du motocycliste victi­me ou de ses ayants droit.

Quoi qu’il en soit, ces victimes pourront être indemnisées par la SNCF, l’exploitant du train touristique ou leur éventuel assureur de responsabilité civile générale, ces derniers n’étant pas soumis au régime de l’assurance RC obligatoire automobile, qu’ils circulent ou non sur une voie propre (C. assur., art. L. 211-2). De même, quoi qu’il en soit, ces victi­mes pourront bénéficier de la procédure d’offres prévues par les articles L. 211-9 et suivants du code des assurances, l’article L. 211-21 disposant que « pour l’application de ces textes, l’État ainsi que les collectivités publiques, les entreprises ou organismes bénéficiant d’une exonération en vertu de l’article L. 211-2 sont assimilés à un assureur ».

De plus, dans le cas de l’arrêt du 17 novembre 2016, la SNCF ou son assureur RC qui aura indemnisé la veuve du quart de ses dommages pourrait exercer un recours en contribution à l’encontre de l’assureur RC automobile de la conductrice sur le fondement des arti­cles 1251 et 1240 du code civil. La répartition de la charge de la dette entre les deux assureurs serait alors déterminée en fonction des fautes respectives de leurs assurés. Toutefois, ce recours a peu de chance de prospérer, l’assureur RC automobile ayant certainement inséré au contrat l’exception de garantie prévue à l’article R. 211-10, 1° du code des assurances : est exclue de la garantie, la RC du conducteur n’ayant pas, au moment du sinistre, l’âge requis ou ne possédant pas les certificats en état de validité exigés par la réglementation en vigueur pour la conduite du véhicule.

Torts partagés

C’est d’ailleurs certainement la raison pour laquelle les ayants droit du passager décédé n’ont pas choisi de demander réparation directement auprès de l’assureur RC automobile. La jurisprudence faisant une application distributive des textes dans les accidents de la circulation mettant en cause un chemin de fer ou tramway circulant sur leur voie propre et impli­quant un véhicule terrestre à moteur (Civ. 2e, 17 mars 1986, n° 84-16.011), pour bénéficier d’une indem­nisation intégrale sur la base de la loi de 1985, le conjoint aurait pu solliciter réparation de ses préjudices au conducteur (sa fille) et donc, à l’assureur RC automobile qui ne peut soulever l’exception de garan­tie (celle-ci étant inopposable aux victimes). Cependant, il aurait été aisé pour l’assureur RC auto de prouver que le père, probablement souscripteur du contrat, s’était volon­tairement placé dans une situa­tion exclusive de garantie, ce dernier sachant que sa fille n’avait pas le permis ni l’âge requis pour conduire (Civ. 1e, 6 juin 2001, n° 98-19.023 ; Crim., 7 janv. 2014, n° 12-86.070). Et quand bien même cette preuve n’aurait pu être apportée, l’assureur RC auto aurait exercé un recours contre sa fille en sus de la SNCF.

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