Portabilité prévoyance et liquidation judiciaire : stop aux amalgames !
La Cour de cassation a rendu un avis surprenant et trouble sur le sort des contrats d’assurance collective de salariés pendant la période de liquidation judiciaire. Un avis qu’elle doit préciser, et, idéalement, corriger.

Toujours revenir aux fondamentaux… c’est le bon conseil que l’on serait tenté de soumettre à la Cour de cassation à la lecture de l’avis rendu le 6 novembre 2017 et de sa notice explicative, qui ne manque pas de susciter la stupeur juridique tant ils paraissent bafouer les principes qui régissent le droit de la protection sociale ainsi que les textes d’ordre public. L’erreur étant humaine, il faut espérer que la Haute juridiction puisse, à l’occasion de litiges qui lui seront soumis à l’avenir, se ressaisir afin de revenir dans l’épure juridique. Dans l’immédiat, il est proposé aux lecteurs de prendre la mesure du problème et de ses conséquences juridiques et pratiques.
Champ d’application de la portabilité prévoyance
Portée par les partenaires sociaux dans deux accords interprofessionnels de 2008 et 2013, puis retranscrite dans le code de la Sécurité sociale (CSS) à l’article L. 911-8, la « Portabilité prévoyance » est une obligation faite à l’employeur d’organiser le maintien temporaire des couvertures « prévoyance / santé » applicables dans l’entreprise, aux anciens salariés en cas de cessation de leur contrat de travail, non consécutive à une faute lourde et ouvrant droit à une prise en charge par le régime d’assurance chômage.
Les réglementations régissant les trois familles d’assureurs n’organisent pas, si ce n’est à la marge, la transcription de cette obligation. Il en résulte que les parties au contrat d’assurance sont libres de prévoir les modalités du maintien de la couverture en pareil cas. Ce constat, a priori indiscutable, semble devoir être mis en cause par la Cour de cassation au cas particulier de la liquidation judiciaire frappant les entreprises souscriptrices.
Liquidation judiciaire
Rappelons que le législateur a abrogé la faculté légale de résilier le contrat d’assurance en raison de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire et que les cas usuels de résiliation sont écartés par le code du commerce pendant cette période. Il en résulte que si le mandataire liquidateur rompt tout ou partie des contrats de travail dès le jugement d’ouverture de la période de liquidation judiciaire et qu’il exige le maintien du contrat d’assurance, il faut mesurer l’étendue des obligations de l’organisme assureur en matière de portabilité. Confronté à des arrêts d’appel contradictoires, le tribunal de grande instance de Strasbourg a sollicité de la Cour de cassation un avis pour lui permettre de trancher la question du sort d’une couverture d’assurance en cas de liquidation judiciaire. L’avis, très succinct, de la Cour de cassation constate que l’article L. 911-8 CSS n’opère aucune distinction entre les salariés des entreprises qu’elles soient ou non en liquidation judiciaire. Il en est conclu que, toutefois, « l’article L. 911-8, 3° du code de la Sécurité sociale précisant que les garanties maintenues au bénéfice des anciens salariés sont celles en vigueur dans l’entreprise, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié ». Considérer que le contrat ne peut être résilié n’est pas en soi une aberration s’il est admis dans le même temps qu’il trouve à s’appliquer en tous ses termes, même ceux limitant, le cas échéant, les obligations de l’organisme assureur en pareil cas. Las ! La notice explicative de la Cour de cassation complétant l’avis jette un trouble bien malheureux à ce sujet.
La notice explicative
Sorte de mode d’emploi de l’avis, la notice explicative mentionne que les dispositions de l’article L. 911-8 « s’appliquent aux trois catégories d’organismes assureurs ». On peine à croire que les Hauts magistrats aient pu commettre une telle erreur juridique tant elle relève d’un invraisemblable contresens des termes de la loi. L’article L. 911-8 est porté dans un chapitre du code de la Sécurité sociale qui porte sur les relations entre l’employeur et les salariés, anciens salariés et ayants droit. En d’autres termes, ce chapitre traite uniquement du « régime » de protection sociale, tel qu’organisé par les actes collectifs de droit du travail. En revanche, il n’appréhende pas le contrat d’assurance souscrit par l’employeur pour garantir ses obligations nées du régime précité. On ne peut donc considérer que le sort d’un contrat d’assurance puisse dépendre d’un article d’ordre public qui régit les obligations des employeurs vis-à-vis de leurs anciens salariés. Ce n’est malheureusement pas la première fois que la Cour de cassation procède à un tel amalgame entre « régime » et « contrat d’assurance ». Ce mélange des genres relève-t-il d’une imprécision des juges ou d’une volonté assumée de tordre certains principes, mais au prix alors de sérieux problèmes de sécurité juridique puisque déjouant les prévisions légitimes de ceux qui auraient pour seul tort d’appliquer la loi… aux uniques situations qu’elle est censée régir. Cela est d’autant plus surprenant que l’avis a été précédé de 14 pages de conclusions de l’avocat général et de 44 pages d’analyse du rapporteur, sans qu’aucun de ces travaux préparatoires n’ait soulevé le problème.
à retenir
- En vertu de l’article L. 911-8 du CSS, en cas de cessation du contrat de travail, l’employeur doit organiser le maintien temporaire des garanties prévoyance et santé, de l’ancien employé (durant au plus 12 mois).
- Pour la Cour de cassation, l’article L. 911-8 du CSS s’applique dans les mêmes conditions aux anciens salariés d’une entreprise en liquidation judiciaire.
- Selon les hauts magistrats, l’obligation de portabilité prévoyance s’impose aux organismes assureurs.
Incidences juridiques et pratiques
Doit-on, dès lors, comprendre que la Cour de cassation déduit de l’article L. 911-8 code de la Sécurité sociale qu’il prive les organismes assureurs de la possibilité de se prévaloir de clauses contractuelles qui organisent, le cas échéant de façon restrictive, le maintien des couvertures ? Ainsi, des contrats prévoient que la couverture s’applique dans la limite d’un certain nombre de départs dans une période donnée, limite au-delà de laquelle le règlement d’une prime est exigé. À défaut d’en obtenir le règlement, l’organisme doit pouvoir refuser sa garantie, en se prévalant du principe de l’exception d’inexécution. Doit-on en déduire qu’une telle clause est inopposable au motif de l’article L. 911-8 ? De même, quelle doit être la validité des contrats qui stipulent qu’ils s’appliquent pour autant que des salariés y soient affiliés, ce qui a pour effet d’y mettre un terme si tout le personnel est licencié ? Chacun est libre de juger de la pertinence de telles clauses. Mais personne ne doit pouvoir s’opposer à leur application, à partir du moment où elles ont été légalement formées et qu’elles doivent donc tenir de loi aux parties qui les ont faites, selon les termes bien connus de l’article 1103 du Code civil.
La nécessité d’une correction
Le pire n’étant jamais sûr, il faut que la Cour de cassation prenne rapidement la mesure de l’anormalité juridique dans laquelle elle s’est placée, notamment si elle considère que l’article L. 911-8 peut priver d’effet les clauses de contrats d’assurance qu’à la lettre, il ne régit pas. À s’entêter dans cette approche, le remède que les magistrats veulent administrer pourrait s’avérer pire que le mal. Certains organismes assureurs auront peut-être la tentation de recourir à des résiliations annuelles « préventives » dès qu’ils identifieront les premiers signes de difficultés financières. Des futures cotations de primes pourraient intégrer l’obligation de garantir tous les anciens salariés sans exception et sans financement.
La loi de 2013 avait prévu que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur les modalités de prise en charge de la portabilité en cas de liquidation judiciaire. À ce jour, aucun rapport n’a vu le jour. Cela ne doit pas être une raison pour y déceler un vide juridique. Ou alors, à admettre qu’il en existe un, que les juges laissent au législateur le soin de le combler.
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