Les nouveaux défis de l'assurance construction
PASCAL DESSUET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CONSTRUCTION DE L'AMRAE, CHARGÉ D'ENSEIGNEMENT À L'UNIVERSITÉ DE PARIS-VAL-DE-MARNE (PARIS-XII)
\ 00h00
PASCAL DESSUET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CONSTRUCTION DE L'AMRAE, CHARGÉ D'ENSEIGNEMENT À L'UNIVERSITÉ DE PARIS-VAL-DE-MARNE (PARIS-XII)
Les débats sur la compatibilité de notre système d'assurance construction avec la directive européenne sur la libre prestation de services (LPS) ont permis de rappeler combien notre législation est originale par rapport au reste du monde, même si nos voisins connaissent d'autres modes de protection du maître de l'ouvrage sur dix ans. Ce système, auquel tous les acteurs sont très attachés, est cependant fragile, et sa remise en cause est toujours possible : chaque année, il est confronté à de nouveaux défis, et cette fin d'année 2010 est riche en la matière. Notre système d'assurance construction relèvera-t-il le défi des nouvelles technologies mises en oeuvre pour réaliser les travaux issus du Grenelle de l'environnement ?
Contraintes inégales, concurrence faussée
Plus que jamais l'assujettissement de ces travaux à l'assurance obligatoire est discuté à propos des installations photovoltaïques (1), mais, parallèlement, le marché de l'assurance construction facultative, après des débuts timides, semble décidé à relever le défi, pour proposer des produits alternatifs à ceux offerts dans le cadre de l'assurance obligatoire et dont l'amplitude des garanties fait débat pour ce type de travaux, tout en maintenant le principe d'une garantie ferme de dix ans. Deux des trois leaders du marché offrent une solution de ce type. Le lancement de ces nouveaux produits, en tout cas pour l'un d'entre eux, constitue l'actualité de ce mois d'octobre 2010.
D'autres offres sont également proposées en cette rentrée, pour couvrir de nouveaux risques engendrés par les dispositions de la loi Grenelle du 12 juillet 2010 en matière de bâtiment basse consommation (BBC) (2) .
Par ailleurs, le marché européen de l'assurance s'ouvre aux produits d'assurance construction issus de la loi « Spinetta », en dommages-ouvrage (DO) et responsabilité civile (RC) décennale, via les dispositions sur la LPS en matière d'assurance. L'explosion de ces offres est aussi un fait de cette rentrée. D'aucuns ont, en leur temps, déploré le manque de concurrence sur ce marché et la pénurie des acteurs, surtout dans certains secteurs dits « sensibles » en matière de sinistralité - l'habitation en accession, les bureaux d'études techniques (BET), les risques dans les départements d'outre-mer. Curieusement, c'est précisément dans ces secteurs que se concentre la nouvelle offre.
Faut-il pour autant s'en réjouir ? Ce n'est pas certain. Les règles sur la LPS sont ainsi rédigées que si tous les intervenants sont, en principe, tenus de respecter les règles prudentielles françaises en matière de provisionnement des primes capitalisées sur dix ans, c'est l'autorité du pays d'où est originaire l'assureur en question qui doit procéder à ce contrôle. On ne peut bien évidemment que se montrer réservé sur la pertinence du contrôle exercée par les autorités de pays par définition peu familiarisés avec les subtilités de notre droit et de notre langue (3), d'où un risque certain sur la solvabilité à long terme des assureurs en question.
Une déstabilisation du système par une politique de concurrence effrénée sur les taux - que ce déséquilibre en matière de sujétions financières entre les acteurs des différents pays ne manquera pas d'entraîner, au détriment des acteurs exerçant depuis le territoire national - nous fait redouter les effets dévastateurs d'une telle stratégie dans un secteur où les primes d'une année financent dix années de sinistre. Si, plus que jamais, la libre concurrence est un bienfait, elle devrait, selon nous, dans ce secteur plus que dans tous les autres, s'exercer bien davantage sur la qualité des garanties proposées que sur les seuls taux.
Deux dangers : la qualité et la mixité
Dans le domaine de la construction, de nouveaux acteurs venus d'Extrême-Orient semblent se hisser aux premiers rangs, tandis que les matériaux utilisés dans ce domaine proviennent eux aussi de plus en plus souvent de cette même région du monde. Nul doute que cela constituera, là encore, un nouveau défi auquel sera confronté notre système d'assurance. On ne peut que redouter que les coûts pratiqués par ces nouveaux intervenants, constructeurs et fabricants, n'enclenchent une concurrence effrénée sur les prix, qui n'aurait rien de vertueuse et qui conduirait inéluctablement à la non-qualité générale, laquelle ne fait pas bon ménage avec des garanties d'assurance données pour dix années fermes...
Autre question préoccupante : après trois années de réformes pour redéfinir l'amplitude de l'obligation d'assurance et ses modalités de fonctionnement, le sujet est à nouveau sous les feux de l'actualité, à propos des projets d'ouvrages de grande hauteur, à caractère mixte de bureaux et d'habitations. En effet, cette réforme (loi du 30 décembre 2006 et décret du 22 décembre 2008) initiée à la hâte, malgré sa longue durée de gestation, porte les stigmates de ses origines, puisque, dans la précipitation et l'absence de concertation qui a prévalu à sa naissance, on a écarté le secteur de l'habitation du champ de la réforme, afin de ne pas effaroucher les consommateurs. De sorte qu'en ce domaine, l'obligation d'assurance demeure illimitée et pénalement sanctionnée pour tous les acteurs, et ce quel que soit le coût des travaux. On n'avait évidemment pas prévu l'émergence de projets de tours dont le coût excéderait les capacités du marché de l'assurance obligatoire, et qui, précisément, mélangeraient bureaux et habitations. Voici donc un nouveau défi à relever pour notre système en cette rentrée, au risque d'entraîner des blocages d'opérations, qui pourraient lui être fatals. Une modification des textes actuels s'impose, reste à savoir laquelle. Il est évident que la disparition prématurée de ce formidable outil de concertation que constituait la Commission technique de l'assurance construction (CTAC), ne va pas nous y aider.
Problèmes de mise à jour et de standardisation
Enfin, l'actualité en octobre 2010, c'est aussi la nécessité pour les assureurs de proposer à leurs clients des produits parfaitement à jour de tous les textes publiés depuis trois ans en cette matière (voir RGDA 2010/1 : « Les nouvelles règles en matière de plafonnement des polices » ; voir les modèles types d'attestation d'assurance RC décennale publiés par la FFSA, RDI 2010, p. 501).
Pourquoi parler de problème de mise à jour de « wording » de polices parmi les questions d'actualité de cette rentrée 2010 ? Tout simplement parce que, malheureusement, pour nombre d'assureurs, la sortie rapide de textes de police parfaitement à jour des derniers textes légaux et réglementaires, ainsi que des circulaires de la FFSA, constituera un véritable événement.
Dans le même esprit, les assurés concernés souhaiteraient que le fameux contrat collectif de responsabilité décennale s'incarne enfin dans des conditions générales précises et donne lieu à l'émission de modèles d'attestation conformes aux engagements de la circulaire FFSA du 8 juillet 2010, plutôt qu'à des notes de couverture temporaires, dont, de surcroît, malgré l'existence de franchises absolues opposables erga omnes (à l'égard de tous, de toutes les juridictions), on continue à conditionner l'émission à la production des attestations de responsabilité civile décennale de première ligne. À ce stade, pourquoi, même, ne pas envisager l'existence d'une base de données accessible à tous, faisant connaître l'état des souscriptions CCRD, chantier par chantier ?
1. Pascal Dessuet, « Bâtir un plan d'assurance pour couvrir les risques photovoltaïques », RDI 2010, p. 472, et « La responsabilité des constructeurs et les nouvelles techniques liées à l'environnement », Bulletin d'actualité Lamy Immobilier, octobre 2010.
2. Lire Le Moniteur du 29 octobre 2010 : « L'assurance se met-elle au vert ? »
3. Le Moniteur du 25 juin 2010, Dessuet-Schmit : « Europe, prudence face à l'ouverture du marché. »
À retenir
Les assureurs élargissent la définition des travaux de « technique courante ».
La circulaire de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) du 8 juillet 2010 relative aux modèles d'attestation de responsabilité civile décennale uniques pour tous les assureurs leur a fourni l'occasion d'intégrer dans les techniques courantes celles qui ne font pas l'objet d'un document technique unifié (DTU), mais d'un avis technique ou d'un Pass'Innovation. Pour que cette avancée devienne réalité, il faut penser à l'intégrer par avenant dans les conditions particulières des polices d'assurance.
Base des organismes d'assurance
AbonnésRetrouvez les informations complètes, les risques couverts et les dirigeants de plus de 850 organismes d’assurance
Je consulte la base