Construction – Expertise – Contentieux : Vers une mutation de l'expertise amiable en dommages-ouvrage ?
Gestion du risque SPÉCIAL RISK MANAGEMENT
Alors que l'immobilier ralentit, les assureurs construction cherchent à alléger leur facture liée aux contrats dommages-ouvrage. Quitte, dans certains cas, à recourir à des experts moins expérimentés.
Plus que jamais, les assureurs en construction cherchent à trouver la meilleure adéquation entre les frais engagés dans le cadre de l'assurance dommages-ouvrage (DO) et le coût d'une juste répa-ration. Une réflexion est actuel- lement menée pour limiter les dépenses d'expertise. L'une des pistes explorées consisterait à faire appel à des experts moins expé-rimentés que ceux auxquels ils ont actuellement recours. Déjà, depuis 2002, l'assureur a obtenu d'être dispensé d'expertise s'il évalue les dommages à un montant inférieur à 1 800 €, ou si la mise en jeu de la garantie est manifestement injustifiée.
Un système efficace
Dans les autres cas, depuis la loi « Spinetta », le recours à un expert est obligatoire. Cette loi du 4 janvier 1978 impose au constructeur une garantie décennale et au maître d'ouvrage une assurance DO. En cas de problème lié à la construction, et pendant dix ans, l'assureur DO doit missionner un expert pour constater, décrire et évaluer les dommages en toute indépendance. En 1983, les assureurs ont conçu une convention de règlement assurance construction (Crac) pour limiter les coûts de gestion liés à la loi « Spinetta » et faciliter les solutions amiables.
Qui sont les experts construction ?
Pour réduire les frais, la Crac avait établi un système d'expertise unique à tous les assureurs concernés par un même désordre ainsi que l'agrément des experts. Le niveau de compétence et d'expérience est élevé : pour être accepté sur la liste Crac, il faut être ingénieur ou architecte, avoir cinq ans d'expérience dans la construction, deux ans dans l'expertise, puis décrocher la certification CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment), enfin réussir l'examen du jury Crac. Le système fonctionne bien. Plus de 90% des problèmes liés à la DO trouvent une issue amiable. En 2010, 125 000 sinistres ont ainsi été traités.
En dommages-ouvrage, un dossier sur deux est classé sans suite. Et les enjeux sont souvent modestes : 27% des dossiers sont d'un coût inférieur à 1 500 €, 14% entre 1 500 et 5 000 € et 9% entre 5 000 et 100 000 €, selon Damien Albagnac, ancien président de la commission d'application de la Crac (Cacrac). Or, quel que soit le montant de l'indemnité, un dossier génère des frais. C'est cette facture que les assureurs souhaitent limiter. Par ailleurs, le rythme des évolutions réglementaires s'accélère et augmente de fait le risque de conflits. À l'image de la réglementation thermique 2012, qui limite la consommation d'énergie d'un bâtiment sans préciser de méthode pour la mesurer.
La " liste bis " des experts reviendrait à faire soigner les grippes par des infirmiers.
Olivier Bodin, président de la Compagnie française des experts construction
Un risque de rejudiciarisation
Dans ce contexte, la Cacrac réfléchirait à un moyen de recourir à des experts moins pointus pour les « petits » sinistres, qui consisterait à créer un deuxième niveau d'agrément Crac. L'on parle de « liste bis ». « Il y a déjà de la triche, regrette un expert construction. Certains experts signent les documents alors que c'est un autre intervenant du cabinet qui s'est déplacé sur le terrain. » Sous-entendu : cette « liste bis » existerait déjà dans les faits, avec pour conséquence une moins bonne protection du consommateur. Or, l'esprit de la loi « Spinetta » visait justement cette protection.
Pour le moment, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) refuse de s'exprimer : « À ce stade, ce n'est pas un sujet. Les discussions sont en cours. » De son côté, la Compagnie française des experts construction (CFEC) estime qu'une compétence moindre des experts pourrait générer une inflation des contentieux, aujourd'hui peu nombreux. Les assureurs sont-ils prêts à prendre ce risque, qui peut se révéler coûteux ? « C'est notre métier que d'estimer si le dommage est mineur ou important », explique un assureur sous couvert d'anonymat, tant le sujet est sensible.
Le président de la CFEC, Olivier Bodin, « s'inquiète » de cette « liste bis » : « Cela reviendrait à faire soigner les grippes par des infirmiers. » Pour la CFEC, à l'heure où les exigences réglementaires augmentent, le niveau des experts doit être renforcé. Cette « liste bis » bouleverserait également l'équilibre économique actuel. Les dépenses des assureurs diminueraient, comme le chiffre d'affaires des experts construction.
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